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Medical Council of Paris : https://www.conseil-national.medecin.fr/

Beauty at the Service of Humanity.
A Review on the Therapeutic Value of Aesthetic Treatments
Eva Carpigo

Abstract
Body modifications made with an eye towards attaining ‘beauty’ have been the subject of much debate by social scientists. Facing the tendency to judge beauty practices as an expression of superficiality, vanity or social ‘oppression’, this paper aims to approach aesthetic treatments in recognising their inherent complexity.
First of all, I display an original perspective on these practices based on the theory of anthropo-poiesis, the theoretical mark proposed by the cultural anthropologist Francesco Remotti. As inferred by this author, concern with beauty can be read symbolically as an effort to grant subjects to pass into ontological categories of ‘human-beingness’. In this regard, aesthetic procedures are demanded to resolve the feeling of ‘incompleteness’ or to face a condition of social marginality. Through the presentation of two field cases, the ‘psycho-socio-aesthetics’ and the ‘humanitarian cosmetic surgery’, I propose to focus the viewpoint of beauty practitioners who agree in considering aesthetic enhancements as their cathartic objectives to evacuate uneasiness and suffering. In consequence, I argue that aesthetic treatments should be recognised as practices of well-being, since their aim is to enhance user’s psychological and social life. Lastly, I affirm the need to value ethics as a complementary skill to individuate appropriate conditions into which practices of beauty-care should take place.
Key Words: Aesthetic treatments, beauty, anthropo-poiesis, psycho-socioaesthetics, humanitarian cosmetic surgery, beauty-care, self-improvement, ethics.  READ ARTICLE

Chirurgie plastique et conflit armé :

Notre expérience lors du conflit au Haut-Karabakh en 2020.

P Knipper , T Bégué,  L Pasquesoone,  E Guerre,  R Khonsari, P Girard,  A Berger,  L Khachatrian, M Tchaparian 

RESUME

Introduction : Ce travail relate l’expérience de trois missions chirurgicales françaises dans la prise en charge des blessés lors du conflit armé au Haut Karabakh qui s’est déroulé du 27 Septembre au 10 Novembre 2020.               

Matériels et méthodes : Trois missions chirurgicales ont été effectuées en Arménie entre Octobre 2020 et Janvier 2021. Les chirurgiens sont intervenus dans différents hôpitaux, à différents moments du conflit et sur des lésions de guerre variées.

Résultats :  La présence d’un chirurgien plasticien s’est révélée indispensable dans la prise en charge des blessés de guerre notamment en urgence différée et en secondaire. La prise en charge ortho-plastique proposée lors de ces missions a démontré son efficacité dans la reconstruction des membres. Ces missions ont permis d’introduire, en Arménie, la technique de la membrane induite de AC Masquelet. Notre passage au centre des brulés d’Erevan nous a permis d’évoquer l’usage du phosphore blanc comme étiologie dans plusieurs dossiers analysés.

Conclusion : Nous relatons l’expérience particulière de chirurgiens civils dans le cadre d’un conflit armé moderne. La présence d’un chirurgien plasticien s’est révélée indispensable dans la prise en charge des blessés de guerre et surtout dans leurs reconstructions secondaires.

Mots Clés : chirurgie de guerre – chirurgie ortho-plastique – Haut-Karabakh –– Arménie – brulure au phosphore – armes non conventionnelles

SUMMARY

Introduction: This work relates the experience of three French surgical missions in the care of the war wounded during the armed conflict in Nagorno-Karabakh which took place from September 27 to November 10, 2020.

Materials and methods: Three surgical missions were carried out in Armenia between October 2020 and January 2021. Surgeons intervened in different hospitals, at different times of the conflict and on various war wounds.

Results: The presence of a plastic surgeon proved to be essential in the care of war wounded, especially in delayed emergency and secondary care. The ortho-plastic treatment offered during these missions has proven to be effective in the reconstruction of limbs. These missions made it possible to introduce the induced membrane technique of Masquelet AC in Armenia. During our visit to the Yerevan burn center, we mentioned the very probable use of white phosphorus as an aetiology in several of the cases analyzed.

Conclusion: We relate the particular experience of civilian surgeons in the context of a modern armed conflict. The presence of a plastic surgeon proved to be indispensable in the care of war wounded and especially in their secondary reconstructions.

Keywords: war surgery – ortho-plastic surgery – Nagorno-Karabakh – Armenia – white phosphorus burn – cluster bombs

INTRODUCTION

Le 27 Septembre 2020 a débuté un conflit armé entre la république du Haut-Karabakh et l’Azerbaïdjan. Une équipe de chirurgiens spécialistes français s’est constituée début Octobre 2020 pour venir soutenir en Arménie leurs confrères. Plusieurs missions chirurgicales se sont ensuite déroulées sous l’égide notamment de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris. Des chirurgiens plasticiens et orthopédistes français ont participé à ces missions. Nous relatons leurs expériences face aux lésions engendrées par des armes de guerre classiques et des armes moins conventionnelles. Nous allons surtout évoquer les orientations thérapeutiques qui ont paru les plus adaptées aux conflits armés à venir.   

 MATERIELS ET METHODES

Nous rapportons l’expérience accumulée à la suite de trois missions chirurgicales réalisées dans les hôpitaux arméniens après le début du conflit armé.

Dès le début du conflit, une équipe pluridisciplinaire de spécialistes français a été constituée pour une première mission en Arménie du 10 au 18 Octobre 2020. La première équipe comprenait un chirurgien plasticien, deux chirurgiens orthopédistes, un chirurgien digestif, un chirurgien cardio-vasculaire et une infirmière de bloc opératoire. Cette mission s’est déroulée à l’hôpital Artghik à Erevan et à l’hôpital de Goris sur la frontière avec le Haut-Karabakh. C’est notamment lors de cette première mission qu’ont été gérés les patients en urgence et en urgence dite différée. L’équipe a pris en charge quatre blessés de guerre avec la participation des confrères locaux et elle est intervenue seule sur quatre autres cas graves : un patient pour colostomie et trois pour délabrement sévère des membres.

La deuxième mission, sous l’égide du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, s’est déroulée du 07 au 15 Novembre 2020. Elle était constituée d’un chirurgien plasticien, un chirurgien orthopédiste, un chirurgien maxillo-facial et un chirurgien cardio-vasculaire. La mission chirurgicale s’est déroulée principalement à l’hôpital Erebouni à Erevan. L’équipe chirurgicale a surtout pris en charge des patients stabilisés lors d’une première intervention préalable à la mission. L’équipe chirurgicale s’est focalisée sur la reconstruction des membres selon une prise en charge ortho-plastique qui associe, en per-opératoire, une chirurgie orthopédique de stabilisation et une chirurgie plastique de reconstruction. Nous avons effectué 30 consultations. L’équipe ortho-plastique a opéré 11 patients dont trois qui ont nécessité des lambeaux. Nous sommes également allés au Centre National des brûlés d’Erevan pour une mission d’expertise. C’est, durant cette mission, qu’a eu lieu le cessez le feu entre la République de l’Artsakh et l’Azerbaïdjan.

La troisième mission, sous l’égide de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, s’est déroulée du 09 au 17 Janvier 2021 dans deux hôpitaux d’Erevan. L’équipe ortho-plastique de l’AP-HP a travaillé au centre médical d’Erebouni et l’équipe ortho-plastique du CHU de Lille au centre médical d’Izmirlian. Cette mission s’est concentrée sur la reconstruction secondaire des membres. L’équipe d’Erebouni a pu faire 25 consultations et opérer 19 patients dont trois ont nécessité la pratique de lambeaux de couverture. Nous avons également opéré un patient pour la couverture d’une perte de substance d’un pied à l’hôpital militaire du Ministère de la Défense à Erevan. L’équipe d’Izmirlian a fait une vingtaine de consultations et opéré un patient pour une libération secondaire d’un creux poplité complexe avec couverture par un lambeau saphène médial. Durant ce séjour, nous avons également consulté une vingtaine de blessés de guerre à l’hôpital de Gyumri, petite ville du Nord de l’Arménie.

 RESULTATS

Les blessés de guerre

Nous avons participé à la prise en charge, avec les confrères locaux, des blessés du conflit armé. Les lésions des membres par explosions type poly-criblage chez de jeunes soldats ont été les lésions les plus fréquentes présentées par les chirurgiens arméniens (Fig.1). Nous avons aussi observé différentes lésions par brûlures sur différentes parties du corps (Fig.2). Les lésions osseuses des membres allaient de l’amputation aux différents stades des fractures ouvertes selon la classification de Gustilo et Anderson [1,2]. Paradoxalement, nous avons observé exceptionnellement des lésions isolées par balle. En effet, l’utilisation préférentielle des drones et des bombardements à distance, surtout dans la première phase du conflit, a limité les combats rapprochés donc l’utilisation d’armes à feu. Nous avons également vu, en réanimation et lors de chaque mission, de nombreux soldats en coma végétatif à la suite de lésions cérébrales traumatiques.   

Lors de la première mission en Octobre 2020, au cours de la première phase du conflit, nous avons rencontré à l’hôpital de Goris les blessés qui arrivaient du front plus ou moins stabilisés après un passage à l’hôpital de Stepanakert ou de Martuni au Haut-Karabakh. La prise en charge initiale correspondait au « Damage Control Orthopaedics » [3]. Notre action chirurgicale se limitait aux parages des plaies, aux explorations abdominales et à la stabilisation des fractures par un fixateur externe (Fig.3). Nous sommes intervenus en soutien aux médecins arméniens qui venaient principalement d’Erevan pour soutenir l’hôpital de Goris. Ensuite, lors de notre séjour à l’hôpital d’Artghik, nous avons pris en charge huit patients pour des traumatismes graves des membres en urgence différée. Nous avons surtout fait des parages extensifs suivis de cicatrisation dirigée, des stabilisations des fractures par des fixateurs externes, deux revascularisations avec pontage veineux et des repérages des nerfs pour les lésions des gros troncs nerveux (Fig.4). Les lésions de la face nous ont été présentées mais elles ont été prises en charge par les chirurgiens maxillo-faciaux locaux (Fig. 5). Nous avons également rencontré en réanimation tous les patients polytraumatisés en ventilation assistée et les patients dits « neurologiques » en coma végétatif à la suite de lésions cérébrales sévères. A l’hôpital d’Artghik, sur 300 lits, 177 étaient occupés par des blessés de guerre au moment de notre présence. Nous étions également en pleine épidémie de Covid-19.

Lors de la seconde mission en Novembre 2020, nous sommes intervenus principalement à l’hôpital d’Erebouni, centre de référence des blessés de la guerre de libération de l’Artsakh qui avait eu lieu entre Février 1988 et Mai 1994. Notre action s’est focalisée sur les reprises des ostéosynthèses par les chirurgiens orthopédistes et sur les reconstructions secondaires ortho-plastiques des membres par l’association d’un chirurgien orthopédiste et d’un chirurgien plasticien (Fig.6). La demande de collaboration est venue surtout des orthopédistes. Le professeur Thierry Bégué a introduit la technique de la membrane induite du professeur Alain-Charles Masquelet sur trois patients [4,5,6]. Le premier temps de reconstruction avec la mise en place du ciment a nécessité la couverture par des lambeaux (deux musculaires et un fascio-cutané) (Fig. 7).

Lors de ce séjour, nous avons fait une mission d’expertise au Centre National des brûlés d’Erevan. Durant ce conflit, nous avons noté que 93 soldats arméniens gravement brûlés avaient été transférés vers ce centre. Parmi ceux-ci, 87 cas ont été évalués lors de cette deuxième mission de Novembre. Nous avons noté, dans cette cohorte, une évolution inhabituelle des brûlures. Les taux de calcium sanguin ont été mesuré chez les 25 patients pris en charge en réanimation et étaient disponible pour les 16 patients survivants au moment de la collecte des données. Une hypocalcémie sévère a été trouvée chez 13 sur 16 patients entre l’admission et le troisième jour. Parmi les 9 patients décédés, 4 sur 9 ont présenté un arrêt cardiaque probablement dû à des troubles métaboliques. Ce travail, selon notre expérience acquise sur des conflits précédents, nous a fait évoquer l’utilisation de bombes au phosphore blanc comme étiologie de certaines de ces brûlures [7,8,9].

          Lors de la troisième mission en Janvier 2021, nous sommes intervenus sur deux sites différents. Au centre médical d’Ereboni, nous avons pu consulter et opérer plus facilement puisque nous connaissions déjà l’équipe du service d’orthopédie. Il s’agissait principalement de reprises d’ostéosynthèses et de reconstructions osseuses secondaires par membrane induite par l’orthopédiste et le plasticien (Fig.8). En revanche, au centre médical d’Izmirlian et comme il s’agissait d’une première rencontre, nous avons fait surtout des consultations et nous avons pu opérer qu’un seul patient.  

DISCUSSION

Il nous a semblé intéressant d’évoquer l’expérience de la prise en charge des blessés de guerre dans un conflit armé moderne mais par des praticiens émanant de la société civile. Aujourd’hui, la prise en charge des blessures par des armes de guerre n’est plus réservée aux militaires. Les attentats de Paris en 2015, avec notamment les blessés du Bataclan par des balles de Kalachnikov et par les explosifs des kamikazes, nous avaient initiés à cette nouvelle approche dans les hôpitaux français. Le conflit armé récent du Haut Karabakh nous a rappelé qu’il fallait savoir gérer ces lésions spécifiques et adapter nos protocoles de soins à ces nouvelles circonstances [10]. Par ailleurs, nous avons observé que la plupart des blessés dans ce conflit ont été pris en charge par des praticiens non militaires.

Le conflit armé

Sous l’URSS, le Haut-Karabakh ou Artsakh peuplé majoritairement d’Arméniens a été rattaché dès 1921 à l’Azerbaïdjan. Après la chute de l’empire soviétique, les 150 000 habitants ont massivement voté pour l’indépendance. La guerre de libération de l’Artsakh a eu lieu entre Février 1988 et Mai 1994 et elle s’est soldée par une large victoire des arméniens. Depuis le cessez-le-feu de 1994, cette région reste revendiquée par Bakou. Ce conflit de trente ans, que l’on croyait gelé, est soudain reparti le 27 septembre 2020, et s’est vite transformé en une guerre meurtrière jusqu’au 10 Novembre 2020. Cette guerre a été une guerre de haute intensité entre deux armées qui ont fait un large usage de l’artillerie, y compris des missiles balistiques sol-sol. L’armée azerbaïdjanaise s’est également appuyée sur un très large emploi de drones militaires. Ce conflit a révélé également l’utilisation d’armes non conventionnelles (missiles Smerch à sous-munitions dites 9N235 et bombes au phosphore) (Fig. 9). La particularité de ce conflit a été la confrontation entre deux types opposés de guerre : une guerre des tranchées sur la ligne de front et une guerre technologique moderne avec l’usage des dernières générations de drones.   

Lésions du conflit armé et chirurgie plastique

Les armes utilisées dans ce conflit expliquent en partie la mortalité immédiate sur le front et les lésions observées secondairement. Du côté arménien, il y a eu plus de 2 300 morts. Il nous a été décrit principalement des arrachements de membres nécessitant des amputations de sauvetage dans les hôpitaux civil et militaire de Stepanakert (ville principale de l’Artsakh). Nous avons observé, à l’hôpital de Goris (ville arménienne sur la frontière avec le Haut-Karabakh), de nombreux fracas à haute vélocité aboutissant le plus souvent à des amputations de raison selon la classification de Sylvain Rigal [11]. Nous avons également noté, lors de la mission de Novembre 2020, que 95 % des blessés de guerre hospitalisés à l’hôpital Erebouni présentaient des lésions par explosions. Paradoxalement, il y avait peu de lésions par balles.

Lors de la première mission, et dans la prise en charge immédiate des blessés, la présence d’un chirurgien plasticien nous a semblé finalement peu opportune. Seuls les réanimateurs, les chirurgiens viscéraux et orthopédistes ont semblé apporter une réelle efficacité dans ces circonstances. Le plasticien peut tout au plus jouer son rôle de chirurgien dans le contrôle de l’hémorragie, le parage initial, la revascularisation d’un membre, la pose d’un fixateur externe, voire un rôle d’aide opératoire. Nous avons observé, lors de notre séjour, que le parage initial des blessures balistiques était peu effectué dans l’urgence. Nous avons donc pratiqué un parage systématique des plaies par explosion, lavé abondamment et laissé les pertes de substance en cicatrisation dirigée hormis les cas où une structure noble était largement exposée comme une articulation ou un gros vaisseau [12,13].  

Lors de la seconde mission, en urgence différée, la chirurgie plastique a retrouvé son intérêt avec notamment les parages secondaires, les conseils sur la prise en charge des cicatrisations dirigées compliquées, les amputations, les explorations des lésions neurologiques, la stabilisation par fixateur externe et la préparation des reconstructions secondaires avec l’apport de lambeaux fiables. Dans ce contexte de lésions par explosions associant souvent des lésions complexes et étagées des vaisseaux, et en l’absence de bilan vasculaire, nous avons évité de faire des lambeaux microchirurgicaux. Nous avons noté par ailleurs que les cas cliniques compliqués, nécessitant une reconstruction sophistiquée, étaient souvent gérés séparément par les spécialistes arméniens. Notre mission a donc permis de présenter la notion d’ortho-plastie qui permet le travail en parfaite collaboration entre le chirurgien orthopédiste et le chirurgien plasticien et de manière concomitante pour la reconstruction des membres. Nous proposons de surcroit, et en prévision d’un futur conflit armé, que la prise en charge des blessés de guerre se fasse selon un circuit spécifique (en dehors des programmes de blocs opératoires habituels), par une équipe entièrement dédiée aux patients et avec une prise en charge globale. C’est dans cette optique que la collaboration avec des équipes étrangères pourrait être plus efficace.

            Lors de la troisième mission, à deux mois de la fin du conflit, nous avons pu continuer à appliquer le concept de la reconstruction ortho-plastique tant dans l’indication opératoire que dans la réalisation de l’intervention [14]. Ainsi, les chirurgiens orthopédistes arméniens ont pu découvrir la reconstruction osseuse par la technique de la membrane induite de Alain-Charles Masquelet. En effet, cette option chirurgicale dans la reconstruction des membres était peu connue de nos confrères sur place qui sont formés à la technique de Gravriil A. Ilizarov [15].  Le premier temps de la technique de Alain-Charles Masquelet a pu être réalisé lors de la deuxième et de la troisième mission. Cela nécessite une stabilisation osseuse de la fracture, idéalement par une plaque ou par un clou centro-médullaire, associée à la mise en place d’un « spacer » en ciment. Une couverture du foyer de fracture est souvent nécessaire par un lambeau fiable dans le même temps chirurgical. Le second temps de la technique, a été effectué six à huit semaines après lors de la mission suivante. Celui-ci consiste en l’ablation du « spacer » en ciment tout en respectant la membrane induite l’entourant qui fera le lit de la greffe osseuse. Cette greffe osseuse spongieuse, souvent massive du fait de grosse perte de substance, est prélevée principalement au niveau de la crête iliaque postérieure. Là encore la collaboration ortho-plastique prend tout son intérêt pour la gestion du soulèvement du lambeau. Dans l’urgence, et dans un environnement précaire, nous continuons à privilégier la couverture d’une fracture ouverte par un lambeau local musculaire fiable greffé secondairement. En revanche, dans l’optique de multiples reprises chirurgicales sur ces fractures compliquées, nous conseillons la pratique d’un lambeau fascio-cutané qui gardera la même trophicité dans le temps [14, 16].      

Lors de notre visite du Centre National des brûlés d’Erevan en Novembre 2020, nous avons été les premiers à évoquer des brûlures par du phosphore blanc sur les jeunes soldats que nous avons rencontrés (Le Point International du 09/11/2020 et Le Point 2517 du 19/12/2020, page 57-60).  Cette étiologie nous a été inspirée par le faisceau d’arguments que nous avons observés : anamnèses évoquées par les soldats sur le front et sur les circonstances des brûlures (notion de « pluie » qui tombe sur eux en l’absence d’explosion proche), lésions préférentielles sur le visage et les mains, lésions cutanées profondes qui cicatrisent difficilement selon les soignants du service des brûlés, notion de mort subite chez des jeunes soldats sans antécédents particuliers et hypocalcémies aiguës et sévères notées sur les bilans. Nos constatations indiquent qu’au moins 13 à 17 patients parmi les 93 brûlés pendant la guerre du Haut-Karabakh de 2020 étaient très probablement des victimes de blessures causées par le phosphore blanc. Nous espérons que lors d’un prochain conflit armé, cette étiologie sera plus rapidement évoquée et que la prise en charge sera donc plus adaptée [7,8,9]. Nous préconisons ainsi de penser systématiquement à cette étiologie dans les conflits modernes, d’enlever les vêtements en cas de doute, de couvrir les zones atteintes par du linge humide (pour isoler le phosphore de l’air), d’éviter les pansements gras (car le phosphore est liposoluble), de faire une surveillance métabolique et cardiologique précoce et de corriger rapidement les hypocalcémies sévères par du gluconate de calcium. La lampe à ultraviolets peut aider à la recherche du phosphore sur les lésions.

Conflit armé et chronologie

Si nous analysons notre action dans le temps, nous pouvons distinguer plusieurs moments d’action de notre prise en charge des blessés relevant de la chirurgie réparatrice. Cette chronologie est celle d’une équipe de médecins de la société civile et peut parfois s’opposer à la chronologie de la prise en charge présentée classiquement par nos confrères militaires. Nous n’avons pas pu respecter la séquence de la stratégie de reconstruction des membres proposée par Sylvain Rigal : 6 heures, 7 jours, 8 semaines, 9 mois [17]. En effet, un chirurgien civil ne peut pas être sur le front et l’accès à certaines zones de conflit est le plus souvent interdit aux non militaires pendant une guerre. A l’opposé, le statut de médecin de la société civile, ou appartenant à une ONG, peut donner plus de spontanéité et de liberté d’action dans ce genre de conflit. Par exemple, le conflit en République d’Artsakh a débuté le 27 Septembre 2020. Notre première mission spontanée et bénévole a débuté le 10 Octobre 2020, donc assez rapidement après le début du conflit. Nous avons donc pu être efficaces. En comparaison, la mission officielle mandatée par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a commencé le 07 Novembre 2020 au moment du cessez-le-feu (10 Novembre 2020) et la première mission organisée par l’AP-HP n’a été organisée qu’au mois de Décembre 2020 c’est-à-dire quand la guerre était terminée. Nous ne blâmons pas ces institutions car elles restent vraiment utiles sur le moyen et le long terme pour la reconstruction des blessés de guerre. Nous voulions simplement préciser, et pour le futur, que dans ces conflits armés modernes, les chirurgiens de la société civile auront de plus en plus un rôle à jouer et qu’ils devront agir dans l’urgence. Ce conflit l’a démontré. C’est l’occasion de rendre un grand hommage aux médecins hospitaliers arméniens qui sont décédés sous les bombes pour soigner leurs compatriotes dans l’urgence du conflit. Chronologiquement, le chirurgien plasticien a un faible rôle à jouer au début sur le front où la priorité est accordée au « damage control » en général. Il pourra toutefois déployer tout son art pour la reconstruction secondaire des blessés de guerre. Nous avions déjà noté cela lors de la prise en charge des blessés du Bataclan où nous étions intervenus tranquillement et de façon organisée le lendemain matin, au lieu d’intervenir de manière précipitée dans la nuit. Cela avait libéré l’espace pour la prise en charge initiale par les équipes du SAMU et des urgences.

Toujours sur le plan chronologique, l’intervention des plasticiens sera surtout opportune en secondaire pour la reconstruction des membres et la couverture des pertes de substances des parties molles puis pour l’aménagement des moignons d’amputation, les corrections des brides et des cicatrices défaillantes. Des greffes et des transferts nerveux de type neurotisation pourront être effectué une fois la cicatrisation des parties molles obtenues. A distance, souvent entre 6 mois et un an, des transferts tendineux, par les spécialistes du neuro-handicap pourront être effectué. Cette période de reconstruction secondaire associera évidemment la collaboration des rééducateurs spécialisés dans l’appareillage des amputés, des kinésithérapeutes, des psychologues et des assistantes sociales pour une meilleure réhabilitation des blessés de guerre.

Conflit armé et conflits d’intérêts

Ce conflit nous a permis d’observer certains conflits d’intérêts. Nous voulions les évoquer simplement pour mieux les gérer lors de futures missions. Nous voulions toutefois rappeler l’excellent accueil des patients arméniens, de l’ensemble des confrères locaux et de la population en général.

L’équipe missionnaire :

  • Le premier paramètre à gérer a été le temps de l’action. Dans ce genre de conflit armé moderne, qui démarre assez rapidement et qui ne dure pas trop longtemps, il convient d’intervenir vite pour soigner le maximum de blessés. Les grandes institutions ont des impératifs d’organisation souvent trop lourds. Elles sont donc moins réactives dans l’urgence. Il faudra donc savoir partir rapidement et, parfois, en dehors de certains circuits officiels.
  • Le second paramètre est la constitution de l’équipe. Le chirurgien plasticien ne sera pas indispensable dans la première mission qui partira en urgence. En revanche, la chirurgie réparatrice s’imposera dès l’urgence secondaire et pendant toute la phase de reconstruction. Nous conseillons à l’équipe de rester ensemble dans l’action chirurgicale au sein d’un hôpital. Nous n’avons pas trouvé efficace de séparer les différents intervenants dans les différents services pour opérer. Les temps d’adaptation, d’acceptation et d’organisation avec les problèmes de traduction ont nui finalement à l’efficacité chirurgicale de chacun.
  • Le troisième paramètre concerne le matériel à emporter. Nous restons fidèles au concept d’autonomie en mission [18]. Il convient de prévoir tout ce dont vous avez besoin pour opérer et de manière autonome. Il est évident que les conditions d’exercice restent meilleures dans un pays du Sud du Caucase en comparaison à celles rencontrées habituellement dans les pays en voie de développement, mais l’autonomie rendra plus efficace l’action d’autant que l’équipe opèrera dans des conditions et des structures inhabituelles.
  • Le quatrième paramètre est plus sociologique. La finalité d’une telle action est de soigner les blessés de guerre en collaboration et en soutien des confrères locaux. Il ne s’agit en aucun cas d’intervenir en pays conquis ou en spécialistes indispensables qui se substituent au système de santé en place. Il faut bien l’expliquer, savoir se présenter et ne pas hésiter à valoriser le rôle des confrères sur place plutôt que d’essayer de se valoriser médiatiquement ou politiquement sur la souffrance du moment.
  • Le cinquième paramètre est plus politique et concerne la divergence entre les objectifs diplomatiques du pays qui envoie une assistance médicale et les motivations personnelles des membres de l’équipe. Dans le cas de ce conflit, la France par l’intermédiaire du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a envoyé en même temps une équipe à Erevan et à Bakou pour maintenir une certaine neutralité diplomatique de la France dans ce conflit. Nous le comprenons mais cela a été très mal vécu par les autorités arméniennes qui nous ont reçues et cela n’a pas été très bien compris par la plupart des membres de l’équipe française qui s’est rendue en Arménie. En effet, et à titre d’exemple, la présence de djihadistes dans les rangs des combattants azéris était condamnable et le soutien de la France à Bakou nous a semblé incompréhensible à ce moment du conflit. Il convient donc, avant le départ, de bien comprendre les objectifs de la mission.

   Les institutions et les services hospitaliers hôtes :

Nous faisons toujours la différence entre les institutions qui nous reçoivent et les confrères locaux qui nous accueillent.  

  • Les autorités du pays hôte sont généralement contentes de l’assistance médicale d’un pays étranger et surtout en temps de guerre. Le retentissement semble toujours positif pour les patients, pour l’aide matérielle apportée et pour les retombés médiatiques du gouvernement en place. Nous déplorons toutefois, et souvent dans ce genre de circonstances, l’absence de cohérence entre le matériel envoyé et les véritables besoins sur le terrain.
  • L’accueil dans le milieu hospitalier a parfois été délicat à appréhender.
  • Nos missions ont généralement été reçues avec beaucoup de bienveillance par la communauté médicale arménienne. Cependant, la médiatisation initiale de nos missions, bien qu’indépendante de notre volonté, semble avoir contrarié initialement certains confrères hospitaliers qui nous ont reçus. Nous le comprenons. Les autorités sanitaires locales et les médias exploitent souvent les actions bienfaitrices étrangères alors que les médecins locaux font souvent le travail le plus important mais ils restent dans l’ombre. Nous comprenons cette injustice et nous conseillons des arrivées plus discrètes sur le plan médiatique dans ce genre de mission.
  • D’autre part, la notion d’hôpital en Arménie est différente de celle observée en France. Les hôpitaux dans lesquels nous avons travaillé sont l’équivalent de nos cliniques. Donc, opérer un patient dans un hôpital à Erevan, c’est opérer un patient privé d’un praticien. En pratique, et en période de conflit armé, il faut accepter le système de santé local, intervenir qu’à la demande des confrères locaux et en aucun cas se substituer à leurs actions. Ne pas comprendre cela, c’est entrer en conflit avec les confrères du pays et rendre inefficace notre objectif premier qui est d’apporter notre expertise pour le maximum de patients. C’est surtout compromettre le développement d’une coopération fiable et amicale sur un moyen et un long terme.

 

CONCLUSION

La prise en charge des blessés de guerre aujourd’hui n’est plus réservée exclusivement aux autorités militaires. Les équipes médicales civiles et humanitaires doivent se préparer de plus en plus à la prise en charge des lésions secondaires aux différents conflits armés observés dans le monde. De surcroit, l’usage d’armes non conventionnelles, comme les bombes au phosphore blanc ou les bombes à sous-munitions, demande une prise en charge spécifique qui devra être enseignée aux équipes chirurgicales sur le terrain.

Le chirurgien plasticien garde une place importante dans la prise en charge des blessés de guerre mais peu dans le cas du damage control. Le plasticien pourra intervenir dès le stade de l’urgence différée pour le parage, la stabilisation osseuse, la couverture des pertes de substances et la programmation des reconstructions complexes. Nous conseillons, en urgence secondaire, d’appliquer le concept de chirurgie ortho-plastique dans la reconstruction des membres. Les orthopédistes arméniens, éduqués à l’école russe de la reconstruction osseuse, nous ont bien initiés à la technique d’Ilizarov qui reste bien adaptée aux lésions de guerre. Le Pr Thierry Bégué a introduit la technique de la membrane induite dans la reconstruction osseuse secondaire en Arménie. La nécessité d’une couverture des parties molles par un lambeau fiable est une condition nécessaire et justifie la présence indispensable d’un chirurgien plasticien dans cette reconstruction. Nous avons été honorés d’introduire cette « French touch » dans cette étape de la reconstruction des blessés du conflit armé en République d’Artsakh de 2020.

Concernant l’intervention d’une équipe médicale étrangère lors d’un conflit armé, il nous semble évident de rappeler que toute action sur le terrain ne pourra s’envisager qu’avec l’autorisation des institutions médicales du pays et, surtout, l’approbation des équipes médicales locales. Notre action ne pourra s’effectuer qu’en collaboration avec les médecins locaux et dans le respect des règles de confraternité. Quel que soit le niveau d’expertise présenté, il ne faut pas oublier que les confrères locaux sont toujours les premiers à assister leurs concitoyens dans les conflits armés et qu’ils seront les derniers présents quand les équipes étrangères auront quitté le pays.      

Déclarations d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet  article.

 

BIBLIOGRAPHIE

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FIGURES

Fig 1 : Lésions de criblage caractéristiques des explosions par bombes

 

Fig 2 : Lésions balistique sévères et brulures.

 

Fig 3 : Parage des plaies (A) et cicatrisation dirigée (B)

B

A

Fig 4 : Traumatisme balistique sévère de la région poplitée droite.

 

Fig 5 : Lésions du visage par explosion de bombe

 

Fig 6 : Traumatisme balistique sévère du coude droit. A/ Parage et levée du lambeau brachial externe à pédicule distal. B/ Radiographies préopératoires. C/ Fin de l’intervention après ostéosynthèse et couverture par le lambeau brachial externe. D/ Résultat postopératoire à 2 mois. E/ Radiographies postopératoires

 

Fig 7:  Reconstruction osseuse secondaire des séquelles d’une fracture ouverte type Gustilo et Anderson IIIB. A/ Aspect préopératoire avec fixateur externe, ostéonécrose et perte de substance cutanée B/ Parage osseux. C/ Clou centromédullaire, ciment et lambeaux musculaires de jumeau interne et d’hémi-soléaire greffés D/ Radiographies postopératoires. E/ Résultat postopératoire à deux mois avant la greffe osseuse spongieuse secondaire.

 

Fig 8 : Reconstruction secondaire par la technique de la membrane induite sur des séquelles de blessure de guerre. A/ Complication d’une tentative d’une reconstruction osseuse humérale par fibula. B/ Parage, clou centro-médullaire et ciment. C/ Levée d’un lambeau musculo-cutané en ilot du muscle grand dorsal homolatéral D/ Couverture de la perte de substance et du spacer par le lambeau en attendant le deuxième temps de greffe osseuse spongieuse.

 

Fig 9 : Bombe à sous munitions à Martuni, république du Haut Karabach.

Prise en charge des séquelles de brulure en zone rurale dans les pays en voie de développement

Introduction

Les brulures, et leurs séquelles, constituent un véritable drame pour les patients et elles représentent, par leurs nombres, un vrai problème de santé publique dans les pays en voie de développement. Elles sont fréquemment rencontrées en missions humanitaires. Selon notre expérience, ces séquelles représentent 25 % à 50 % de nos interventions chirurgicales pratiquées lors d’une mission en zone rurale.

Cet article présente les différentes séquelles de brulure observées en pratique courante et sur les différentes zones anatomiques. Il propose surtout une prise en charge adaptée à l’environnement particulier du dispensaire ou de la vie au village.

Matériel et Méthodes

Lors de nos missions, nous avons rencontré de très nombreuses séquelles de brulures et à différents stades. Leur prise en charge a été réalisée le plus souvent dans des conditions très sommaires tant sur le plan de l’environnement que sur les conditions opératoires. Le choix de la technique chirurgicale a été fait en fonction du patient, du contexte et des possibilités de suivi. Nous avons utilisé tout l’éventail classique des techniques de chirurgie réparatrice à savoir les greffes de peau, les plasties cutanées et les lambeaux. Nous n’avons pas proposé dans ce contexte l’expansion cutanée et la microchirurgie. Comme l’acte chirurgical, l’anesthésie s’est effectuée dans un environnement peu rassurant et elle a demandé la présence d’un anesthésiste expérimenté [1]. L’anesthésie loco-régionale a été préférée chaque fois qu’un seul membre était concerné. Une sédation voire une anesthésie générale a été associée quand cela était nécessaire. La prise en charge de la douleur a été systématiquement proposée dans la période postopératoire et pour les pansements.

Résultats

          Pour cette présentation, nous avons défini une fenêtre d’observations sur 10 années de missions (2003 – 2013) soit sur 30 missions chirurgicales. Nous avons fait sur cette période environ 1500 interventions. Les séquelles de brulure ont représenté 25 % des indications en moyenne soit 375 cas. Toutefois, et en fonction des missions, le pourcentage des séquelles de brulures a pu varier et atteindre 50 % des cas présentés. Nous n’avons pas observé de différence de sexe chez les patients en consultation. Nous avons observé une prépondérance d’enfants et d’adultes jeunes dans nos missions en zone rurale.

Les accidents domestiques ont représenté la principale étiologie des brulures observées au village. Une prise en charge initiale adaptée étant inexistante dans ce contexte, les rétractions ont été majeures. Les patients se sont présentés en consultations avec des rétractions invalidantes plus ou moins anciennes. Les enfants qui sont restés dans le foyer familial ont présenté un état nutritionnel satisfaisant. En revanche, nous avons observé chez les adultes handicapés par des séquelles de brulure des situations personnelles, et donc sanitaires, plus souvent dégradées.

Nous avons rencontré en mission qu’occasionnellement des patients en phase aigüe de brulure. Les accidents professionnels ont été encore plus exceptionnels dans ce contexte mais généralement plus graves.

Des séquelles cutanées ont été systématiquement observées après une brulure. Toutes les régions anatomiques ont été concernées avec néanmoins une prépondérance des lésions au niveau des membres et surtout de la main. Dans notre casuistique, les brides séquellaires au niveau du membre supérieur ont concerné environ 70% de nos indications. Les brides cicatricielles avec un réel retentissement fonctionnel ont été observées au niveau de la région cervicale, de la région axillaire, du coude, du poignet, des doigts, du genou et de la cheville. Au niveau articulaire, la bride rétractile a souvent été associée à un placard cicatriciel environnant. Seule la région axillaire, la face antérieure du coude et la face postérieure du genou ont parfois présenté une bride rétractile avec de la peau environnante relativement respectée. Nous avons rencontré dans notre expérience de missions rurales peu d’articulations enraidies. Seule une rétraction ancienne a nécessité une arthrolyse concomitante. Pour finir, et dans notre expérience, nous avons rencontré une grande demande de réparation à visée esthétique de la part des patients.    

Nous avons utilisé les techniques classiques de chirurgie plastique. Les brides simples ont été sectionnées. Les placards cicatriciels ont été excisés. Les pertes de substance ont été systématiquement fermées. Suivant la région, nous avons le plus souvent associé des greffes de peau et des lambeaux cutanés locaux. Pour les grandes surfaces, nous avons fait des greffes de peau mince et des greffes de peau totale. Pour les très grandes surfaces nous avons parfois fait des greffes de peau mince en filet. Une bride avec de la peau saine environnante a répondu à des plasties en « Z » ou à des plasties « en trident ». Quand la rétraction était associée un placard cicatriciel, nous avons préféré une plastie en « IC » ou une plastie en « Z asymétrique ». Quand la demande en greffe de peau mince était étendue, le site du prélèvement a été la cuisse. Quand le besoin en greffe de peau totale était également important, nous avons préféré le prélèvement dans la région du sillon abdominal inférieur. L’anesthésie loco-régionale a toujours été privilégiée. Une sédation générale par Kétamine ou une anesthésie générale a été proposée chez l’enfant quand le prélèvement d’une greffe de peau concomitante a été nécessaire.

Nous n’avons pas noté plus de complications, et notamment infectieuses, que dans notre activité chirurgicale française. La kinésithérapie a été inexistante en postopératoire par manque d’agents de santé formés. En revanche, nous avons noté une très forte capacité d’auto rééducation chez les adultes par la reprise du travail et, surtout, chez les enfants par le jeu.

Le suivi à long terme a été difficile à apprécier réellement mais l’amélioration postopératoire immédiate a le plus souvent été probante. Les photographies avant et après l’intervention ont été systématiques et elles ont confirmé le sentiment d’amélioration clinique immédiat.

Discussion

          Pour mieux répondre à la demande en soins des zones rurales, nous avons fait le choix depuis une vingtaine d’année d’aller travailler en dispensaire. Cela nous a permis d’apporter des soins aux patients qui, et nous le savons, n’ont pas les moyens d’accéder aux hôpitaux [2].

          Il est actuellement impossible de donner des chiffres précis dans ces pays en voie de développement mais l’expérience de terrain nous a indiqué que les séquelles de brulures sont un véritable problème de santé publique [3].

          Tous les âges ont été concernés par les séquelles de brulures mais les enfants et les adultes jeunes ont été très nombreux dans ces zones rurales. Nous expliquons cela par l’étiologie de la brulure qui est principalement domestique avec notamment le foyer traditionnel qui se trouve à l’intérieur de la case. D’autre part, les adultes se sont moins présentés à la consultation car ils ont souvent d’autres priorités comme le travail aux champs et les récoltes. L’adulte s’est généralement adapté à une rétraction ancienne et ne peut pas toujours se permettre d’arrêter de travailler. Il a donc existé un biais de sélection lors de nos consultations aux villages. Tous les patients ne se sont pas présentés.

          Dans cet environnement rural, seuls les tradipraticiens peuvent intervenir initialement. La plupart applique divers substances (onguents, cataplasme, terre) ou diverses structures (compresses, tissus) complètement inefficaces voire dangereuses. Je n’évoque pas le dentifrice tant il est communément appliqué par les patients en Afrique ou les feuilles de banane à Madagascar qui pourraient avoir des propriétés cicatrisantes. Nous comprenons le rôle des thérapeutes traditionnels qui, finalement, sont les seuls à apporter un peu de réconfort à ces patients complètement démunis et isolés. Nous voudrions simplement qu’ils évitent d’aggraver la cicatrisation par des applications inappropriées et qu’ils se contentent de laver la plaie avec de l’eau et du savon.  Nous leur proposons également d’immobiliser le membre en position de fonction chaque fois que cela est possible.  

L’automédication en antalgiques, voire en antibiotiques, est un réel problème aujourd’hui dans les pays en voie de développement. Les faux médicaments représentent de surcroit un vrai fléau sur les marchés des villages de l’Afrique sub-saharienne [4].

L’absence de prise en charge des brulures a favorisé des rétractions maximales. La douleur isole le patient qui reste prostré et en position de rétraction maximale. Le patient finit par cicatriser mais il présente d’inévitables rétractions invalidantes. C’est souvent à ce stade qu’il nous a été présenté. Le jeune âge est resté paradoxalement un point positif dans certains cas. L’enfant jouant beaucoup, la mobilisation des articulations a pu engendrer une expansion cutanée secondaire. Il n’a pas été rare de voir des brides au niveau du creux axillaire et du coude chez l’enfant associée à une expansion de peau saine environnante. Cela a facilité la correction secondaire de la bride rétractile par des lambeaux locaux. Chez l’adulte, nous avons moins observé d’expansion secondaire de la peau. L’adulte a plutôt adapté son handicap aux gestes de la vie courante et nous avons observé plus souvent des zones très fibreuses sur les points d’appui. Cela a compliqué les plasties locales. 

En présence d’une bride cutanée rétractile séquellaire, la chirurgie nous a semblé être la solution la plus efficace et, cela, même en zone rurale. Bien que l’environnement n’ait pas été idéal pour faire de la chirurgie, nous avons toujours observé un réel bénéfice pour les patients. Nous avons privilégié les techniques fiables avec un seul temps opératoire et qui proposent des suites simples [5]. Les pertes de substances observées après la libération des brides ont souvent été plus importantes que ce qui était prévu en consultation. Nous conseillons donc d’anticiper et de prélever beaucoup de peau pour faire les greffes de peau dans ce contexte. C’est pour cela que nous avons privilégié le prélèvement cutané abdominal inférieur qui a permis d’apporter beaucoup de peau avec des suites simples. Il a également l’avantage de laisser une cicatrice quasiment invisible. Selon notre expérience, nous n’avons pas noté plus de complications et notamment infectieuses dans cet environnement. Nous avons pu comparer avec les missions humanitaires effectuées dans les centres hospitaliers des mêmes pays. Nous pensons qu’il y a plus de risques infectieux dans les centres hospitaliers qu’en cases de santé. De surcroit, les germes rencontrés en zone rurale ont été très sensibles aux antibiotiques de base.

Nous avons toujours orienté nos techniques en fonction du patient et de l’environnement. En pratique, nous proposons maintenant de discuter nos indications en fonction des différentes régions anatomiques. Nous proposons surtout de focaliser notre discussion sur les particularités de nos indications dans ce contexte particulier.

 

  • Séquelles de brulure au niveau du scalp :

Au niveau du scalp, nous avons surtout observé des pertes de substance anciennes et en cicatrisation spontanée négligée. Après des soins locaux efficaces, une greffe de peau mince a souvent permis d’obtenir une cicatrisation plus rapide et une couverture cutanée de bonne qualité.

 

  • Séquelles de brulure au niveau du cou :

Dans cette localisation, et surtout dans cet environnement, nous avons proposé soit des plasties cutanées locales pour les brides localisées soit une grande excision du placard fibreux cervical antérieur suivie d’une greffe de peau totale. Cependant, et avec du recul, nous avons souvent été déçu sur le résultat à long terme (rétraction secondaire). Aujourd’hui, nous conseillons d’associer à la greffe de peau totale une compression ou une minerve cervicale pour le moyen ou le long terme. Il est toujours possible de trouver localement un tailleur et du tissu adapté pour fabriquer un vêtement compressif type « Presslift ». Nous ne conseillons pas le lambeau musculo-cutané de grand dorsal en dispensaire.

   

  • Séquelles de brulure au niveau de la face :

Les séquelles à ce niveau n’ont pas présenté de particularité et nous avons préconisé l’association de greffes de peau totale respectant les unités esthétiques et des lambeaux locaux. Les patients avec des greffes de peau ont été programmé en début de mission pour pouvoir faire le premier pansement dans de bonnes conditions.  Dans nos missions en dispensaire, nous avons préféré les techniques avec un seul temps opératoire. Cependant, et si une deuxième mission a pu être prévue sérieusement, nous avons pu envisager un lambeau avec son second temps de sevrage comme le lambeau frontal. Nous rappelons que cette solution, en zone rurale, doit rester exceptionnelle tant les aléas pour revoir un patient restent fréquents.

 Séquelles de brulure du thorax :

Dans notre expérience, nous avons rencontré surtout des placards fibreux sans réelle rétraction. Dans ce contexte, nous avons proposé l’expectative. Cependant, la moindre bride pourra répondre à une plastie cutanée locale. La quantité de peau saine environnante est généralement suffisante.

 

  • Séquelles de brulure du creux axillaire :

 

Il s’agit d’un grand classique de la séquelle de brulure dite humanitaire. Généralement, la bride a très bien répondu à une plastie en trident voire à l’association de plusieurs plasties en Z. Nous avons observé une spécificité chez l’enfant brulé qui présente souvent une bride axillaire associée à une expansion cutanée environnante [Photographie 1]. Dans ce cas, l’excédent cutané produit a facilité la pratique d’une grande plastie en Z.

 

  • Séquelles de brulure du coude :

Dans nos missions, nous avons surtout observé des séquelles de la face antérieure du coude sous la forme soit d’un large placard cicatriciel soit d’une grande bride rétractile.

+ Bride rétractile : Ici, également, nous avons souvent été agréablement surpris par la présence de peau saine expansée autour de la bride et notamment chez l’enfant.

Nous avons expliqué la faible étendue de la brulure par le réflexe naturel de protection que l’on oppose devant une projection brûlante. Le fond du pli articulaire est alors épargné.

+ Placard cicatriciel : Chez l’adulte, et devant un placard, nous avons conseillé d’éviter les petites plasties cutanées locales et nous avons préféré l’excision complète de la zone séquellaire associé à des greffes de peau. Celles-ci peuvent être totales au niveau du pli et minces en périphérie. Devant une exposition importante des éléments vasculo-nerveux, nous avons préféré le lambeau de grand dorsal en ilot et en un seul temps opératoire. Chez l’enfant, nous avons raisonné de la même façon en proposant l’excision complète du placard associée à des greffes de peau. Quand les conditions de prise en charge ont été moins favorables, nous avons préféré simplement sectionner la bride et interposer de la peau saine avec une plastie cutanée locale (lambeau IC ou plastie en Z asymétrique). La mobilité spontanée chez l’enfant a permis une expansion secondaire de cette peau saine. Le résultat est souvent surprenant.

   

  • Séquelles de brulure du poignet :

Dans cette localisation, nous avons proposé deux critères pour poser notre indication : l’ancienneté de la rétraction et l’environnement.

+ Indication en fonction de l’ancienneté de la rétraction :

Devant des séquelles anciennes, avec des rétractions capsulo-ligamentaires et des déformations osseuses associées, nous avons préféré l’expectative en dispensaire. Il a toujours été risqué d’exposer une articulation dans cet environnement voire de pratiquer des ostéotomies.

A l’opposé, nous avons toujours libéré un poignet souple dont les amplitudes ont été limitées par une bride cutanée relativement récente. Nous avons cependant attiré l’attention sur l’importance de la perte de substance produite par la libération chirurgicale d’un poignet et par l’exposition fréquente des structures nobles sous-jacentes. Dans ce cas, un lambeau s’est souvent imposé. Nous avons toujours été satisfait par le lambeau inguinal qui a l’avantage d’être très fiable dans ce contexte et facile à faire. Il a eu cependant l’inconvénient de nécessiter un deuxième temps opératoire au bout de trois semaines. Dans notre expérience, nous avons toujours trouvé un agent de santé ou un confrère local pour ce temps de sevrage qui est resté assez simple. Cela a pu sembler surprenant mais l’expérience de terrain a pu l’attester.

+ Indication en fonction de l’environnement : 

L’environnement a été primordial pour poser l’indication. Si un lambeau fiable n’a pas été possible pour couvrir une articulation exposée, nous avons toujours conseillé de ne pas intervenir. Cependant, et devant certaines rétractions majeures avec « accolement » de la face dorsale de la main sur l’avant-bras nous avons trouvé une alternative [Photographie 2]. Dans ce contexte nous savions qu’une reconstruction complexe n’était pas envisageable mais nous avons appris que le redressement du poignet a toujours été bénéfique pour le patient. Nous avons donc « poussé » nos indications tout en sachant que le résultat fonctionnel ne serait pas parfait. Sous anesthésie, nous avons sectionné la bride dorsale au bistouri froid et nous avons redressé le poignet par des tractions manuelles progressives [Photographie 3]. Nous avons pu obtenir une extension totale du poignet sans exposition de l’articulation. Nous avons pu faire une greffe de peau totale pour couvrir la perte de substance [Photographie 4]. Une attelle antérieure a parfois été mise en place pour maintenir le poignet en position « intrinsèque plus ». Le résultat n’a pas été parfait sur le plan fonctionnel (raideur du poignet) mais la main en meilleure position a facilité la vie du patient et a amélioré l’esthétique du membre. Il s’agit typiquement d’une intervention qui a été adaptée à l’environnement précaire et qui a répondu à la demande du patient qui vit en zone rurale. Nous aurions raisonné différemment si nous étions en centre hospitalier.

 

  • Séquelles de brulure de la main et des doigts :

Au niveau de la main, nous considérons immédiatement l’ancienneté des rétractions et la possibilité, ou non, de faire de la kinésithérapie en postopératoire.

Nous libérons systématiquement les brides chez les enfants pour anticiper les déformations lors de la croissance. Les greffes de peau totale ont largement été appliquées au niveau des doigts. Nous avons préféré les greffes de peau intermédiaire pour la face dorsale de la main. Les commissures ont bien répondu aux plasties locales [6]. La capacité d’auto-rééducation des enfants a été un facteur favorisant et les résultats chez eux ont souvent été surprenants.

Pour les rétractions plus anciennes observées chez l’adolescent et l’adulte, l’absence d’une kinésithérapie efficace postopératoire a contre-indiqué beaucoup d’interventions. Il s’agit d’une option particulière mais nous l’assumons. Nous avons corrigé pendant des années des rétractions des doigts en associant une correction des brides, une arthrolyse voire la mise en place de broches articulaires temporaires. L’absence de mobilisation active et passive rigoureuse dans les suites n’a pas permis de conserver le bon résultat obtenu immédiatement. En pratique, et pour éviter des interventions inutiles, nous n’opérons plus les rétractions anciennes en flexion au niveau des doigts si le patient ne peut pas avoir un suivi sérieux. Nous contre-indiquons également toutes réparations tendineuses secondaires dans ces conditions. Il faut bien l’expliquer mais l’acceptation par le patient ou les agents de santé locaux nous a semblé difficile en pratique. Ils n’ont pas toujours compris l’importance de cette prise en charge postopératoire pour la pérennisation d’un bon résultat. En revanche, et chaque fois que cela a été possible, nous avons libéré les commissures par des plasties cutanées et nous avons traité les brides digitales quand c’était positif pour le patient. Nous avons utilisé l’arsenal classique des plasties cutanées, des greffes de peau totale et des lambeaux cutanés.

  

  • Séquelles de brulure du genou :

 Dans cette localisation, nous accordons également beaucoup d’importance à l’ancienneté des lésions.

 Nous avons toujours été agréablement surpris par la correction d’un flessum chez l’enfant. Quelle que soit la technique utilisée, l’auto-rééducation spontanée des enfants a favorisé l’extension secondaire du membre. Nous avons préconisé un lambeau local ou une greffe de peau totale sur le creux poplité et des greffes de peau mince sur le reste de la perte de substance. Une attelle postopératoire a souvent été favorable pour la période postopératoire. Nous n’avons pas essayé d’obtenir une extension totale lors de la première intervention (risque de lésions vasculaires sur les rétractions anciennes) [7].

Chez l’adulte, nous avons souvent été déçus par les lambeaux locaux. En effet, la section de la bride a souvent engendré une grande perte de substance. Les plasties cutanées locales n’ont pas été suffisantes pour couvrir l’ensemble de la perte de substance. Nous avons proposé un lambeau de rotation local type grande plastie en IC pour couvrir le creux poplité. Le reste de la perte de substance a été greffé avec de la peau mince.       

 

  • Séquelles de brulure de la cheville et du pied :

 En mission, nous avons surtout observé des séquelles cutanées sur la face antérieure de la cheville et du pied.

Au niveau de cheville, et en dispensaire, il a été difficile voire dangereux d’essayer d’obtenir une mobilité articulaire satisfaisante par arthrolyse sur un blocage ancien. Nous nous sommes contentés donc de sectionner la bride cutanée par une ou plusieurs plasties locales.

Au niveau de la face dorsale du pied, les séquelles se sont souvent accompagnées d’une rétraction en extension des orteils. Devant une rétraction récente avec des orteils mobiles, nous avons proposé la correction d’une bride par une plastie cutanée et la correction d’un placard fibreux par son exérèse suivie d’une greffe de peau intermédiaire. Nous ne réparons plus les rétractions anciennes des orteils. Il s’agit encore d’une option particulière mais nous l’assumons. En effet, la correction de telle déformation nécessite une grande libération cutanée et capsulo-ligamentaire suivie d’une reconstruction secondaire sophistiquée. La fixation des orteils redressés nécessite la mise en place de broches. Les suites seront donc délicates et les risques infectieux non négligeables. Nous avons donc préféré surseoir à de telles corrections d’autant que l’utilisation de chaussure ouverte dans ces pays chauds a toujours facilité le chaussage avec ces orteils déformés. Nous avons dans certains cas proposé l’amputation des orteils pour faciliter le chaussage éventuel et l’esthétique du pied. Cette solution a été systématiquement refusée localement et pour de raisons culturelles. Nous l’avons respecté.  

Conclusion

La demande en chirurgie réparatrice est très importante en zone rurale dans les pays en voie de développement. Les séquelles de brulures représentent, en moyenne, 25 % de nos cas rencontrés en missions. Elles concernent majoritairement le membre supérieur de l’enfant et de l’adolescent.

Nos techniques chirurgicales et nos indications se sont adaptées à la précarité de l’environnement et nous avons pu obtenir de bons résultats tant sur le plan fonctionnel qu’esthétique.

La prise en charge de la séquelle de brulure en zone rurale est, selon notre expérience, un véritable enjeu sanitaire pour ces pays. Elle reste possible en dispensaire avec les techniques classiques de chirurgie réparatrice. Elle améliore souvent, et à faible coût, une fonction altérée. Elle peut surtout transformer la vie de ces patients démunis et isolés.

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[2] Knipper P, Antoine P, Carré C, Baudet J. Chirurgie Plastique Nomade : 1 ONG, 10 années, 30 missions. Annales de Chirurgie Plastique Esthétique. Volume 60, N° 3, Juin 2015, Pages 184-191

 [3] Foussadier F, Knipper P, Voulliaume D. Traitement des séquelles de brûlures en mission humanitaire. L’humanitaire en chirurgie maxillo-faciale et en chirurgie plastique, sous la direction du Pr Hervé Bénateau – Editions Sauramps Médical – Novembre 2018 – page 121-134.

[4] Plançon A. Faux médicaments. Un crime silencieux. Les Editions du Cerf, 2020. ISBN 978-2-204-13239-8

[5] Knipper P. Chirurgie Plastique en Situation Précaire : Concept 5F. Annales de Chirurgie Plastique Esthétique, Vol 49 – N° 3 – juin 2004, Page 306-313

 [6] Gachie E, Casoli V. Séquelles de brûlures des mains. Annales de chirurgie plastique esthétique, Volume 56 – N° 5 – Octobre 2011, pages 454-465 

[7] Sankale AA, Manyacka Ma Nyemb P, Coulibaly NF, Ndiaye A, Ndoye M. Les cicatrices rétractiles post-brûlures du membre inférieur chez l’enfant.  Ann Burns Fire Disasters 2010 Jun 30 – 23(2): 75-80.

           Légendes des photographies : 

Photographie 1 :Enfant malgache présentant une séquelle de brulure du creux axillaire droit avec une expansion secondaire de la peau environnante. Vues avant et après une plastie en Z.  

Photographie 2 :Vue préopératoire d’une adolescente tchadienne présentant une séquelle de brulure de la face dorsale du poignet gauche.

  

Photographie 3 :Vue peropératoire d’une adolescente tchadienne après la section de la bride et le redressement du poignet par tractions progressives. 

 

Photographie 4 :Vue peropératoire d’une adolescente tchadienne après greffe de peau totale sur la perte de substance de la face dorsale du poignet.        

                 

Les retouches après une lipoaspiration

Les retouches après une lipoaspiration

           La lipoaspiration est une intervention qui peut être magique. Elle est assez récente dans l’histoire de la chirurgie plastique (années 1970 – 1980) mais elle reste une des interventions les plus pratiquées au monde. Elle nécessite cependant une parfaite connaissance de la technique chirurgicale et une bonne indication pour que les résultats soient satisfaisants. Elle ne peut être pratiquée que par un chirurgien spécialiste.

Bien que parfaitement exécutée, les résultats peuvent varier en fonction de différents facteurs. Les retouches après une lipoaspiration sont donc habituelles et elles devraient faire partie de l’intervention première. Je m’explique…

 

 

Quelles sont, plus généralement, les raisons d’une retouche en chirurgie plastique ?

 

L’acte chirurgical est un acte technique qui implique de nombreux facteurs et différents acteurs. Il essaye de répondre à un ou plusieurs objectifs. Le résultat obtenu est généralement satisfaisant voire exceptionnel mais il peut présenter des imperfections. Idéalement, une intervention chirurgicale ne nécessite pas de retouche. Cependant, et dans certains cas, celle-ci peut être envisagée. Cette notion doit toujours être évoquée avant l’intervention. En effet, et surtout en chirurgie esthétique, la notion de « résultat » est toujours difficile à préciser. Que désire réellement le patient ? Qu’attend-il vraiment de l’intervention ? Que peut lui apporter la chirurgie ? Le mécontentement survient souvent quand le patient n’a pas obtenu ce qu’il voulait. Ce mécontentement doit être considéré comme une pseudo complication car il nécessite une vraie prise en charge secondaire. Pour éviter tout cela, et si une amélioration semble possible, une simple retouche viendra parfois apaiser ce mécontentement.

Le chirurgien plasticien n’a pas d’obligation de résultat au sens juridique du terme mais l’intervention sera réussie si le résultat désiré par le patient est obtenu. Si le résultat est plastiquement bon mais que le patient veut plus, nous évoquerons plutôt la notion de geste complémentaire. Il faudra négocier. Si le résultat est objectivement imparfait sur le plan esthétique, nous envisagerons une retouche chirurgicale. Il faudra l’expliquer.

 

Les raisons d’une retouche en chirurgie plastique :

 

  • 1/ La technique appliquée initialement n’est pas parfaite.

 

La reprise chirurgicale viendra corriger l’imperfection du geste technique premier et cela reste souvent de la responsabilité de l’opérateur.

 

  • 2/ Le résultat esthétique obtenu est satisfaisant mais il peut être amélioré. Dans ce cas, trois situations sont possibles :

 

a/ soit un évènement est venu interférer avec les suites de l’intervention.

Par exemple, une intervention peut être parfaitement réalisée mais une légère infection postopératoire compromet la cicatrisation finale. La cicatrisation normale s’en trouvera altérée laissant une cicatrice inesthétique. Dans ce cas, une reprise de cette cicatrice après l’intervention permettra d’améliorer le résultat final si le patient le désire.

 

b/ soit parce que l’évolution habituelle de l’intervention ne s’est pas produite.

La loi des statistiques s’applique également à la chirurgie. Par exemple, pour éviter de faire une trop grande cicatrice, le chirurgien « triche » avec la peau. Il peut créer des plis ou « frou-frous » (comme sur des rideaux) pour éviter de faire une cicatrice trop longue. La rétraction physiologique de la peau permet normalement en quelques semaines de faire disparaître ces plis en excès. Donc, statistiquement, les « frou-frous » observés juste après l’intervention sur la cicatrice disparaissent dans les semaines qui suivent. Mais certains patients n’ont pas l’élasticité de peau escomptée et ils verront leurs « frous-frous » persister… Un geste complémentaire s’imposera alors pour les corriger.

 

c/ soit parce que la technique initiale nécessite systématiquement une retouche.

Dans une technique de lifting cutané qui « tire » beaucoup sur la peau, et donc sur la zone de suture, la cicatrice finale est généralement de mauvaise qualité. Nous le savons à l’avance. Quand il y a trop de traction sur une cicatrice, elle s’élargit secondairement.  Pour qu’une cicatrice soit belle, il ne faut pas de tension sur ses berges. Dans le cas de la plastie abdominale, le principe est de « tendre » au maximum la peau pour obtenir un beau résultat plastique (un ventre plat). Il faut donc avoir une bonne tension sur la peau en postopératoire immédiat pour que, une fois le relâchement physiologique cutané obtenu, le résultat final soit parfait. On sait donc que l’on aura une traction cutanée importante en postopératoire et, par conséquent, que l’on risque d’avoir une cicatrice imparfaite. Nous devons choisir entre une peau bien « tendue » au prix d’une cicatrice imparfaite que l’on améliorera facilement un an après ou éviter la retouche en ne tirant pas trop sur la peau au prix d’un résultat plastique moins satisfaisant. Selon notre expérience, les patients ont toujours été déçu devant un résultat plastique imparfait (quand nous n’avons pas assez « tendu » la peau). En revanche, ils ont toujours accepté une reprise de la cicatrice un an après pour parfaire le résultat final. Certains sont tellement contents du résultat plastique global obtenu qu’ils ne désirent plus faire cette retouche secondaire de la cicatrice…

 

 

        Les retouches après une lipoaspiration

 

Nous venons de voir dans quelles situations nous pouvions envisager de faire une retouche en chirurgie plastique. Certaines retouches sont imprévisibles puisque peu fréquentes (par suite d’une complication par exemple), d’autres peuvent être systématiquement envisagées puisqu’elles sont plus habituelles (comme devant un manque d’élasticité de la peau). C’est précisément le cas de la lipoaspiration.

Avant chaque geste chirurgical, un chirurgien plasticien a le devoir d’informer au maximum son patient sur le déroulement de l’intervention, sur les suites opératoires voire sur les risques éventuels. Cette information doit être sincère et éclairée pour que le patient ait toutes les données possibles avant de se faire opérer.

Dans le cas de la lipoaspiration, l’imprévisibilité de la rétraction de la peau est telle qu’évoquer la possibilité d’une retouche pourrait être systématique avant l’intervention. J’exagère un peu car nous savons par expérience que cette retouche ne sera pas forcément nécessaire quand nous faisons une lipoaspiration sur une peau de bonne qualité et sur une zone anatomique favorable. Mais je pense que cette notion de retouche chirurgicale devrait faire partie intégrante de la technique première et notamment dans le cas de la lipoaspiration. Aujourd’hui, quand nous reconstruisons un nez (rhinopoïèse), plusieurs temps opératoires sont d’emblée envisagés. C’est la même démarche avec l’autogreffe de graisse (lipofilling) quand nous reconstruisons un sein ; plusieurs temps chirurgicaux sont toujours proposés. Et cela ne pose pas de problème.

 

J’ai, dans mon expérience personnelle, trois types de demande en matière de lipoaspiration où la notion de retouche est souvent évoquée :

 

  • Soit il s’agit d’une demande d’une lipoaspiration importante « one shot » où le patient désire une lipoaspiration d’un maximum de zones et d’un volume optimum. Cette demande concerne souvent les patients étrangers, ou « de passage », où une retouche sera forcément nécessaire mais en pratique inenvisageable. A titre personnel, je récuse ce genre de demande.

 

  • Soit il s’agit d’une demande d’une importante lipoaspiration avec le désir, de la part du patient, d’un résultat le plus parfait possible. Dans ce cas, je propose :

 

  • Soit deux lipoaspirations avec un intervalle de temps de quelques mois entre les deux. Le deuxième temps me permet de compléter la lipoaspiration première et de faire les retouches nécessaires.

 

  • Soit une belle lipoaspiration avec l’intégration immédiate d’une possible retouche présageant d’une rétraction cutanée indisciplinée. La retouche sera ici expliquée et envisagée systématiquement.

 

  • Soit il s’agit d’une demande d’une lipoaspiration standard où, dans le cadre d’une information éclairée, la retouche est systématiquement évoquée puisque toujours possible.

 

En pratique :

 

En pratique, une retouche après une lipoaspiration va souvent dépendre de l’indication première de la lipoaspiration.

Si l’indication est bonne, c’est à dire une lipoaspiration adaptée sur une zone favorable et avec élasticité cutanée de bonne qualité, la retouche peut ne pas être envisagée systématiquement.

Si l’indication est limite, c’est-à-dire sur une zone où l’élasticité de la peau est aléatoire, la retouche est souvent envisagée et se fait secondairement :

  • soit par un complément de lipoaspiration d’une zone présentant un excédent de graisse,
  • soit par une autogreffe de graisse (lipofilling) d’une zone présentant un déficit de graisse,
  • soit par les deux gestes associés au cours de la retouche,
  • soit par un temps de lifting cutané secondaire pour mettre en tension la peau qui ne s’est pas rétractée. L’indication première de ce temps de lifting cutané est parfois délicate à poser. En effet, il est parfois plus simple de l’associer d’emblée avec la lipoaspiration quand on sait que la peau a perdu son pouvoir de rétraction (séquelles d’amaigrissement). Cependant, nous sommes parfois agréablement surpris devant une rétraction secondaire d’une peau qui semblait de médiocre élasticité initialement. Certains patients préfèrent prendre le risque. Cela évite un temps de lifting immédiat qui est toujours plus lourd en matière de suites opératoires et de cout financier. La question reste de savoir si l’on doit présenter ce temps de traction cutanée secondaire comme une retouche ou comme un geste complémentaire à la technique chirurgicale initiale. La symbolique est différente. Un complément est reçu comme un geste chirurgical à part entière alors d’une retouche peut parfois être assimilée à un défaut technique qu’il convient de corriger…

 

Conclusion

 

La retouche chirurgicale après une intervention de chirurgie plastique n’est pas exceptionnelle et elle est plus fréquente après une lipoaspiration. Selon notre expérience, elle devrait faire partie de l’intervention première c’est-à-dire que le patient devrait être systématiquement informé qu’une retouche est toujours possible.

La retouche après une lipoaspiration se fait quelques mois après l’intervention première pour vraiment apprécier les irrégularités définitives.

S’il persiste un excès de graisse : nous préconisons un complément de lipoaspiration. S’il existe une dépression, une autogreffe de graisse remplira l’affaissement. Généralement, nous associons les deux gestes lors de la retouche.

PK

PROTHESES MAMMAIRES: POSITION DEVANT OU DERRIÈRE LE MUSCLE ?

PROTHÈSES MAMMAIRES : POSITION PRE OU RETRO-MUSCULAIRE ?

 

            INTRODUCTION

L’augmentation du volume des seins par des prothèses mammaires est une intervention formidable pour les patientes qui présentent une hypotrophie mammaire. Cette intervention bien codifiée répond toutefois à des protocoles rigoureux comme l’explication de l’intervention, l’exposition des suites opératoires et de ses risques éventuels. Parmi toutes les interrogations sur l’intervention, un sujet revient souvent pour le patient. Il s’agit de connaître la position exacte de la prothèse lors de cette première implantation: devant ou derrière le muscle grand pectoral. Nous allons donc essayer de répondre à cette question : faut-il mettre les prothèses mammaires devant ou derrière le muscle ? Cet article concerne de choix de la position de la prothèse lors sa première implantation dans une intervention d’augmentation du volume des seins à visée esthétique.

 

POURQUOI LES CHIRURGIENS PLASTICIENS PEUVENT-ILS METTRE LES PROTHÈSES MAMMAIRES DEVANT OU DERRIÈRE LE MUSCLE ?

La mise en place de prothèses mammaires pour corriger un très petit volume des seins peut être une intervention magique pour les vraies hypotrophies mammaires. Parfois, et en moins d’une heure d’intervention, la patiente passe du statut de « plate » à celui de femme « normale » avec des jolis petits seins… Pour les hypotrophies moins sévères, cette intervention rassurante garde tous les avantages de sa réversibilité en cas de problème en apportant un volume mieux adapté à ce corps qui a changé. Aujourd’hui, cette intervention fait partie de l’arsenal thérapeutique du chirurgien esthétique comme toutes les autres interventions. L’évolution du matériel (enveloppe de la prothèse, gel de silicone, etc), la connaissance de la modification des seins avec les différents épisodes de la vie (grossesses, variations de poids, etc),  le renfort du contrôle sanitaire et la satisfaction des patientes en font une intervention phare de notre spécialité.

Le patient est devenu assidu en matière d’information sur les différentes interventions esthétiques. Pour les prothèses mammaires, la place des implants mammaires reste une question récurrente lors des consultations de chirurgie esthétique. Cette interrogation de la part du patient témoigne déjà d’une connaissance aiguisée sur cette intervention. Aujourd’hui les patients sont très bien informés et reçoivent (notamment sur internet) des renseignements fleuves sur les interventions de chirurgie plastique. C’est bien mais trop d’informations « tuant » l’information, nous allons essayer de répondre à cette question: faut-il mettre les prothèses mammaires devant ou derrière le muscle grand pectoral? Pour clarifier notre propos, nous opposerons deux situations très concrètes et classiques. Mais avant toute chose, il convient de rappeler brièvement pourquoi il existe deux façons de positionner les implants mammaires. Pour être logique sur le plan anatomique, la position la plus adaptée pour une prothèse mammaire est la position pré-pectorale c’est-à-dire devant le muscle. En effet, la glande mammaire est naturellement devant le muscle grand pectoral. Initialement, les chirurgiens mettaient les prothèses mammaires dans cette position. Avec les anciennes prothèses qui contenaient de la silicone liquide et des enveloppes techniquement moins élaborées, il existait un fort taux de coques péri-prothétiques. Habituellement quand on introduit une prothèse à l’intérieur du sein, il apparaît de manière physiologique une enveloppe autour de cette prothèse. On parle d’enveloppe péri-prothétique. C’est normal mais quand cette enveloppe se « durcit », on parle de coque. Il existe différents stades donnant un aspect plus ou moins figé aux seins (et parfois, plus ou moins douloureux). L’aspect caractéristique de coques importantes sur prothèses mammaires anciennes s’observait sur la plage quand certaines femmes âgées allongées sur le dos gardaient des seins saillants et rigides alors que généralement, dans cette position, les seins s’affaissent sur les côtés. Pour éviter l’apparition de coque, les chirurgiens ont imaginé différents moyens comme la mise en place des prothèses derrière le muscle. Ils voulaient obtenir un « effet » massage plus ou moins permanent des prothèses par les contractions musculaires. Le passage du plan pré au plan rétro-musculaire a heureusement fait reculer le taux de coques. Aujourd’hui, ce taux de coque est inférieur à 2% et on observe quasiment plus de stade important comme on le voyait avant. Une des raisons de cette bonne évolution reste surtout l’amélioration technique des prothèses notamment au niveau de la conception des enveloppes et de la composition du gel pour celles qui contiennent du gel de silicone. Les laboratoires proposent en effet de plus en plus des prothèses qui contiennent du gel de silicone de très haute cohésivité. Ce gel très cohésif « transpire » beaucoup moins à travers l’enveloppe. Il a l’aspect du chewing-gum : si on coupe la prothèse en deux avec un bistouri, le gel reste compact et ne coule pas.

Donc, aujourd’hui, la position rétro-musculaire des prothèses n’est plus justifiée seulement par rapport à l’apparition des coques. Pour rester simple, on peut dire que le choix  de la position des prothèses semble de plus en plus dicté pour des raisons esthétiques et c’est ce que nous allons voir.

 

 

COMMENT DÉFINIR UN JOLI SEIN AVEC DES PROTHÈSES?

La finalité d’une augmentation mammaire est d’obtenir des jolis seins.

La définition d’un joli sein étant déjà difficile et non ubiquitaire, vous comprendrez que l’appréciation du volume idéal d’un sein reste également difficile à faire. Les critères esthétiques d’un « joli » sein sont si nombreux (personnelles, sociaux, culturels, etc) qu’il est impossible de définir une conduite à tenir précise sur le plan esthétique pour cette intervention. Toute la vraie difficulté pour le chirurgien est de comprendre ce que veut exactement la patiente. Une intervention est réussie quand le chirurgien donne au patient ce qu’il désire. En matière de volume mammaire, toute la difficulté réside dans le fait qu’il n’existe pas toujours la possibilité de satisfaire la patiente. Par exemple, une patiente très mince avec un thorax étroit ne pourra pas avoir des prothèses trop grosses car celles-ci se verront trop et deviendront disgracieuses. C’est le cas typique de la « Bimbo » que l’on observe parfois et qui semble contente de ses seins énormes et outrancièrement visibles alors que le reste du corps est relativement mince. Faut-il accepter de mettre de telles prothèses ? Doit-on faire ce que la patiente désire même si cela nous semble peu esthétique ? Peut-on accepter toutes les demandes qualifiées de « limites »? D’un autre côté, la mise en place d’implants mammaires a pour finalité l’augmentation du volume des seins et cela doit se voir. Sinon,  l’intervention n’a aucun intérêt. Mais que signifie « se voir » ? La patiente voit toujours la différence mais que veut-elle « montrer » aux autres? Certaines patientes disent : « Docteur, je voudrais plus gros mais sans que cela se voit trop! »…Devant toutes ces interrogations, on voit que le volume mammaire reste une appréciation délicate et qui nécessite une vraie écoute de son patient. En pratique quotidienne, le choix de la taille découle d’une écoute attentionnée du désir exprimé, ou non, de la patiente. C’est une affaire d’expériences mais la ligne directrice d’une telle intervention pourrait se résumer en deux mots : harmonie et naturel. Il convient de faire beau en retrouvant des volumes harmonieux mais avec un aspect naturellement.

L’autre difficulté concerne la forme  du sein obtenu avec des prothèses. Classiquement, la forme du sein doit présenter un segment 1 (région supérieure du sein, au-dessus de l’aréole) légèrement concave c’est-à-dire un peu en creux et un segment 3 (région sous l’aréole) convexe ou plus bombé. Cette définition ne correspond pas toujours aux désirs de toutes les patientes. Certaines désirent la partie supérieure du sein « plus creusé » pour que « cela fasse naturel » et d’autres vont préférer des seins « plus bombés » avec une vallée inter-mammaire plus généreuse pour donner l’impression d’une plénitude retrouvée. D’autre part, il convient de préciser que la forme de la prothèse mammaire (ronde, anatomique) peut influencer la forme du sein après l’intervention mais légèrement. La prothèse mammaire augmente le volume du sein mais l’esthétique définitive résultera surtout de la forme initiale du sein avant l’implantation. Si le sein au départ a une jolie forme, la mise en place d’un implant augmentera le volume et le sein aura forcément une jolie forme. A l’opposé, la forme de la prothèse influencera le résultat dans certains cas particuliers comme des patientes très minces ayant un thorax étroit où la prothèse sera relativement visible sous une peau très fine. L’autre cas particulier concerne la reconstruction du sein après mastectomie pour cancer. Dans ce cas, il manque de la peau et la forme  du sein sera très influencée par la forme de la prothèse sous cette peau peu élastique.

Le dernier critère esthétique semble plus facile à obtenir. Il s’agit de la bonne position de la prothèse. Techniquement, le chirurgien n’a aucun droit à l’erreur sur le positionnement de la prothèse mammaire lors de son implantation. La prothèse doit être centrée horizontalement sur l’aréole ou légèrement plus bas pour obtenir un segment 3 un peu plus développé (ce serait un critère esthétique apprécié) mais, en aucun cas, la prothèse sera excentrée latéralement par rapport à l’aréole. La difficulté, ici, réside dans l’appréciation de l’évolution du sein implanté avec le temps. Comment va évoluer la peau et la forme du sein avec les  grossesses, l’allaitement, les variations de poids, etc… C’est dans ce cas précis que le choix de la loge, où l’on va mettre la prothèse, va influencer le résultat en fonction de l’évolution de la forme du sein avec les années. Par exemple, devant une femme jeune sans enfant ayant une vraie hypotrophie, on préfèrera la loge rétro-musculaire. En revanche, pour une femme présentant une hypotrophie mammaire après l’allaitement associée à une chute des seins, on choisira d’implanter les prothèses mammaires devant le muscle.

 

 

CHOIX ENTRE LA POSITION PRE ET RETRO-MUSCULAIRE, en pratique !

Pour simplifier notre démonstration, nous allons opposer deux situations classiques tout en rappelant que chaque cas reste particulier et demande une attention personnelle en fonction des antécédents  de chaque patiente, de son thorax, de la forme de ses seins au départ, de son âge, de son mode de vie, de ses désirs, etc…

 

  • Patiente mince ayant une hypotrophie mammaire sévère. Dans ce cas classique chez la patiente sans enfant, sans ptose mammaire et n’ayant quasiment pas de graisse sous la peau, la position rétro-pectorale reste souhaitable.

Photographies 1 : Photographies avant et après l’intervention chez une patiente ayant un faible panicule adipeux et n’ayant pas de ptose mammaire : prothèses mammaires rondes préremplies de gel de silicone, profil moyen, voie axillaire et position rétropectorale..

Nous préférons, ici, mettre la prothèse mammaire derrière le muscle pour mieux « l’envelopper » puisque l’étui cutané est fin et pour que son pôle supérieur soit plus « aplati » et moins visible par le muscle donnant un aspect moins bombé au sein et, par conséquent, plus naturel.

 

  • Patiente présentant une ptose modérée. En présence d’une patiente présentant une légère ptose des seins ou ayant des seins « vidés » après une ou plusieurs grossesses, la position pré-pectorale semble indiquée.

Photographies 2 : Photographies avant et après l’intervention chez une patiente ayant un début de ptose mammaire : prothèses mammaires rondes pré-remplies de gel de silicone, profil moyen, voie axillaire et position pré-pectorale…

Nous préférons, dans ce cas, mettre la prothèse mammaire devant le muscle c’est-à-dire juste derrière la glande mammaire. Dans cette position, la prothèse remplira bien le sein. Si nous mettions la prothèse derrière le muscle, elle serait située trop haute. En effet, le muscle grand-pectoral se trouve sur la partie supérieure du thorax et donc plus haut que le sein. Seule la partie inférieure du muscle peut se superposer au sein (plus exactement son segment 1). Si le sein « tombe » un peu en cas de ptose mammaire, celui-ci se trouvera assez bas sur le thorax. En conséquence, si nous mettions la prothèse dans la loge rétro-musculaire, elle ne pourra pas remplir le sein puisqu’elle restera en haut. C’est pour cela qu’en présence d’une ptose mammaire, nous préférons remplir le sein en mettons la prothèse juste derrière la glande mammaire c’est-à-dire devant le muscle. L’inconvénient de cette position, pour certaine patiente, reste l’absence de remplissage de la partie supérieure du sein puisque la prothèse augmente surtout le volume de sa partie ptosée. Dans ce cas, il faudrait associer une plastie mammaire (pour traiter la ptose) à la mise en place des  prothèses pour obtenir un sein plus gros et plus tendu.

 

CONCLUSION PRATIQUE

L’augmentation mammaire par prothèse est une intervention magique qui permet de redonner un volume idéal aux seins. La demande esthétique étant différente et la forme des seins étant distinctes, le choix de la position des prothèses mammaires influencera le résultat esthétique final. La position théorique d’une prothèse devrait être derrière le sein et centrée sur l’aréole. Parmi les différentes options proposées à la patiente, la position devant ou derrière le muscle grand pectoral reste un point d’explication souvent discuté. Deux situations classiques permettent d’expliciter ce choix :

  • En l’absence de ptose mammaire, le sein est plus ou moins en face du muscle grand pectoral. Dans ce cas, la position devant ou derrière le muscle ne sera influencée que par l’épaisseur du plan cutanéo-glandulo-graisseux ou du désir de la patiente d’avoir un pôle supérieur de la prothèse visible ou plus discret. Si la patiente est mince et qu’elle veut un résultat très naturel, la position rétro-musculaire sera préférée. Si la patiente a une épaisseur de tissu suffisante et si elle désire obtenir une partie supérieure des seins plus généreuse, nous mettrons les prothèses devant le muscle.

 

  • En présence d’une ptose mammaire, la prothèse mammaire sera placée préférentiellement devant le muscle pour mieux remplir le sein. Dans certains cas, un lipofilling (injection de graisse de la patiente et dans l’épaisseur des tissus) pourra être associé à l’intervention pour « cacher » le pôle supérieur de la prothèse. Patrick Knipper

ENSEIGNEMENT DE LA CHIRURGIE PLASTIQUE EN SITUATION PRECAIRE

ENSEIGNEMENT DE CHIRURGIE PLASTIQUE EN SITUATION PRECAIRE

Patrick Knipper – Interplast-France / Chirurgie Sans Frontières

 

Il existe en France, et depuis longtemps, une longue tradition d’aide envers les pays en voie de développement. L’aide humanitaire a toujours été très importante notamment dans le domaine de la santé. L’action des nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) s’est beaucoup spécialisée ces dernières années dans ce domaine médical. Interplast-France / Chirurgie sans frontières est une petite organisation non gouvernementale française spécialisée dans la chirurgie plastique dans les pays en voie de développement. Elle prend en charge toutes les pathologies qui nécessitent un geste de chirurgie réparatrice. Notre ONG s’est très vite orientée dans la chirurgie plastique en situation précaire et l’enseignement de cette varainte de la chirurgie plastique.

Pour comprendre comment une petite ong française s’est orienté vers la chirurgie nomade et son enseignement, il convient de rappeler certains objectifs premiers.

Depuis 1992, Interplast-France / Chirurgie sans Frontières a très vite fait le choix d’opérer les patients dans leur pays d’origine plutôt que de les faire venir en France et, cela, pour plusieurs raisons: plus grand nombre de patients opérés, coût financier moindre, patient opéré dans son environnement, formation dispensée sur place, etc.

Depuis 2003, nous avons travaillé sur le concept de « chirurgie plastique en situation précaire » en mission. Ensuite et après avoir travaillé sur cette notion de précarité, nous sommes passés à une évolution supplémentaire : « la chirurgie plastique nomade ». A travers notre pratique, nous avons ajusté notre activité aux réalités du terrain. La chirurgie version nomade s’est imposé à nous pour mieux répondre à la demande avec le plus d’efficacité et le plus d’humanité possible. Dans la chirurgie plastique nomade, nous avons adapté les indications et les techniques à l’environnement des missions. Il fallait partager tout cela…

 

Nous avons créé dès 2004 à Paris un Diplôme InterUniversitaire (DIU) de chirurgie réparatrice en situation précaire (ww.chirurgieplastiquehumanitaire.net) pour partager notre expérience soit avec les confrères européens qui désiraient partir opérer en mission, soit avec les confrères originaires des pays en voie de développement qui désiraient avoir une formation adaptée à leurs futures conditions de travail. Le succès de ce DIU depuis 10 années à Paris nous a conduits à l’exporter à Madagascar depuis 2008 où cette formation est intégrée au diplôme de chirurgie essentielle. Nous avons fait le choix de proposer des techniques plus simples mais adaptées à la réalité du terrain plutôt que de dispenser une formation sophistiquée en chirurgie plastique mais qui sera peu réalisable dans ce contexte.

Nous avons également orienté notre formation sur les agents de santé des dispensaires, à savoir les médecins généralistes et les infirmiers. Nous enseignons aux agents de santé, au village, des gestes simples comme le lavage des plaies avec de l’eau et du savon, l’incision d’un abcès, le parage d’une nécrose. Nous pensons que les gestes de base, comme le parage, la greffe de peau ou la plastie en Z, doivent être également enseignés aux chirurgiens de terrain. La formation d’un chirurgien local à la chirurgie plastique dans nos centres hospitaliers universitaires européens reste fondamentale mais, selon notre expérience, elle ne résout pas l’accès aux soins en zone rurale aujourd’hui. En pratique, le chirurgien que l’on va former restera en CHU en zone urbaine et n’ira jamais s’installer en brousse.

 

Aujourd’hui, et pour répondre encore mieux à cette formation, nous avons débuté une Ecole de Chirurgie Plastique Essentielle au Tchad. Pourquoi créer une école de chirurgie plastique essentielle en Afrique ?

La demande chirurgicale des pays en voie de développement est énorme. Nous le savons. Pour les populations locales, les systèmes de santé ne répondent pas toujours à cette demande. Les nombreuses ONG chirurgicales humanitaires interviennent pour essayer de répondre à ce grand besoin en organisant des missions chirurgicales. Les ONG proposent de traiter les patients de ces pays avec des moyens sophistiqués et un personnel très qualifié originaire de pays industrialisés. Elles peuvent proposer des interventions de chirurgie générale ou des interventions dans des domaines très spécialisés comme la chirurgie de la cataracte, la prise en charge de la fistule vésico-vaginale ou la reconstruction des fentes labio-palatines. Or les moyens proposés, aussi sophistiqués soient-ils, ne sont pas toujours adaptés aux patients, aux pathologies et à l’environnement d’exercice. De surcroit, la formation des chirurgiens européens est de moins en moins adaptée aux pathologies rencontrées sur le terrain. Elle est certes très spécialisée mais de moins en moins appropriée aux situations rencontrées.

Les ONG européennes s’adaptent principalement de deux façons :

  • Certaines missions adaptent leurs projets aux missions. Nous pouvons observer des projets très élaborés mais complètement inadaptés dans des régions où, par exemple, le problème premier reste l’accès à l’eau. Par exemple, une mission peut proposer une formation en coelioscopie dans une région où l’accès à électricité fait défaut et où la formation première devrait se focaliser sur la prise en charge plus simplement d’une péritonite…
  • D’autres ONG adaptent leurs actions aux missions et doivent former les chirurgiens humanitaires à leurs futures pratiques sur le terrain. Or leur formation se fait dans un environnement et avec des moyens qui seront difficilement transposables sur les futurs lieux d’action. D’autre part, les nouvelles générations de chirurgiens européens qui partiront en mission ont une formation trop spécialisée et ne sont plus formés aux interventions dites de base en chirurgie…

En pratique, nous sommes aujourd’hui devant une situation paradoxale où les futurs chirurgiens européens qui partirons en missions humanitaires auront une formation trop spécialisée et inadaptée aux pathologies observées sur le terrain et où les chirurgiens africains qui possèdent une bonne formation de chirurgie générale n’interviendront plus sur leurs propres patients.

 

Nous avons donc commencé une école de chirurgie plastique essentielle à Moundou, au sud du Tchad, pour former les chirurgiens africains localement. Ils pourront répondre à la demande chirurgicale locale, avec une formation ajustée aux pathologies observées et avec des techniques chirurgicales très spécialisées mais adaptées à l’environnement d’exercice du pays.

Nous avons inversé le raisonnement :

  • Identifier la pathologie chirurgicale spécifique, et locale, à traiter.
  • Proposer la meilleure solution thérapeutique à cette pathologie et la plus appropriée aux conditions locales d’exercice.
  • Proposer une formation chirurgicale réalisable selon les conditions d’exercice
  • Proposer aux chirurgiens locaux :
    • Une formation chirurgicale correspondant aux conditions d’exercice,
    • De développer, et d’imaginer, les moyens thérapeutiques les plus adaptés à leurs patients et à leurs environnements.
  • Proposer aux chirurgiens européens :
    • Une formation chirurgicale locale pour qu’ils puissent comprendre les conditions réelles d’exercice,
    • De découvrir des pathologies méconnues,
    • Et d’apprendre des techniques adaptées à l’environnement local.

Ce projet ne veut en aucun cas se substituer à la formation universitaire du pays qui reste le garant de la formation de ses médecins. Cette école propose simplement de revenir à l’essentiel : la formation d’un chirurgien commence par l’apprentissage de son art sur des patients et les patients qui relèvent de la chirurgie plastique en situation précaire sont en Afrique !

CONCLUSION

La demande en chirurgie plastique est énorme dans les pays en voie de développement et 80% de cette demande s’observent en zone rurale. Nous avons donc volontairement orienté nos missions en dispensaire et la version nomade de nos missions a permis de répondre parfaitement à ce besoin. Cette aventure chirurgicale a modifié notre façon de travailler. Nous avons adapté nos techniques à l’environnement et tout cela dans le respect des traditions locales. Pour partager notre expérience, et faciliter l’enseignement, nous avons créé un diplôme universitaire de chirurgie plastique en situation précaire en France et débuté une école de chirurgie plastique essentielle au Tchad.

Si un chirurgien veut partir en mission de chirurgie plastique nomade, il doit être complètement autonome et connaître, au minimum, trois techniques : les plasties cutanées, les greffes de peau et le lambeau de grand dorsal. Si une seule technique doit être enseignée, en case de santé, ce sera le parage chirurgical.

Selon notre expérience, la chirurgie plastique en situation précaire devrait être enseignée dans tous les centres hospitaliers des pays en voie de développement et la chirurgie plastique nomade semble être la seule façon de répondre, aujourd’hui, à la forte demande des populations rurales. PK

PLASTIE MAMMAIRE : LA VERTICALE SUR CLAMP.

PLASTIE MAMMAIRE : LA VERTICALE SUR CLAMP.

Notre sentiment 15 ans après !

Patrick Knipper

www.knipper.fr

 

INTRODUCTION

 

Ce travail propose le bilan d’une technique de plastie mammaire que nous avions proposé en 2003 : la Verticale sur Clamp [1].  Avec un recul d’une quinzaine d’année, nous avons pu apprécier les résultats et les limites de cette technique de plastie mammaire sur une vingtaine de patientes.

 

PATIENTS ET METHODE

 

L’étude rétrospective a été réalisée sur 19 patientes et elle s’est étalée entre 2000 à 2016. Le recul maximum est de vingt années. Il s’agit d’une population d’âge moyen (45 ans) ayant été revue épisodiquement en consultation sur cette longue période. La plupart des patientes de la série d’origine ont été perdues de vue. Certaines ne sont même pas venues à la consultation de contrôle au bout d’une année. Les patientes de ce travail ont été revues fortuitement en consultation soit pour la demande d’une autre intervention (le plus souvent esthétique) soit lors de l’accompagnement d’un parent (le plus souvent un enfant). Les patientes ont été photographiées en pré et en postopératoire immédiat et en tardif. Toutes les patientes avaient été opérées par le même opérateur et selon la même technique chirurgicale.

 

PLASTIE MAMMAIRE : la Verticale sur Clamp

 

La technique du clamp [2], dérivée de la voûte dermique [3], nous avait conforté sur la fiabilité d’une technique de plastie mammaire à pédicule supérieur et sur la stabilité du résultat obtenu. Elle avait l’inconvénient d’engendrer une cicatrice en ancre de marine. Nous voulions donc limiter cette rançon cicatricielle. Il fallait relier la plastique du clamp à l’esthétique de la verticale. La technique présentée par l’auteur en 2003 était une évolution de la technique du clamp proposée par Vladimir Mitz [2] mais avec une seule cicatrice verticale.

La particularité de la « Verticale sur clamp » concerne la coupe glandulo-graisseuse et l’utilisation d’un nouveau clamp :

 

  • Le premier concept est le respect de la base mammaire, principe déjà évoqué par Rami Selinger dans sa technique originale de plastie mammaire B.A.M.A.C.O [4]. L’exérèse glandulo-graisseuse se termine en pointe au niveau de la base mammaire pour que, lors de la rétraction cutanée, cette base soit respectée. L’autre spécificité de la verticale sur clamp réside dans la coupe gladulo-graisseuse SANS exérèse en « quille de bateau » comme cela est proposé par Ivo Pitanguy [5]. Nous respectons également la région rétro-aréolaire et nous conservons un lambeau porte-aréole relativement épais.

Le décollement de la glande mammaire de la face antérieure du muscle grand pectoral (dans l’espace de Chassaignac) n’est pas systématique. Nous le faisons seulement quand la glande est très luxée.

 

  • L’exérèse de la peau en excès se fait à l’aide d’un clamp. Mais, ici, la parfaite adaptation du contenant au contenu est obtenue par un nouveau clamp qui ne rétrécie pas la base mammaire (https://youtu.be/FAyvoSRpLDIFigure). Ce nouveau clamp est plus long et plus rectiligne (Fig 1). Ce clamp est également doté de deux crochets à son extrémité. Cela permet un meilleur point d’appui cutané rendant plus aisé sa mise en place (Fig 2). L’intervention dure, en moyenne, environ 75 minutes.


RESULTATS

 

Seulement 19 patientes ont pu être revues rétrospectivement entre 2000 et 2016.

Les trois quarts des patientes présentaient un « sagging » secondaire c’est-à-dire une longueur du segment III supérieure à 8 cm. La majeure partie de ce groupe correspondait à une exérèse glandulo-graisseuse supérieure à 400 gr par sein.

Le quart restant présentait un résultat stable (sans ptose secondaire) et correspondaient à une exérèse inférieure à 300 gr.

Cependant, 80 % des patientes étaient contentes de leur première intervention et elles ne la regrettaient pas.

Sur les 19 patientes revues, seulement deux patientes ont demandé une correction secondaire de la ptose.

 

DISCUSSION

 

Ils existent différentes techniques de plastie mammaire pour corriger une hypertrophie mammaire et une ptose. Nous n’allons pas reprendre l’important catalogue des techniques qui existent dans tous les manuels de chirurgie plastique. Selon notre expérience, les techniques basées sur un pédicule supérieur, et notamment celles dérivées de la voute dermique, permettent une fiabilité et une stabilité des résultats avec le temps. Nous entendons par fiabilité le faible taux de complications postopératoires et par stabilité la pérennité de la forme du sein obtenue.

La technique du clamp est rapide, fiable et stable à long terme. Elle a l’inconvénient d’engendrer des cicatrices importantes dites en « ancre de marine ». Nous avons donc voulu améliorer cette rançon cicatricielle en proposant « la verticale sur clamp » qui permet d’obtenir une cicatrice verticale. L’idée n’était pas de faire une technique de plastie mammaire avec une cicatrice verticale comme l’a proposée Madeleine Lejour [6,7] mais de faire une technique du clamp avec une cicatrice verticale.

Ce travail nous a permis de revoir quelques patientes avec un recul important. Nous sommes conscients de la faible casuistique observée et du biais de sélection des patientes. L’analyse de nos patientes nous a permis toutefois d’affiner aujourd’hui nos indications sur cette technique :

  • Si l’exérèse glandulo-graisseuse est inférieure ou égale à 300 – 350 grammes (Fig 3), la verticale sur clamp peut être indiquée de première intention,
  • Si l’exérèse glandulo-graisseuse est supérieure à 350 -400 grammes, nous sommes revenus à l’indication classique de la technique du clamp avec cicatrice en ancre de marine. La décision finale reste adaptée à la patiente, à la morphologie du sein, à la qualité de la peau, etc.

Cette étude avec un tel recul nous a surtout permis d’apprécier les différentes étiologies de la ptose secondaire après une plastie mammaire. Cela est bien connu des spécialistes de cette intervention mais il nous semblait opportun de le rappeler aux plus jeunes collègues de notre spécialité.

 

Etiologies de la récidive de la ptose après une plastie mammaire :

 

  • L’opérateur

Les techniques de plasties mammaires demandent une longue courbe d’apprentissage et seule une longue pratique permettra au chirurgien d’affiner son geste et sa technique aux différentes variétés de morphologie et de volume des seins rencontrées. Un chirurgien peu familier avec la plastie mammaire aura moins de chance d’obtenir un beau résultat et une stabilité avec le temps.

  • La technique de plastie mammaire proposée

Soit la technique est peu efficace et il convient d’en changer, soit c’est l’opérateur qui est peu performant et il faut qu’il change. Par exemple, et entre mes mains, le technique à cicatrice verticale proposée par Madeleine Lejour s’accompagne quasi systématiquement d’un « sagging » secondaire et de cicatrices dystrophiques. Je ne mets pas en cause cette technique de plastie mammaire mais j’ai arrêté de la pratiquer. Je dois mal la réaliser et, surtout, je n’en comprends pas bien les principes. D’autre part, une technique peut être efficace et bien réalisée mais non adaptée au cas traité. Dans ce cas, ce n’est pas la technique qui est inappropriée mais son indication…

  • Le poids de l’exérèse et son corollaire : le poids glandulo-graisseux résiduel

On en parle rarement mais plus le poids restant est important, plus la ptose secondaire sera favorisée. Nous relions très souvent la quantité de l’exérèse à l’indication de la technique mais l’importance du sein restant joue très probablement un rôle dans l’affaissement secondaire du sein restant avec le temps.

  • La qualité de la peau

L’élasticité de la peau dépend de plusieurs facteurs : la génétique, l’âge, ses propriétés biomécaniques, l’habitus avec surtout la notion de grandes variations de poids secondaires aux régimes trop restrictifs (patientes qui font le « yoyo »). Moins la peau sera élastique, moins elle se rétractera. Dans ce cas, une lipoaspiration du sein et/ou une technique basée sur la rétraction cutanée ne donnera pas de bon résultat. Nous proposons donc préférentiellement dans ce cas une technique à pédicule supérieur et avec une verticale définie de 6 cm au maximum.

  • La longueur du segment III en fin d’intervention

Cette étiologie reste liée aux autres facteurs comme la technique proposée, le poids résiduel et les propriétés élastiques de la peau. Dans tous les cas, plus la verticale en fin d’intervention est longue, plus facile sera le déroulement du segment III avec le temps. C’est pour cela qu’après une phase d’enthousiasme, et après avoir revu mes patientes, je suis revenu à une longueur de la verticale en fin d’intervention plus courte et j’associe une cicatrice horizontale.

Il nous semble, et avec le recul, que c’est plutôt le chirurgien qui se focalise sur la rançon cicatricielle. Je le dis d’autant plus simplement que j’en ai fait partie. La rançon cicatricielle est importante pour les patientes mais la plastique du sein obtenue, et sa pérennité, semble prépondérante. Selon mon expérience, c’est la dégradation du résultat postopératoire avec le temps qui motive le plus souvent la patiente à revenir en consultation.

 

CONCLUSION

 

L’objectif d’une plastie mammaire est d’améliorer la plastique du sein en modifiant sa ptose, sa forme et son volume et, tout cela, avec le minimum de cicatrice possible. Il existe de très nombreuses techniques permettant de répondre à cet objectif. Il existe également une grande variété de patientes et d’opérateurs.

La technique du clamp, dérivée de la voute dermique est une excellente technique. Nous avons voulu, avec la « Verticale sur clamp » en réduire la rançon cicatricielle. Après plus de 15 années de recul, nous avons affiner les indications de cette technique :

  • Base mammaire étroite, peau élastique, exérèse inférieure ou égale à 350 gr : Verticale sur clamp.
  • Base mammaire large, peau peu élastique, exérèse supérieure à 400 gr : technique du clamp avec cicatrice en ancre de marine.

 

Selon notre expérience, les patientes d’âge moyen privilégient une jolie forme qui « tient » avec le temps. La rançon cicatricielle semble plutôt concernée la patiente plus jeune.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

[1] Knipper P. Vertical Mammaplasty with a Clamp Technique. Annals of Plastic surgery, Volume 48, Number 6, June 2002.

[2] Mitz V. Manuel de chirurgie plastique et esthétique du sein. Editions Frison Roche, Paris, 1995

[3] Lalardrie JP, Jouglard JP. Chirurgie plastique du sein. Editions Masson, Paris, 1974.

[4] Selinger R. Congruence cutanée dans la plastie mammaire à cicatrice vertical avec BAse MAmmaire COnservée (BA.MA.CO). Bases géométriques et étude préliminaire. Ann. Chir. Plast. Esth., Fev 1996, 41 (1), 11-24.

[5] Pitanguy I. Une nouvelle technique de plastie mammaire. Etude de 245 cas consécutifs et présentation d’une technique personnelle. Ann. Chir. Plast. Esth., 1962, 7, 199-208.

[6] Lejour M., Abboud M., Declety A., Kertesz P. Réduction des cicatrices de plasties mammaires: de l’ancre courte à la vertical. Ann. Chir. Plast. Esth., 1990, 35, 369.

[7] Lejour M. Vertical Mammaplasty and Liposuction of the Breast. Plastic and Reconstructive Surgery: July 1994 – Volume 94 – Issue 1.

 
 

PHOTOGRAPHIES

Figure1:

 

 

 

 

 

 

 

 Clamp de Knipper

Figure 2:

 


 

 

 

 

 

Verticale sur clamp

Figure 3:

 

 

 

 

 

 

 

Verticale sur clamp de face : avant et après (J+ 3 ans)

Verticale sur clamp de profil : avant et après (J+ 3 ans)

 

Lifting du cou ou comment rester dans le coup.

Patrick Knipper

www.knipper.fr

Dans la chirurgie du vieillissement cervico-facial, le lifting du cou reste une préoccupation majeure et l’amélioration esthétique de la région cervicale antérieure demeure encore un challenge de nos jours.

Dans la chirurgie du lifting, comme dans beaucoup de sujet en chirurgie plastique, il y a des périodes, des modes ou des sujets de controverses. Ce papier propose de s’interroger sur l’argumentation actuelle qui concerne l’amélioration de l’angle cervico-mentonnier au cours du lifting de la région cervicale antérieure. Ce billet d’humeur se veut surtout être non scientifique pour garder une certaine liberté d’appréciation et d’expression.

 

          L’ANGLE CERVICO-MENTONNIER

 

L’article « Les cordes platysmales sont dans mes cordes » du précédent numéro 2016 des « Actualités en Chirurgie Plastique Esthétique » avait permis de rappeler les données anatomiques rencontrées au cours des nombreux travaux anatomiques effectués par les différents auteurs.

Concernant l’anatomie des muscles platysma et des différentes structures anatomiques de cette région, nous avions rappelé les travaux de Claudio Cardoso de Castro [1]. Nous avions également cité nos travaux de recherches sur le même sujet [2,3,4,5].

 

          LA REALITE DES STRUCTURES ANATOMIQUES OBSERVEES

 

Plusieurs facteurs participent à l’harmonie de la région cervicale antérieure [6]. Les structures anatomiques concernées sont en pratique:

  • La charpente osseuse de la région.

 

Nous distinguons la colonne vertébrale cervicale, la mandibule et l’os hyoïde :

  1. Le rachis cervical : Nous pouvons facilement remarquer qu’un rachis cervical rectiligne rendra plus d’élégance à l’angle cervicale antérieure alors qu’un lordose cervicale prononcée sera inesthétique.
  2. La mandibule : les reliefs de la mandibule participent à l’esthétique de cette région. La position du menton dans un plan sagittal est très importante. Une rétrogénie peut être améliorée par une ostéotomie mentonnière d’avancement ou par la mise en place d’un implant.
  3. L’os hyoïde ou plus tôt sa position. MARINO H. est le premier en 1963 à avoir précisé sur le plan radiologique la position de cet os [7]. Le corps de l’os hyoïde se trouve au même niveau que le bord inférieur de la symphyse mentonnière selon une ligne parallèle à la ligne de Francfort.                                                                                                          Pour modifier la position de l’os hyoïde il faut agir sur les muscles sus-hyoïdiens. La désinsertion des muscles sus-hyoïdiens proposée par COLLINS P.C. et EPKER B.N. en 1983 [8] et par GUYURON B. en 1992 [9] a donné de beaux résultats dans leurs publications sur la fermeture de l’angle.  Dans notre publication de 1996, nous avions proposé une fermeture de l’angle cervico-mentonnier par la suspension postéro-supérieure de l’os hyoïde en « plicaturant » le tendon intermédiaire des muscles digastriques [3]. Cette plicature raccourcis la longueur totale du muscle et favorise l’ascension de l’os hyoïde. Dans une publication récente, LABBE D. propose le « corset digastrique » [10]. Les beaux résultats obtenus sur la fermeture de l’angle nous semblent être dus également à un effet d’ascension de l’os hyoïde. En effet, la suture sur la ligne médiane des chefs antérieurs des muscles digastriques raccourcie la longueur totale des muscles et fait monter l’os hyoïde.

 

  • Les glandes sous-maxillaires.

 

Dans certains cas où la glande maxillaire (par son volume ou sa ptose) surcharge la région latérale du cou, certains auteurs ont proposé une sous-maxillectomie.

 

  • La graisse.

 

Schématiquement, nous distinguons deux compartiments dans cette région :

 

  • La loge graisseuse entre les deux chefs antérieurs des muscles digastriques (Figure 1). Une lipoaspiration de cette région favorisera le « creusement » de la région sous-mentale.
  • La graisse sous cutanée (Figure 2). La lipoaspiration cervicale allègera le cou et permettra de retrouver le relief des structures anatomiques sous-jacentes. Cette lipoaspiration est particulièrement efficace dans le région sous-mentale et chez la femme jeune.

 

  • L’étui cutané

 

La peau de la région cervicale est aujourd’hui facile à « redraper ». La remise en tension avec un vecteur postero-supérieur donnera en général de bon résultat. Selon notre expérience, seule la zone sous-mentale « répondra » moins bien à cette remise en tension et se relâchera un peu avec le temps.

 

  • Les muscles platysma

Le dernier facteur est représenté par les muscles peauciers du cou. Le muscle peaucier peut présenter une contraction de certaines fibres musculaires et engendrer ce que l’on appelle « les cordes platysmales ». Nous avions démontré que les cordes platysmales résultent d’une contraction musculaire et non d’un relâchement [11]. Ces cordes sont plus fréquemment observées sur les bords mésiaux déhiscents des muscles mais ils peuvent s’observer au milieu ou dans leurs régions caudales (Figure 3). Il convient pour les corriger d’effectuer une platysmaplastie. Nous rappelons que, quelles que soient les techniques effectuées, le résultat post-opératoire sera conditionné par les autres facteurs anatomiques et, surtout, par la position de l’os hyoïde.

 

POUR RESTER DANS LE COUP SUR LE COU

 

Aujourd’hui, et pour rester dans le coup, il convient de (re) parler de l’angle cervico-mentonnier et, par conséquent des muscles platysma. Des publications récentes évoquent la description d’un ligament entre le muscle platysma et l’os hyoïde [12].

Rappelons que de nombreuses techniques de platysmaplastie ont été proposées par le passé. Aufricht en 1960 [13], T.J. Baker en 1969 [14] puis Skoog en 1974 [15], vantèrent les mérites de la suspension simple du bord postérieur du peaucier au muscle sterno-cléïdo-mastoïdien. J. Guerrero-Santos, en 1974, proposa le premier des sections musculaires partielles avec création de lambeaux [16, 17]. La première section totale du peaucier est réalisée par B. Connel en 1978 [18,19]. Nous pouvons citer, de façon non exhaustive, d’autres auteurs comme R. Peterson [20], B.L. Kaye [21], C. Cardoso de Castro [22,23] ou J.J. Feldman [24] qui proposèrent une multitude de variantes techniques au cours de la platysmaplastie. Aucun de ces nombreux auteurs, à part peut-être J.J.Feldman [25], n’a vraiment considéré cette structure anatomique en tant que telle et ne l’a impliqué dans une correction chirurgicale.

Durant ces années, une autre interrogation a concerné l’efficacité d’une suture sur la ligne médiane des muscles platysma et/ou la nécessité d’une section des muscles platysma pour améliorer l’angle. Pour répondre à cette question, nous avions fait des travaux anatomiques sur pièces de dissection et comparé différentes techniques opératoires [5]. Nous avions proposé, dans une présentation déjà ancienne [4], qu’une corde platysmale résultait d’une contraction musculaire. L’arrivée secondaire de la toxine botulique, et son efficacité sur cette contraction, étaient venue confirmer cette hypothèse de départ. Notre première série de dissections, concernait l’anatomie des muscles platysma sur une série de pièces anatomiques (Figure 4). Nous avions trouvé, dans 12 % des cas, des muscles peauciers peu exploitables sur le plan chirurgical quel que soit leur degré de décussation. Par conséquent, avant d’envisager une suture éventuelle des muscles sur la ligne médiane, il faut noter que toutes les présentations anatomiques ne permettront pas de suture efficace ! Seuls les muscles platysma suffisamment épais pourront être suturés. Ensuite, seuls les types A (68%) présentant une décussation et les types B1 (26% des types B) sans décussation mais avec un écart modéré pourront être rapprochés sur la ligne médiane. Cette série nous avait également permis d’individualiser le type anatomique B2 (6 % des types B) où l’écart trop important entre les muscles platysma n’autorise aucune suture sur la ligne médiane. Comme première conclusion (et sur une série de 100 pièces anatomiques), nous pouvons dire que la suture médiane ne concernera que les formes anatomiques « suturables ». Il conviendra donc d’apprécier, en préopératoire, le type de décussation et d’informer le patient sur la possibilité de trouver en peropératoire des muscles trop fins dont la suture sera inefficace.

Aujourd’hui, nous observons que la même interrogation persiste : comment définir au mieux l’angle cervico-mentonnier ? Le simple fait d’en parler témoigne d’une certaine limite des techniques chirurgicales antérieures. Alors, les travaux continuent et les récentes publications sur le sujet évoque une étiologie ligamentaire à la dégradation de l’angle cervico-mentonnier. La description de ligaments entre les muscles platysma et les structures sous-jacente n’est pas récente. Feldman JJ en 2006 avait déjà décrit ces ligaments : « The three ligaments that fixate the platysma muscle to deeper tissues are the hyoid ligament, paramedian platysmal-retaining ligament, and submandibular platysma-retaining ligament » [25]. Brandt M. en 2012 présentait un travail anatomique avec la description du ligament hyo-platysmal [12]. Une nouvelle proposition thérapeutique en découle donc logiquement: la suture du muscle plastysma à l’os hyôïde pour “recréer” le ligament qui serait “détendu” avec le temps [26,27].

 

Cette solution thérapeutique semble intéressante pour vouloir « creuser » cet angle mais nous voudrions évoquer certaines interrogations :

 

  • A la lecture des nombreuses publications antérieures sur la région, nous pouvons constater que les différents auteurs n’ont jamais décrit une telle structure anatomique vraiment bien définie. Ils ne l’ont probablement pas cherché ! Nous admettons toutefois que l’intérêt des travaux de recherches anatomiques est justement de chercher ce que les autres n’ont jamais vu… Et c’est un peu le charme de nos spécialités chirurgicales voire une source de challenge pour nos jeunes collègues et leurs travaux de recherche. Nous ne remettons donc pas en cause l’existence du ligament hyo-platysmal. Nous nous interrogeons seulement sur la réelle implication anatomique et fonctionnelle d’une telle structure sur la définition de l’angle cervical antérieur et sur l’étiopathogénie des cordes platysmales. L’analogie avec les points de fixation décrit au niveau de la face par Furnas D.W. n’est pas superposable [28]. En effet, avec les points de fixation décrit par Furnas D.W. (même si leur description anatomique n’était pas évidente), nous avions une preuve indirecte de leur existence : l’apparition d’un sillon et d’un bourrelet sus jacent avec l’affaissement facial concomitant du vieillissement. C’est l’apparition du pli naso-génien et de la bajoue au cours du vieillissement qui détermine le concept d’adhérence entre la peau et les structures sous-jacente. Nous pouvons alors parler de « ligament » tel que l’a décrit Furnas D.W. Il n’est pas nécessaire de le voir pour comprendre qu’il existe. A l’opposé, ce principe ne s’observe pas réellement au niveau du cou même si l’on peut concevoir que les plis cutanés transversaux peuvent engendrer quelques bourrelets de peau dans la région sus hyoïdienne. En revanche, nous n’avons jamais observé, au niveau du muscle platysma, de plis musculaire (ou de bourrelet) au-dessus d’un point de fixation. Rappelons encore une fois que, selon notre expérience, la corde platysmale résulte d’une contraction et non d’un relâchement !

 

  • Sur le grand nombre de régions cervicales disséquées lors de nos travaux anatomiques, nous n’avons jamais observé de « structures vraiment individualisables » entre l’os hyoïde et les muscles peauciers du cou dans la région médiane (Figure 5).

 

 

  • Au cours de nos travaux, nous avons fréquemment constaté un panicule graisseux homogène sous les muscles platysma (Figure 2). Nous n’avons jamais remarqué de points de fixation entre la face postérieure des muscles et une structure sous-jacente. Quand on fait une platysmaplastie au cours du lifting cervico-facial, et que l’on « décolle » la face profonde des muscles platysma, nous ne constatons pas de réelle résistance. Le plan de dissection est « facile » (Figure 6).

 

 

  • Sur notre classification, et celle de Claudio Cardoso, nous observons qu’il existe un certain nombre de muscles platysma qui ne présentent pas de décussation médiane. Comment pourrait-il exister alors un ligament entre l’os hyoïde et les muscles platysma s’il n’existe pas de muscles sur la région médiane (Figure 7)?

 

 

  • Admettons l’existence d’un ligament hyo-platysmal et son relâchement qui expliquerait l’ouverture de l’angle cervico-mentonnier et la présence de cordes platysmales. Nous avons alors deux questions :

 

 

  • Si cette hypothèse est bonne, comment expliquer la présence de cordes latérales ou sur les bords caudaux des muscles platysma (Figure 3) ? Il y aurait donc un ligament hyo-platysmal sur tout l’os hyoïde et qui se prolongerait très loin latéralement ? Nous restons dubitatifs devant l’inadéquation entre la taille de l’os hyoïde et la surface du muscle platysma.

 

  • Si l’on admet l’existence d’un ligament hyo-platysmal, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’une structure solide et fixe comme tout ligament. Comment expliquer alors que lors d’une paralysie faciale, les cordes platysmales du côté paralysé disparaissent [4]? Normalement, la paralysie musculaire ne concerne pas une structure ligamentaire d’autant que du côté non paralysé, les cordes platysmales persistent…

 

CONCLUSION

 

Aujourd’hui, la quête d’un angle cervico-mentonnier parfait reste une préoccupation majeure dans la chirurgie de rajeunissement du cou. L’étio-pathogénie précise reste à définir mais certains points sont acquis comme un os hyoïde trop bas, une surcharge graisseuse trop prononcée, la présence de cordes platysmales et un étui cutané détendu.

Pour rester dans le coup sur le cou, il reste à trouver la solution chirurgicale idéale qui permettra de creuser cet angle. De nombreuses techniques ont été proposées mais aucune ne semblent parfaite aujourd’hui. Seules les platysmaplasties ont permis une avancée thérapeutique pour une meilleure définition de cet angle.

L’existence d’une structure ligamentaire entre l’os hyoïde et le platysma (et son relâchement) ne peut pas expliquer à elle seule, et selon notre expérience, l’ouverture de l’angle cervico-mentonnier et la présence des cordes platysmales. L’idée de recréer une « adhérence » entre les muscles platysma et les structures sous-jacente reste intéressante. Nous attendons les résultats avec un recul suffisant pour apprécier l’efficience d’une telle solution thérapeutique.

       

FIGURES

 Figure 1 : Compartiment graisseux entre les chefs antérieurs des muscles digastriques

 

 

 Figure 2 : Graisse sous cutanée de la région cervicale

 

 

 Figure 3 : Cordes platysmales sur les bords mésiaux et caudaux du muscle platysma

 

 

Figure 5 : Muscle platysma

 

 

 Figure 6 : Plan de dissection sous-platysmal au cours d’une platysmaplastie.

 

 

 Figure 7 : Forme anatomique de type B2 de la classification. Il n’existe pas de muscle platysma dans la région médiane et l’écart entre les bords mésiaux est très important.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

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[21] KAYE B.L. The extended neck lift: the ” bottom line “.  Plast. Reconstr. Surg., 1980, 65, 429.

[22] CARDOSO de CASTRO C., ABOUDIB J.H.C. Extensive cervical and lower face lipectomy: its importance and anatomical basis. Ann. Plast. Surg., 1980, 4, 370.

[23] CARDOSO de CASTRO C., ATTIAS P. Lifting cervical. Ann. Chir. Plast. Esthét., 1986, 31, 174.

[24] FELDMAN J. J.  Corset platysmaplasty. Plast. Reconstr. Surg., 1990, 85, 333.

[25] FELDMAN JJ. Surgical anatomy of the neck. In: Feldman JJ, editor. Neck lift. Quality Medical Pub: St. Louis, MO; 2006. pp. 73–152.

[26] LE LOUARN C. Une nouvelle approche de l’anatomie fonctionnelle du cou et de l’ovale : rôle du ligament hyoplatysmal, du platysma et du depressor labii lateralis. Ann. Chir. Plast. Esthét., 2016, 61, n° 2, pp101-109.

[27]  LABBE D. SOUZA MARTINS ROCHA C., DE SOUZA ROCHA F. Cervico-Mental Angle Suspensory Ligament: The Keystone to Understand the Cervico-Mental Angle and the Ageing Process of the Neck. Aesthetic Plastic Surgery. August 2017, Volume 41, Issue 4, pp 832–836.

[28] FURNAS D.W. The retaining ligaments of the cheek. Plast Reconstr Surg. 1989, 83(1):11–16

 

 

Missions humanitaires et éthique médicale : Nos interrogations sur le terrain.

Missions humanitaires et éthique médicale :  Nos interrogations sur le terrain.

Patrick Knipper

www.knipper.fr

 

Les terres humanitaires comme beaucoup de champs d’explorations sont ouvertes à la clairvoyance des spécialistes de l’éthique. L’éthique en mission humanitaire c’est bien mais pourquoi faire ? Ce sujet passionnant présage beaucoup d’interrogations tant les axes d’interprétation de l’éthique semblent différents entre les patients locaux, les acteurs de terrain et certains spécialistes de la moralité. Aujourd’hui, nous nous interrogeons sur ce concept de probité dans ces aires de jeux de la philanthropie du soin.

Généralement, l’éthique essaye de répondre à une question simple mais essentielle : comment faire au mieux ? Pour un médecin, le mieux est de guérir son patient. Il est bon de rappeler que dans nos actions de bénévolat en mission nous sommes des médecins et que notre motivation première est de soigner des patients. Nous parvenons parfois à les guérir. Si une intervention « soigne » un patient, on peut dire que cette intervention est thérapeutique et donc bénéfique pour le patient. L’enjeu serait trop simple si la problématique était si sommaire. Quand nous évoquons l’éthique médicale, il est toujours bon de rappeler certains principes indispensables comme l’autonomie du patient qui doit pouvoir décider librement, la bienfaisance qui nous engage à toujours penser aux avantages pour notre patient, la non-malveillance qui protège ce patient des préjudices et la justice qui nous incite à prendre en charge tous les patients de manière identique. Nous émettrons immédiatement certaines interrogations concernant ces principes quand ils doivent être appliqués au cours de nos missions dans les pays en voie de développement :

  • Notion d’autonomie ? L’idée qu’un patient puisse décider librement et « seul » n’est pas réalisable dans la plupart des villages africains, par exemple, dans lesquels nous avons travaillé. Nous avons plusieurs exemples qui attestent de la nécessité d’une décision collective sur un cas médical particulier. L’amputation d’une main sur un sepsis majeur qui pourrait mettre en jeu la vie du patient ne sera jamais décidé par le patient isolément. L’avis de la famille, du chef de village et du tradipraticien seront indispensables. Dans la médecine traditionnelle le soin est un acte collectif. Où est la réelle autonomie du patient ? Où est la confidentialité entre le médecin et son patient, autre principe important de l’éthique médicale ? Nous préférons respecter les us et coutumes du pays dans lequel nous agissons. Cela fait partie de notre éthique de l’humanitaire.

 

  • Notion de bienfaisance ? Cette interrogation semble surprenante pour un acteur de l’humanitaire qui par essence, et comme la plupart des médecins, ne devrait penser qu’à faire du bien à son patient. Les humanitaires ne sont pas différents des autres acteurs de la santé mais le contexte ici impose probablement plus d’attention à l’égard de l’autre. Néanmoins, la bienfaisance reste pour nous en mission une vraie question face à ce que beaucoup d’entre nous ont observé sur le terrain : le tourisme humanitaire. Certains membres d’ONG nous ont semblé plus occupés par la bienfaisance à l’égard de leurs activités touristiques ou de leur égo qu’à l’intérêt premier des patients. Outre le fait que l’on peut se faire plaisir quand on fait plaisir, certains humanitaires n’abusent-ils pas de leur propre satisfaction en mission ? Certains membres d’ONG donnent-ils vraiment aux patients dans l’attente de soins tout ce dont ils nécessitent ? La bienfaisance, à notre sens et en mission, ne serait-il pas de donner aux gens tout simplement ce dont ils ont besoin ? Donner de l’amour c’est bien quand on a pitié mais celui qui a faim préfère recevoir de la pitance…

 

  • Notion de non-malveillance ? Cette notion reste cocasse à nos yeux. En effet, nous nous étions posé cette question il y a de très nombreuses années quand nous faisions de la chirurgie nomade dans les villages isolés qui s’accrochaient sur les berges du Fleuve Niger. Nous avions alors soumis cette problématique à un chef de village nous interrogeant sur d’éventuelles suites juridiques si une grosse complication voire un décès survenait lors d’une de nos interventions en brousse. Nous demandions alors précisément à ce chef de village ce qu’il adviendrait si un patient décédait et comment réagirait la famille et les villageois ? La réponse fut claire et sans délai. Pour la population locale, nous avons fait des milliers de kilomètres pour venir les visiter et nous avons abandonné nos familles. Nous venons travailler dans des conditions difficiles pour des étrangers et nous vivons avec eux dans des conditions précaires. Dans leur esprit, il est inconcevable que nous venions pour faire du mal ou que nous ayons une quelconque intention de malveillance. Si un décès arrive, c’est la fatalité ou de l’ordre de l’invisible mais, en aucun cas, ils reprocheront à l’équipe étrangère d’avoir fait quelque chose de mal. Dans cet environnement, la notion de malveillance n’appartient pas au monde du visible. N’oublions pas toutefois que le monde de l’humanitaire n’est pas homogène et que la notion de malveillance ne peut pas être entièrement balayé que ce soit dans le visible ou l’invisible.

 

  • Notion de justice ? Cette notion, qui nous incite à prendre en charge tous les patients de manière identique, est un sujet de négociation permanente dans nos actions humanitaires ou dans les situations d’urgences extrêmes.

Nous ne reviendrons pas sur le concept de « triage » qui consiste à trier les patients lors d’un afflux massif de blessés après un attentat ou un séisme. La notion de justice de l’individu se dilue alors dans l’intérêt du commun. L’amputation sera préférée aux lambeaux en cas d’afflux massif saturant. Ce n’est pas toujours juste mais certainement plus efficace à l’échelle d’une prise en charge plus globale des nombreux patients traumatisés.

La notion de justice est également difficile à appréhender sous le règne de la tradition. Ici, la prise en charge des patients ne peut pas être identique puisque les patients ne sont pas identiques. L’idée bienpensante qu’un égalitarisme doit s’imposer dans le soin est illusoire dans certaines traditions lointaines. La sélection par rapport à l’âge est démonstrative en Afrique. L’ancien est un trésor en ces lieux et il sera juste de privilégier ses soins par rapport à l’enfant. « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », Hampate Ba. C’est ainsi. Les patients âgés et les enfants ne seront pas pris en charge de manière identique. Pour eux, c’est juste et nous sommes chez eux. L’explication ethnologique nous explique qu’il est exceptionnel qu’une personne âgée vive longtemps dans cet environnement hostile et que sa présence si avancée est un précieux cadeau. Il convient donc de prendre soin de ce don. Mais où est la justice quand on vous impose d’opérer en premier un vieux qui présente un lipome bénin et ancien alors qu’un jeune enfant présente une hernie étranglée qui nécessite une intervention en urgence ? Comment expliquer que l’on va opérer un enfant non initié et pauvre avant une personne âgée respectée et aisée ? De quelle justice parle-t-on ? De quelle éthique parle-t-on ?

La notion d’éthique en humanitaire ne peut pas se résumer à la seule relation entre le soignant et le soigné. Durant nos nombreuses missions chirurgicales, nous nous sommes interrogés sur la nécessité de nos actions et sur l’efficacité thérapeutique de nos actes. Nous nous sommes questionnés sur la signification que pouvait avoir une maladie dans ces pays et sur la réelle efficience de nos interventions dans ces conditions. Nous avons interrogé les patients, les familles de patients, les médecins locaux, et les thérapeutes traditionnels. Nous avons surtout essayé de savoir si notre action correspondait à la demande locale et si nous répondions à cette attente dans le respect des codes locaux. Nous avons essayé de démontrer, à travers notre expérience de terrain, que la finalité de nos actions thérapeutiques ne nous appartenait pas et que seul le patient pouvait dire s’il se sent guérit et si le résultat de l’intervention lui convenait. Nous avons surtout appris à écouter l’autre et à ne pas imposer nos concepts sans respecter le regard de l’autre. Nous avons essayé de donner à l’autre ce qu’il désirait et non pas ce que nous voulions lui donner. L’éthique a fait partie de nos interrogations.

Nous adhérons comme la plupart de nos confrères à la notion d’éthique appliquée à toute action de santé et, surtout, si cette action intervient dans l’espace humanitaire. Cependant, l’analyse de certains spécialistes de l’éthique dans cet environnement si particulier nous a rappelé nos « bobolos » aux pays des bororos (bobolo est une contraction de « bobo » et « d’écolo »). Certains d’entre eux, par exemple, adorent prophétiser le nettoyage des sacs en plastiques des pays en voie de développement alors que l’inquiétude première de celui qui a faim est de « bouffer » précisément ce qui a dans les sacs en plastique. L’écologie est ressentie dans ces pays comme une préoccupation de personnes aisées. L’intérêt pour les sacs en plastique est parfois mal vécu par les populations locales affamées. L’inquiétude première de celui qui a faim est de manger. Nous sommes tous tristes de voir les petits sacs noirs moucheter les palissades des jolis villages africains et nous préférons tous photographier des villages immaculés. Nous adhérons tous aux principes écologiques. Mais la préoccupation première du bobolos ne serait-elle pas de donner à manger (même du bio) à celui qui a faim ?

Nous adhérons également à la notion d’égalité dans nos rapports avec nos interlocuteurs et nos patients sur le terrain. Pellegrino et Gebsatrel nous rappellent qu’un rapport éthique implique une interaction entre deux personnes ou deux agents moraux équivalents (« moral agents ») ! Mais, concernant l’acte de soin au village, comment peut-on juger la notion d’équivalence entre un chirurgien européen et un agriculteur béninois ? Où se situe l’équivalence dans la connaissance de l’origine de la maladie et de leur traitement ? Ont-ils le même langage pour se comprendre ? La notion même d’équivalence suggère un rapport de force avec cette perpétuelle quête du dieu « Egalité » que vénèrent tant nos bobolos. Dans notre action en mission, nous cherchons plutôt à créer un espace où les deux personnes se comprennent et se complètent dans le respect de leur différence. L’équivalence n’est pas indispensable à cette compréhension.

Nous sommes nombreux à avoir lu Emmanuel Levinas et nous adhérons pour la plupart à ses notions sur l’éthique médicale mais sont-elles toutes vraiment adaptées à nos actions en mission humanitaire… Nos interventions sur le terrain nous ont proposé une vision sensiblement différente et voici quelques exemples :

  • Pour Emmanuel Levinas, « être inquiété » c’est ne plus pouvoir jouir de la vie quand l’autre souffre… Nous saisissons cette sensibilité mais, en mission humanitaire, comment pouvons-nous savoir que l’autre souffre. La notion de souffrance et sa perception ne sont pas identiques. Elles dépendent de l’histoire de chacun, de la culture et de l’interprétation qu’en font les patients. Percevons-nous la vraie souffrance de l’autre ? Sa simple visibilité reste difficile à apprécier. Dans le cadre humanitaire, on ignore souvent comment l’autre souffre ; il est loin et nous devons aller le voir. Evidemment, la plupart des pathologies engendrent une inquiétude chez l’humanitaire et nous sommes généralement là pour traiter cette souffrance. Mais sommes-nous là par inquiétude ou tout simplement par désir de soulager l’autre ? Sommes-nous inquiétés au point de ne plus pouvoir jouir de la vie ? Personnellement, c’est parce que ma vie est réjouissante que j’ai envie d’aller soigner l’autre ! Pour donner du bonheur, il faut être heureux…
  • La souffrance n’est pas inutile pour Emmanuel Levinas ! Pour lui, la souffrance de l’autre peut même révéler la conscience morale. Nous comprenons également cela d’autant plus que dans notre tradition judéo-chrétienne il existe le concept du chemin de croix. « Tu enfanteras dans la douleur » ! Pour certains, la douleur peut être utile pour la guérison ou fait partie du processus de guérison. Cette conception peut parfaitement être adaptée dans nos actions thérapeutiques au village. Nous avons plusieurs exemples où la douleur était interprétée par le patient comme « bénéfique ». Il semblait positif pour lui dans son parcours thérapeutique de « sentir » le mal et de ressentir le traitement. Il semblait vouloir, en quelque sorte, vivre sa maladie et sa guérison. Sans être caricatural, un patient qui ne sent absolument rien durant l’intervention, qui présente des suites parfaites sans douleur postopératoire et qui a une cicatrice quasiment invisible n’éprouve pas toujours un vrai sentiment de guérison. « M’a-t-il tout enlevé ? » ou « Le mal est-il parti ? » pense souvent le patient au village. Cette remarque n’a rien de discriminatoire pour le patient au village puisque nous observons ce comportement également en France chez certaines personnes âgées qui pensent que les médicaments ne sont pas toujours « bons » pour guérir et qu’il est normal de souffrir quand on est malade. Nous retrouvons la représentation du chemin de croix ! Evidemment, nous ne pensons pas que la douleur soit bénéfique mais nous avons observé que le patient devait parfois « sentir les choses » pour avoir l’impression que nous avions « fait quelque chose ». Vous conviendrez que cette notion est difficile à faire accepter aujourd’hui par un médecin européen qui prône la prise en charge de la douleur systématiquement en postopératoire. Pour lui, la souffrance est inutile et c’est au nom de sa conscience morale qu’il ne peut pas laisser les patients souffrir. La souffrance est-elle éthique ?
  • Chez Emmanuel Levinas, et toujours dans le même ordre d’idée, le patient est envisagé sous l’angle de sa vulnérabilité et de sa souffrance. Il faut voir dans le souffrant, ses ressources personnelles, culturelles ou autres qui lui permettent de se prendre en charge, se traiter… La complaisance à la souffrance peut être délétère et l’on voit cela chez certains humanitaires qui veulent tout gérer et tout traiter sans parler de ceux qui veulent « sauver » le monde… Levinas nous éclaire quand même sur la différence qu’il y a entre complaisance et pitié : « Contrairement à la pitié, où celui qui l’éprouve se considère comme étant à l’abri de la misère, la compassion ne va pas sans la reconnaissance d’une commune vulnérabilité entre le sujet affecté et l’autre qui souffre. »
  • Pour Emmanuel Levinas, le sujet n’est pas libre de sa bonté : « nul n’est bon volontairement ». Le sujet subit la souffrance de l’autre et sa responsabilité pour autrui lui ai imposée… Nous acceptons cela en général mais en humanitaire l’acte est volontaire. Nous employons par ailleurs le terme de « volontaires » de l’humanitaire. L’humanitaire ne subit pas la souffrance de l’autre, il la cherche.

En conclusion, nous avons essayé de comprendre, au cours de nos missions, l’environnement dans lequel nous exercions et la vraie finalité de nos interventions. A travers nos nombreuses expériences de terrain, nous démontrons que seul le patient peut définir la finalité de son intervention et sa dimension thérapeutique. Nous pensons que l’éthique médicale reste un fil d’Ariane que doit suivre toutes nos actions thérapeutiques et de surcroit en humanitaire. Cependant, nous n’avons pas su toujours appliquer cette éthique durant nos missions sur le terrain. Nous n’avons pas su l’expliquer. Nous allons jusqu’à penser que sur un plan purement éthique nous ne devrions pas répondre à la demande du patient dans certains pays parce ce qu’il demande est la guérison ! Et nous ne savons pas ce qu’est la guérison dans ces pays !

Nous pensons qu’il conviendrait de laisser les acteurs locaux définir leur propre notion de l’éthique médical et que le terme « éthique » devrait être employé au pluriel !

PK

Lifting du cou: les cordes platysmales…

Nous allons essayer de tordre le cou à quelques idées reçues sur les cordes platysmales en faisant le tour du périphérique cervical. Ce papier propose de s’interroger initialement sur la vraie demande du patient puis sur la réalité des structures anatomiques concernées. Nous sonderons enfin les possibilités d’amélioration esthétique du cou.

 

         LA DEMANDE DU PATIENT

Aujourd’hui, la demande du patient est ici principalement esthétique. Il n’existe pas, à ma connaissance, de demande fonctionnelle hormis les séquelles de brûlure ou d’autres pathologies engendrant une rétraction des tissus ou des brides cervicales.

L’élégance de la région cervicale appartient à un certain équilibre entre les concaves et les convexes et repose sur la présence d’un angle cervico-mentonnier relativement bien défini et compris généralement entre 90 degrés et 110 degrés. Un angle cervico-mentonnier trop ouvert  rend disgracieux le profil cervical ainsi qu’une surcharge graisseuse associée à la disparition des reliefs musculaires. La  responsabilité des cordes platysmales dans la dysharmonie de la ligne cervicale antérieure est également bien établie. Il existe de nombreuses publications sur cette notion de cou idéal [1,2].

Dans cette demande d’amélioration du cou, la référence à un parent reste fréquente dans nos consultations: « je ne veux pas être comme ma mère », « mon père en vieillissant avait un cou de dindon mais c’est de famille docteur ! ». Comme pour le nez, la plastique de cette zone charnière du corps marque parfois une filiation qu’il convient de comprendre et de respecter. Interrogeons-nous donc d’abord sur cette demande de modification du trait familial. Si le nez peut caractériser une note familiale voire une caractéristique ethnique, les cordes platysmales restent cependant souvent associées au vieillissement naturel du cou. Comprendre cette demande c’est surtout comprendre quelles sont les modifications qui dérangent le patient, quelles sont les structures qui se sont dégradées sur le plan esthétique et avec le temps. Personnellement, je reste toujours surpris quand une patiente consulte subitement pour une demande d’amélioration esthétique du cou alors que sa morphologie semble être innée : un cou court et large avec un angle sous-mentonnier très ouvert sur une cyphose cervicale prononcée. La chirurgie ne pourra pas beaucoup améliorer cette dysharmonie. Il conviendra d’écouter longuement la demande, d’essayer de comprendre la motivation du jour et d’expliquer longuement les raisons anatomiques de cette morphologie cervicale particulière pour mieux faire accepter les limites de la logique chirurgicale.

Dans notre pratique quotidienne, la demande d’amélioration de la région cervicale pourrait se résumer à trois situations: la surcharge graisseuse, le relâchement cutané et la présence de cordes platysmales. Ces outrages du temps peuvent être isolés ou associés. Il faudra bien les identifier pour en expliquer les raisons et proposer des solutions thérapeutiques avec leurs avantages, leurs risques et surtout leurs limites.

        

 

         LA REALITE DES STRUCTURES ANATOMIQUES CONCERNEES

             Plusieurs facteurs participent à la dysharmonie de la région cervicale. L’excédent cutané est corrigé par un lifting cervical nécessitant un décollement cutané. L’excès de graisse sous-mentale – qu’il se situe au-dessus ou au-dessous du muscle platysma – se traite par l’exérèse directe au cours d’un lifting ou par lipoaspiration cervicale isolée. La rétrogénie nécessite une correction par une ostéotomie mentonnière d’avancement ou par la mise en place d’un implant. Le dernier facteur est représenté par les bords mésiaux déhiscents et tendus des muscles platysma qui constituent les cordes platysmales. Il convient pour les corriger d’effectuer une platysmaplastie. Nous rappelons que, quelles que soient les techniques effectuées, le résultat post-opératoire demeurera conditionné par la position de l’os hyoïde.

 

         CE QUI A ETE FAIT

             Quasiment tout a été essayé pour améliorer la région cervical mais peu est fait au quotidien:

1) Sur l’os hyoïde

L’angle cervico-mentonnier est  défini par la position de l’os hyoïde. MARINO H. est le premier en 1963 à avoir précisé sur le plan radiologique la position de cet os [3]. Le corps de l’os hyoïde se trouve au même niveau que le bord inférieur de la symphyse mentonnière selon une ligne parallèle à la ligne de Francfort.                                                                                                                                                                                                              Pour modifier la position de l’os hyoïde il faut agir sur les muscles sus-hyoïdiens. La désinsertion des muscles sus-hyoïdiens proposée par COLLINS P.C. et EPKER B.N. en 1983 [4] et par GUYURON B. en 1992 [5] a donné de beaux résultats dans leurs publications sur la fermeture de l’angle.  Dans notre publication de 1996, nous avions proposé  une correction de l’angle cervico-mentonnier par la suspension postéro-supérieure de l’os hyoïde en « plicaturant » le tendon intermédiaire des muscles digastriques [6]. Cette plicature raccourcis la longueur totale du muscle et favorise l’ascension de l’os hyoïde. Dans une publication récente, LABBE D. propose le « corset digastrique » [7]. Les beaux résultats obtenus sur la fermeture de l’angle me semblent être dus également en partie à l’action sur la position de l’os hyoïde. En effet, la suture sur la ligne médiane des chefs antérieurs des digastriques raccourcie la longueur totale des muscles et fait ascensionner l’os hyoïde.

En pratique : aujourd’hui, une modification de la position de l’os hyoïde est peu réalisée dans notre activité chirurgicale quotidienne.

2) Sur la glande sous-maxillaire

Dans certains cas où la glande maxillaire (par son volume ou sa ptose) surcharge la région latérale du cou, certains auteurs ont proposé une sous-maxillectomie.

En pratique : dans l’environnement dans le lequel s’effectue la chirurgie esthétique en France peu d’opérateurs réalisent cette intervention.

3) Sur la graisse

Presque tout a été imaginé pour proposer une lipoaspiration de la région cervicale devant une surcharge graisseuse [8].

Nous pouvons observer trois tableaux cliniques relativement stéréotypés :

– a/ patiente jeune présentant une fermeture de l’angle par embonpoint sous mentonnier localisé: lipoaspiration médiane sous mentale, sous anesthésie locale, en insistant sur la graisse profonde, sous platysmale, située entre les chefs antérieurs des muscles digastriques ;

– b/ patiente présentant une surcharge graisseuse diffuse sur une peau élastique : lipoaspiration en respectant la graisse superficielle pour éviter les adhérences postopératoires ;

– c/ patiente présentant une fermeture de l’angle par surcharge graisseuse associée à un cervicochalasis : lipoaspiration douce associée au lifting cutané. Attention, dans ce cas, à la lipoaspiration trop prononcée d’une région qui peu mal répondre au geste de remise en tension de la peau (région sous-mentale ou région des basjoues).

4) Sur la peau

Nous ne pouvons aborder dans ce papier, consacré aux cordes platysmales, toutes les techniques de lifting cervical cutané. Le principe du lifting est de redistribuer la peau relâchée par des vecteurs de traction divers et par différents plans de dissection. Les techniques ont été affiné pour rendre plus naturel le résultat esthétique final. Tous les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour penser qu’un lifting qui « se voit » n’est pas un bon lifting. Différents plans de décollement ont ainsi été proposés pour atténuer une tension excessive sur la peau. Il faut retenir que grande cicatrice et grand décollement ne sont pas systématiquement associés à grand résultat. Les choses ont évoluées mais un «mini lift» (ou un lifting partiel) sera souvent synonyme de mini résultat! L’autre notion que l’on doit retenir est que la région sous-mentale répond mal au geste de tension cutanée latérale. Le dernier facteur important pour apprécier la pérennité du résultat reste l’évaluation de la qualité de la peau en préopératoire.

En pratique : l’art d’un bon lifting est de corriger sans modifier, de satisfaire le patient sans que l’intervention soit visible. La réalisation doit surtout tenir compte de l’environnement, de la patiente voire de son histoire et de ses origines. Le chirurgien doit adapter les techniques au patient et ne pas imposer une seule technique à tous les patients.

5) Sur les muscles peauciers du cou ou platysma

De nombreuses techniques de platysmaplastie ont été proposées. Aufricht en 1960 [9], T.J. Baker en 1969 [10] puis Skoog en 1974 [11], vantèrent les mérites de la suspension simple du bord postérieur du peaucier au muscle sterno-cléïdo-mastoïdien. J. Guerrero-Santos, en 1974, proposa le premier des sections musculaires partielles avec création de lambeaux [12, 13]. La première section totale du peaucier est réalisée par B. Connel en 1978 [14,15]. Nous pouvons citer, de façon non exhaustive, d’autres auteurs comme R. Peterson [16], V. Mitz [17],  B.L. Kaye [18], C. Cardoso de Castro [19,20], D.R. Millard [8] ou J.J. Feldman [21] qui proposèrent une multitude de variantes techniques au cours de la platysmaplastie.

Les deux principales interrogations, aujourd’hui, concernent la réelle efficacité d’une suture sur la ligne médiane des muscles et la nécessité d’une section des muscles platysma pour faire disparaître les cordes. Nous avions proposé, dans une présentation déjà ancienne [22], qu’une corde platysmale résultait d’une contraction musculaire. L’arrivée secondaire de la toxine botulique et son efficacité sur cette contraction étaient venue confirmer cette hypothèse de départ.

Faut-il suturer les muscles peauciers du cou sur la ligne médiane pour améliorer l’angle cervico-mentonnier et faire disparaître les cordes platysmales? Pour répondre à cette question, nous avions également fait des travaux anatomiques sur pièces de  dissections et comparé différentes techniques opératoires [23].

Notre première série de dissections, concernait l’anatomie des muscles platysma sur cent pièces anatomiques [Fig. 1]. Nous avions trouvé, dans 12 % des cas, des muscles peauciers peu exploitables sur le plan chirurgical quel que soit leur degré de décussation. Par conséquent, avant d’envisager une suture éventuelle des muscles sur la ligne médiane, il faut noter que toutes les présentations anatomiques ne permettront pas de suture efficace ! Seuls les muscles platysma suffisamment épais pourront être suturés. Ensuite, seuls les types A (68%) présentant une décussation [Photographie 1] et les types B1 (26% des types B) sans décussation mais avec un écart modéré  [Photographie 2] pourront être rapprochés sur la ligne médiane. Cette série nous avait également permis d’individualiser le type anatomique B2 (6 % des types B) où l’écart trop important entre les muscles platysma n’autorise aucune suture sur la ligne médiane [Photographie 3]. Comme première conclusion (et sur une série de 100 pièces anatomiques), nous pouvons dire que la suture médiane ne concernera que les formes anatomiques « suturables ». Il conviendra donc d’apprécier, en préopératoire, le type de décussation et d’informer le patient sur la possibilité de trouver en peropératoire des muscles trop fins dont la suture sera inefficace.

La deuxième partie de l’expérimentation avait permis de comparer différentes techniques opératoires. Notre deuxième conclusion, fondée sur une étude statistique fiable, nous avait permis de trouver une meilleure définition de l’angle cervico-mentonnier après section des muscles platysma [Photographie 4] et une fermeture encore plus grande de cet angle quand la platysmaplastie n’associe pas de suture antérieure des muscles peaucier. La section complète des platysma présentait l’avantage d’une meilleure translation latérale  des muscles au cours de la platysmaplastie. En revanche, cette section pouvait entraîner certaines complications : lésion de la branche mandibulaire du nerf facial, plaie de la veine jugulaire externe, découverte du cartilage thyroïde, chute de la glande sous-maxillaire et persistance d’un bourrelet sous-cutané traduisant l’enroulement du chef musculaire distal. La suture médiane, prônée par de nombreux auteurs et notamment par J.J. Feldman, permettrait la création d’un hamac musculaire sous-mandibulaire, voire la formation d’un véritable corset musculaire en multipliant les plicatures longitudinales [21]. Néanmoins, cette suture médiane nécessite, le plus souvent, une cicatrice sous-mentale supplémentaire et peut s’accompagner d’un bourrelet médian résiduel au niveau de la plicature.

 

 

 

                                                                                           

 

 

 

 

 

 

Figure 1 : Classification des muscles Platysma

 

CE QUI RESTE A FAIRE

Les muscles peauciers de cou ont perdu leur fonction première. Ils ne sont plus les muscles cervicaux puissants qui interviennent  dans la stabilisation et la mobilité de l’extrémité céphalique. Dans nos sociétés, ils sont quasiment  inconnus. Leurs découvertes stigmatisent aujourd’hui le vieillissement. Les cordes platysmales sont visibles car elles se contractent. L’idéal serait donc simplement de paralyser ces contractions sachant que cela n’aurait aucun retentissement fonctionnel. L’expérience de la toxine botulique a prouvé l’efficacité de cette paralysie mais de façon trop temporaire évidemment. La dénervation totale des muscles platysma associée à un « redrapage » cutané efficace devrait satisfaire la plupart des objectifs. Mais la dissection des différents pédicules nerveux et leurs sections restent délicates, fastidieuses, aléatoires et nécessiteraient un temps opératoire trop long.

 Selon notre expérience, la section totale des muscles peauciers est une bonne solution mais n’est pas applicable à tous les patients. De surcroit, nous avons noté certaines récidives malgré une section complète. Il ne faut pas se contenter de couper le muscle ; il faut sectionner le muscle et son aponévrose sur les deux faces. Il convient également d’assurer un grand espacement entre les deux extrémités en fin d’intervention. Dans de nombreux cas, une suspension postérieure des platysma sans les sectionner peut suffire quand elle est associée à une large dissection sous-cutanée cervicale antérieure avec une remise en tension cutanée. L’apparition secondaire des cordes reste tardive, moindre et très bien acceptée par les patients. Il faut cependant l’expliquer.

 

CONCLUSION

Les cordes platysmales appartiennent au vieillissement cervical. L’apparition de la corde platysmale résulte d’une contraction musculaire. La solution sera donc musculaire. Un muscle peut être sectionné, transposé ou paralysé. Nous avons presque tout essayé et il n’y a pas, aujourd’hui, de consensus sur une seule technique. Cela signifie que les patients sont différents, les demandes variées et l’anatomie du périphérique cervical incertaine.

 

En pratique :

Quel que soit la demande et avant tout geste technique, nous conseillons de bien comprendre la demande, d’analyser cliniquement les muscles peauciers du cou, d’en analyser l’épaisseur et d’apprécier leur écart sur la ligne médiane…

–  Si le patient présente une cyphose cervicale prononcée, un cou court et/ou un os hyoïde trop bas, un geste sur le muscle restera peu efficace. Quel que soit le geste proposé, l’angle cervical antérieur restera ouvert donc inesthétique. Dans ce cas, nous proposons une simple traction sur le bord postérieur du peaucier lors du lifting.

– Si le patient présente une indication de lifting cervical cutané avec une corde modérée, isolée et que la motivation reste modérée, nous proposons de supprimer la contraction musculaire par de la toxine botulique en expliquant bien les limites du geste. Nous associons évidemment à cette injection un lifting cutané.

– Si le patient présente un réel affaissement cutané sur un angle de départ très fermé (donc favorable) avec des cordes platysmales prononcées et une vraie motivation, nous proposons un lifting cervical cutané étendu avec une section complète des muscles plastysma. La suture médiane peut être discutée si la version anatomique le permet et si le patient accepte l’incision sous-mentale complémentaire. Sinon, la section basse et complète des muscles platysma associée à une translation postérieure donne de bons résultats.

Nous avons essayé de faire  le tour du périphérique cervical. Nous n’avons pas trouvé la vérité ; nous avons emprunté quelques bretelles d’accès et, surtout, beaucoup de sorties…

 

PHOTOGRAPHIES

Photographie 1 :

Photographie 1: Platysma Type A avec décussation

 

Photographie 2 :

Photographie 2 : Platysma Type B1 sans décussation mais suturable

 

Photographie 3 :

Photographie 3 : Platysma Type B2 sans décussation et non suturable

 

Photographie 4 :

Photographie 4 : Section complète des muscles Platysma et traction postérieure

 

BIBLIOGRAPHIE

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CHIRURGIE PLASTIQUE ET ESTHETIQUE APRES GASTROPLASTIE

Docteur Patrick Knipper

 

 

            La gastroplastie a permis d’obtenir un amaigrissement important et stable. La perte de poids a entraîné un excès de peau sur différentes parties du corps. La chirurgie plastique va améliorer la silhouette en enlevant les plis de peau excédentaires.

 

1) Vous comprendrez d’emblée que nous envisagerons la phase de réparation une fois que le poids sera stabilisé.

2) Vous comprendrez, également, qu’un « bon mental » reste souhaitable avant toute intervention chirurgicale et que le soutien d’un psychologue s’impose s’il existe la moindre fragilité. Dans le même ordre d’idée, une bonne santé est préférable (comme pour toute opération). De surcroît, l’intoxication tabagique devrait être proscrit avant ce genre d’intervention pour limiter les risques post-opératoires.

3) Vous conviendrez qu’il faudra plusieurs interventions pour traiter les différentes parties du corps. Il reste possible de faire plusieurs interventions chirurgicales en même temps mais le risque sera augmenté et les suites seront plus difficiles. Nous avons déjà essayé de faire plusieurs gestes chirurgicaux pendant la même intervention. Selon notre expérience, cela augmente les difficultés et complique les suites. Les patients insistent souvent pour que l’on fasse tout en même temps en se disant « tant qu’à faire, faisons tout en même temps ». Bien que cela  semble séduisant sur le gain de temps, nous préférons privilégier le maximum de sécurité. Cependant chaque chirurgien plasticien décide selon son expérience et selon le souhait de son patient. Il faut simplement avant chaque opération recevoir un maximum d’informations. Dans tous les cas, il faut au moins six mois entre chaque opération. C’est médico-légal pour l’anesthésie et nécessaire pour que votre organisme  « récupère » entre chaque intervention.

4) L’important amaigrissement a engendré un excédent de peau considérable. Le principe commun de toutes les interventions sera d’ «enlever» cet excédent de peau en la « coupant ». Quand on incise la peau, le chirurgien fait une cicatrice. L’autre point commun à toutes ces interventions sera donc la présence d’une cicatrice. En effet, chaque fois que l’on « coupe » la peau, le chirurgien referme en suturant (en cousant); il en résulte une cicatrice. L’art de la chirurgie plastique est de faire une cicatrice la plus jolie possible et le plus discrètement possible. Le plasticien cache habituellement la cicatrice dans un pli naturel comme un pli de flexion. La longueur de la cicatrice est fonction de la quantité de peau que l’on enlève. Vous admettrez que si le « bourrelet » de peau est petit, la cicatrice sera petite et que si le « tablier » de peau à enlever est grand, la cicatrice sera grande. Méfiez-vous si un chirurgien vous propose d’enlever une grande surface de peau avec une toute petite cicatrice (il s’agira soit d’un illusionniste, soit d’un charlatan). Il existe une relation simple entre la quantité de peau que l’on veut enlever et la taille de la cicatrice. Aujourd’hui, plus la surface de peau est grande, plus la cicatrice sera grande mais ne vous inquiétez pas trop car, généralement, il s’agit d’une belle cicatrice qui sera cachée dans un pli.

5) Dans tous les cas, avant chaque intervention chirurgicale, il est raisonnable de voir son chirurgien au moins deux fois :

La première consultation permet de faire un vrai diagnostic (d’apprécier l’élasticité de la peau, de localiser les plis excédentaires, de faire des dessins pour expliquer, etc). Elle permet de proposer les différentes solutions chirurgicales possibles avec leurs avantages et leurs inconvénients. Elle permet d’expliquer une technique chirurgicale, ses suites, ses risques éventuels voire ses complications.

Temps de réflexion entre les deux consultations. Ce temps permet de prendre un peu de recul et d’essayer de préciser la région que vous désirez faire opérer en premier. Ce temps permet de préparer les futures questions, etc. Il faut laisser du temps au temps…

La deuxième consultation permet de confirmer votre désir d’être opéré et de poser toutes les questions nécessaires. Le chirurgien revient plus précisément sur l’intervention souhaitée et rappelle les points importants. C’est lors de cette consultation qu’il vous sera remis deux formulaires :

  • Le devis qui précise le nom de votre chirurgien, sa spécialité, le lieu de l’intervention, la prise en charge par la sécurité sociale, l’arrêt de travail, la cotation de votre intervention, les dépassements d’honoraires, etc…
  • Le consentement mutuel éclairé qui vous précise les risques éventuels de votre opération, etc …

Ces deux formulaires doivent être parafés et remis avant l’intervention à votre chirurgien.

Généralement, le patient part de la consultation avec les formulaires et il prend le temps de les lire à la maison avant de les signer et de les adresser au chirurgien. Lors de cette deuxième consultation, le chirurgien a communiqué la date de l’intervention et le lieu. Le patient devra contacter l’anesthésiste pour faire une consultation d’anesthésie pré-opératoire. Pendant cette consultation, l’anesthésiste fera un examen clinique et il vous prescrira des examens complémentaires en fonction de votre état clinique  (bilan sanguin, etc.). Il est conseillé de prescrire des bas « anti-varices » pour limiter le risque de phlébite, etc.

6) Présentation des différentes interventions. Lors de la première consultation, le chirurgien évoque les généralités sur les différentes interventions, sur le planning, sur la prise en charge générale, etc. Vous comprendrez qu’il est difficile lors de cette première consultation de vous parler en détail de toutes les interventions chirurgicales après une gastroplastie. D’une part, parce que la consultation durerait plus d’une heure et, d’autre part, parce que l’expérience nous a montré qu’il était impossible d’assimiler tant d’informations d’un seul coup. Il vaut mieux comprendre les principes généraux lors de la première consultation, prendre le temps de la réflexion et évoquer avec plus de détails l’intervention choisie  lors de la deuxième consultation. Nous allons essayer de vous présenter les principales interventions envisageables après un amaigrissement important. Toutes les techniques ne sont pas exposées, volontairement, pour ne pas surcharger la démonstration.

Cette présentation ne se substitue en aucun cas à une vraie consultation mais servira, nous l’espérons, de base à une meilleure réflexion.

 

Généralités

Les différents types d’anesthésie seront discutés avec l’anesthésiste lors de la consultation d’anesthésie pré-opératoire : vous aurez le choix entre une anesthésie générale (on dort complètement) et une anesthésie loco-régionale (seule la partie basse du corps est anesthésiée comme pour un accouchement…). Une plastie mammaire nécessite forcément une anesthésie générale alors qu’une plastie abdominale peut se faire sous anesthésie loco-régionale.

Généralement, la chirurgie de la peau et de la graisse n’est pas réputée pour être douloureuse mais la douleur étant une émotion, chacun « vivra » son intervention différemment et la douleur ressentie sera variable d’un patient à l’autre. Dans tous les cas des antalgiques sont prescrits systématiquement ; il est hors de question d’avoir mal aujourd’hui après une intervention.

Habituellement, nous gardons le patient deux nuits après ce genre de chirurgie mais une nuit supplémentaire peut s’avérer nécessaire si les redons donnent beaucoup de sang, par exemple, ou si l’état du patient nécessite un peu plus de repos…

A la sortie de l’hospitalisation, les médicaments seront prescrits ainsi que les fournitures pour faire les pansements (compresses, sérum physiologique, etc). Une ordonnance pour faire pratiquer les pansements par une infirmière diplômée d’état est, également, fournie. Cependant, l’expérience nous a appris que les patients préfèrent souvent faire eux-mêmes leur pansement quotidien. Ainsi, ils n’ont pas à attendre l’heure précise d’arrivée de l’infirmière, etc…

 

 

Plastie Abdominale

C’est, généralement, la première intervention demandée par les patients après un amaigrissement important. Les patients parlent souvent de « tablier », de « bouée », de « boudin qui pend » voire de « gros plis affreux ». La nomenclature de la sécurité sociale parle de « tablier cutanéo-graisseux » (tablier de peau et de graisse). Il s’agit en fait d’un excédent de peau et de graisse qui pend sous l’ombilic et au dessus du pubis. Ce bourrelet disgracieux est caractéristique en position assise. C’est dans cette position que vous pouvez apprécier au mieux l’étendue latérale du pli c’est-à-dire voir jusqu’où va le bourrelet sur les côtés. Nous pourrons dans cette position définir la place exacte et l’étendue de la future cicatrice.

Le principe de l’intervention consiste à enlever tout le bourrelet de l’ombilic au pubis, en hauteur, et d’un flanc à l’autre, en largeur. Le terme médical est « lipectomie abdominale » pour l’intervention (enlever la graisse en coupant). Nous enlevons, en fait, une grande ellipse horizontale qui correspond à tout le pli de peau et de graisse sous l’ombilic.

pa-face pa-profil

Ensuite, pour fermer, le chirurgien rapproche la peau de dessus et de dessous (il tire, il fait un lifting). En fin d’intervention, il fait ressortir votre ombilic à sa place d’origine. Vous aurez donc une cicatrice horizontale dans le pli naturel du bas du ventre et une petite cicatrice autour de l’ombilic. Au réveil vous aurez un pansement sur le ventre et deux petits tuyaux qui sortirons de chaque côté. Nous appelons ce tuyau un « redon » c’est-à-dire un petit drain qui aspire un peu de sang résiduel. Cela évite les hématomes. Cette intervention n’a pas la réputation d’être douloureuse mais des antalgiques seront prescrits systématiquement. Vous avez peut-être entendu une amie qui disait qu’elle avait eu mal mais elle avait peut-être eu une plastie abdominale avec un geste chirurgical sur les muscles. C’est la chirurgie sur le muscle qui fait mal. Dans la simple lipectomie abdominale après amaigrissement, nous ne touchons pas, généralement, à la paroi musculaire. Donc, cela reste peu douloureux.

Au bout de 48 heures, une infirmière fera le pansement, enlèvera les redons et le patient pourra se doucher. Après la douche, un pansement simple sera fait. Le lever est conseillé dés le lendemain. Très vite, le patient peut se mobiliser mais en faisant au début la « grand-mère » c’est dire en marchant comme une grand-mère. La position penchée en avant évite une trop grande traction sur la cicatrice pendant les premiers jours. En revanche, il peut  aller au fauteuil très rapidement puisque dans cette position il ne « tire » pas sur la cicatrice. Généralement, nous demandons de faire un pansement simple quotidien après la douche. La cicatrisation est obtenue en une dizaine de jours. Généralement, il n’y a aucun fil à enlever. Nous suturons avec des fils qui disparaissent spontanément. La cicatrice reste très rouge surtout pendant les trois premiers mois. Vous verrez une nette amélioration cicatricielle après le sixième mois.

En revanche, dés la fin du premier mois (quand les oedèmes auront disparu), le résultat plastique sur le ventre est spectaculaire. C’est une intervention que les patients ne regrettent jamais. Cependant, comme toute intervention chirurgicale, le risque zéro n’existe pas et une complication peut survenir (hématome, infection, trouble de cicatrisation, etc). Le suivi post-opératoire est donc important et le chirurgien suivra de près pour intervenir devant le moindre signe d’alerte.  Une consultation post-opératoire est systématique la semaine qui suit l’intervention. Une consultation est prévue au troisième mois pour surveiller l’évolution de la cicatrice puis au bout d’un an pour faire le bilan final.

 

Plastie Abdominale post Gastroplastie, le classique :

  • le plus : intervention rapide sous anesthésie loco-régionale, Excellent résultat plastique.
  • le moins : la partie au dessus de l’ombilic et les flancs ne sont pas traitées.

pa-av-ap pa-av-ap-bis

Avant                                                                                               Après

 

Plastie Abdominale post Gastroplastie, l’idéal:

Première intervention : Lipoaspiration abdominale au dessus de l’ombilic et sur les flancs.

pa-lipo-schema-face

Deuxième intervention:Plastie abdominale.

pa-lipo-schema-profil

Le plus : toutes les régions de l’abdomen sont traitées  /  Le moins : deux temps opératoires.

pa-post-gastro-avant pa-post-gastro-apres

Avant                                                                                                               Après

 

 

 

Plastie Mammaire

Après un amaigrissement important, les seins sont « vidés » et « tombent ». Dans les suites d’une gastroplastie, les femmes se plaignent surtout d’un « affaissement » du sein, d’une « chute ».  Le sein a perdu son volume et la peau, qui a perdu son élasticité, ne se rétracte plus. Le sein est plus mou et il tombe. On parle de « ptose » mammaire.

pm-post-gastro-face-pre

Après un amaigrissement, si le sein reste trop gros, le chirurgien fera une « réduction mammaire » pour corriger l’hypertrophie (sein trop gros) et la ptose (sein qui tombe). Si le sein n’est pas très gros mais qu’il tombe, le chirurgien fera une plastie mammaire pour traiter la ptose seulement. Le principe reste toujours le même : pour faire remonter le sein, nous « pinçons » le sein par-dessous. Pour éviter que le sein ne retombe, nous enlevons l’excédent de peau en « coupant » le surplus cutané. Ensuite, le chirurgien suture la peau. Il y aura donc des cicatrices. La règle est la même : si la quantité de peau à enlever est grande, la cicatrice sera grande ; si la quantité de peau est modérée, la cicatrice sera modérée.

On « pince » le sein pour enlever la peau en trop.

On coupe l’excédant  de peau.

schema-pm schema-pince

Cicatrices :

– si l’excès de peau est normal, on fait une cicatrice  qui ressemble à une serrure : autour le l’aréole et verticale.

– si l’excès est important, la cicatrice aura une forme en « ancre de marine » : autour de l’aréole, verticale et dans le sillon.

photo-cicatrice-verticale

Après l’intervention, le pansement est fait au bout de 48 heures et des petits redons  qui sortent sur les côtés. Le surlendemain, on enlève le pansement et les redons. La douche est permise et l’infirmière fera un petit pansement simple. Ensuite, un pansement simple est refait quotidiennement après la douche. Généralement, il n’y a pas de fils à enlever. Au début, il y aura des « frou-frous » sur la cicatrice. La cicatrice peut faire des plis comme les fronces d’un rideau. Il ne faut pas s’inquiéter car tous les « frou-frous » disparaîtront en deux à trois mois. C’est pendant cette période que l’on demandera au patient de porter un soutien-gorge de sport pour bien appuyer sur les cicatrices. Contrairement à l’idée reçue : plus on appuie sur une cicatrice, plus elle sera jolie. On appelle cela  la pressothérapie. Les seins auront une forme quasi définitive au bout de trois mois environ. Juste après l’intervention, ils sont un peu « haut » mais ils vont progressivement reprendre leur position au niveau du sillon sous-mammaire.

 

 

Exemple de Plastie mammaire:

Le plus : intervention 1h30, joli galbe du sein / Le moins : cicatrices visibles la première année.

 

  • Plastie mammaire pour ptose pure après gastroplastie :

pm-post-gastro-face-pre pm-post-gastro-face-post

pm-post-gastro-profil-pre pm-post-gastro-profil-post

Avant                                                                                                                                      Après

 

 

  • Plastie mammaire pour Hypertrophie + Ptose:

htm-face-pre htm-face-post

htm-profil-pre htm-profil-post

Avant                                                                                                                              Après

 

 

 

Plastie brachiale ou Brachioplastie ou « lifting du bras »:

Le lifting de la face interne du bras corrige l’excédent de peau et de graisse résiduel qui « pend » après un amaigrissement important. La peau ayant perdu son élasticité, elle ne peut pas se rétracter quand le bras a maigri. A ce stade, une lipoaspiration est inutile puisque le problème ne résulte pas d’un excès de graisse mais d’un excès de graisse et de peau. Si nous faisons une lipoaspiration de ce bourrelet, la graisse résiduelle sera enlevée mais la peau continuera à pendre car elle n’est plus élastique. Le vrai problème reste l’excédent de peau. Donc, pour améliorer la plastique du bras, il convient d’enlever surtout ce pli de peau.

Nous proposons, sous anesthésie générale, un lifting du bras ou « brachioplastie » qui permet de couper tout le bourrelet :

brachio-incision

 

Nous « tirons » ensuite sur le reste de la peau pour « lifter » le bras :

schema-brachio

 

Il en résulte une cicatrice dans l’axe du bras qui est cachée sur sa face interne :

brachio-cicatrice-post

 

Après l’intervention, il y a un pansement pendant 48 heures et des petits redons  qui sortent sur les côtés. Le surlendemain, on enlève le pansement et les redons. La douche est autorisée au bout de 48h et l’infirmière fera un petit pansement simple. Généralement, il n’y a pas de fils à enlever. Au début, vous verrez des « frou-frous » sur la cicatrice. La cicatrice peut faire des plis comme les fronces d’un rideau. N’ayez aucune inquiétude car les « frou-frous » disparaissent en deux à trois mois.

 

 

Exemple de Plastie brachiale:

Le plus : intervention 1h30, disparition complète du pli /  Le moins : longue cicatrice.

brachioplastie-face-pre

Avant

brachioplastie-face-post brachioplastie-post-post

Après, vue de face                                                                                           Après, vue de dos

 

 

 

Plastie crurale ou Cruroplastie ou « lifting » de cuisse

Cette intervention permet de corriger surtout l’affaissement de la peau la face interne de la cuisse après un amaigrissement important. La peau de la face interne de la cuisse est une peau peu élastique qui a un faible pouvoir de rétraction. Après de multiples régimes (« faire le yoyo ») ou après une gastroplastie, cette peau reste flasque et « pend ». Le seul moyen de réparer cette région est de « lifter » la peau de la cuisse, c’est-à-dire « tirer » dessus et couper la peau en excès.

Il existe deux façons de traiter la face interne de la cuisse :

cruro-explications

 

1) Quand l’excès de peau n’est pas très important (1) ou que les plis sont localisés sur la partie supérieure de la cuisse, nous pouvons proposer le lifting standard de la face interne de cuisse :

schema-cruroplastie schema-cruroplastie-bis

L’avantage est d’avoir une cicatrice cachée dans le plis du haut de la cuisse.

 

2) Quand l’excès de peau est majeur (2) et qu’il touche toute la hauteur de la cuisse, il convient de proposer un lifting vertical de cuisse. Ce type de lifting permet de « tendre » la peau sur toute la hauteur de la cuisse. L’avantage est le traitement de toute la cuisse mais l’inconvénient est une grande cicatrice en dedans de la cuisse:

cruroplastie-verticale-preop schema-cruroplastie-tres

 

3) Parfois, l’excès de peau se situe sur la face postéro-externe de la cuisse. Nous proposons alors un « lifting » de la face postérieure de cuisse:  la cicatrice cachée .par la culotte.

schema-trochanteroplastie

trochanteroplastie-pre trochanteroplastie-post

Avant                                                                                                 Après

 

Quelque soit la technique choisie, l’intervention peut se faire sous anesthésie générale ou loco-régionale. Le patient en parle avec l’anesthésiste lors de la consultation d’anesthésie pré-opératoire. Après l’intervention, il y a un pansement et des redons  qui sortiront sur les côtés. L’ablation des redons se fera au bout de 48 heures lors du premier pansement. Ensuite, le pansement sera fait quotidiennement après la douche ou après avoir été aux toilettes. Une hygiène rigoureuse s’impose compte tenu de la proximité de la cicatrice avec la région périnéale. Nous conseillons de laisser la cicatrice sans pansement, simplement protégée par un caleçon propre changé quotidiennement. L’idéal est de rester les premiers dix jours à la maison avec un vêtement large (caleçon ou un pyjama d’homme)…

 

 

 

Dermolipectomie circulaire  ou « Bodylift »

Le principe de cette intervention reste le même : il y a trop de peau et le chirurgien va enlever cet excédant mais de façon circulaire et en un seul temps. L’avantage est une seule intervention. L’inconvénient est un temps opératoire plus long. La période postopératoire répond au même principe qu’une plastie abdominale mais avec un pansement circulaire et la nécessité de rester à plat les premiers jours. Les soins sont identiques avec une période de convalescence probablement un peu plus longue.

bodylift-face

Bodylift vue de Face avant et après

 

bodylift-posterieut

Bodylift vue postérieure avant et après

 

 

Lifting cervico-facial

Devant un amaigrissement aussi important, le patient se plaint souvent d’un affaissement de la peau du visage et surtout du cou. Il parle de double menton et même de « cou de dindon » :

cou-de-dindon

Le principe de l’intervention est de repositionner les tissus à leur place d’origine. Pour cela, on « décolle » la peau et on « tire » en haut et en arrière :

schema-lifting-facial vecteur-lifting-facial

L’excédant cutané est sectionné pour éviter que la peau « retombe ». L’art dans cette intervention est d’aller cacher le maximum de cicatrices dans le cuir chevelu :

dessin-incision-lift

 

Exemples de lifting cervico-facial:

lift-cf-profil-pre lift-cf-profil-post

Lifting Avant                                                                     Lifting Après

lift-cf-face-pre lift-cf-face-post

Lifting Avant                                                         Lifting Après

 

lift-cf-80-profil-pre lift-80-profil-post

      Lifting Avant                                                        Lifting Après

 

 

 

Résumé 

 

La chirurgie plastique, après une gastroplastie, est envisageable :

  • quand nous avons l’accord de votre chirurgien digestif,
  • quand le poids est stable (avis diététique),
  • quand le « mental » est bon (avis psychologique),
  • quand nous avons le « feu vert » de l’anesthésiste avant une intervention,
  • quand le patient a bien compris le principe de l’intervention, la finalité du geste et ses limites, etc…
  • quand les informations données sur les suites, les risques voire les complications éventuelles de votre intervention sont complètes, éclairées et bien comprises,
  • quand le temps de la réflexion est suffisant,
  • quand le patient est motivé,
  • quand vous le devis et le consentement mutuel éclairé ont été parafés…

 

Docteur Patrick Knipper

CHANGEMENT DES PROTHESES MAMMAIRES

Patrick Knipper

 

La mise en place des prothèses mammaires à visée esthétique, et reconstructrice, est une intervention qui peut être formidable. Cependant, les prothèses mises en place ne le sont jamais « pour la vie ». Le changement des prothèses mammaires avec le temps est une évidence. Il existe différentes situations où l’on doit procéder à ce changement. Nous allons essayer de vous présenter nos orientations en fonction des différentes situations et selon notre expérience.

 

DES IMPLANTS MAMMAIRES, OUI MAIS POUR COMBIEN DE TEMPS ?

Les implants mise en place à l’intérieur du corps humain devraient répondre à des normes strictes sur le plan de la sécurité, de la surveillance et du suivi. Les implants mammaires répondent à ce principe mais ils sont également et systématiquement changés au bout d’une dizaine d’années environ. Il n’existe pas, aujourd’hui, de durée d’implantation définie strictement. Chaque patiente, chaque implant, chaque mode de vie et chaque chirurgien étant différents, il est illusoire de vouloir proposer un délai fixe pour un changement de prothèses mammaires. A la question classique: « Docteur, quand faudra-t-il changer les prothèses mammaire ? », nous ne pouvons pas apporter de réponse précise. Nous conseillons une surveillance régulière  pendant une dizaine d’année si tout va bien et nous préparons ensuite gentiment la patiente à un changement des prothèses mammaires à partir de cette dixième année. Tout cela se fait calmement mais en précisant qu’il vaut mieux prévoir ce changement et le faire dans de bonnes conditions plus tôt que d’attendre un contre temps et de procéder dans la précipitation. La durée classique de 10 années que beaucoup de gens ont en tête ne répond pas à des critères scientifiques rigoureux. Personne, à ce jour, peut dire combien de temps une prothèse mammaire reste intacte tant les facteurs influençant l’évolution d’un implant sont nombreux. Ce chiffre correspondait au délai de couverture par l’assurance des laboratoires qui fournissaient les prothèses. Il est resté comme élément de base dans l’information sur les prothèses mammaires.

En dehors de cette version la plus favorable et, heureusement, la plus fréquente, il existe des situations où l’on devra changer rapidement les prothèses mammaires. C’est le cas, par exemple, d’une rupture spontanée de prothèses mammaires  pré-remplies de sérum physiologique ou de l’apparition précoce d’une coque péri-prothétique. Rappelons, pour finir, que l’on change les prothèses mammaires parce qu’il s’agit d’un produit « fabriqué » et qu’il subit l’usure comme n’importe quel produit manufacturé. En cas de rupture, c’est le contenu de la prothèse qui influencera la notion d’urgence voire de risque. Si le contenu est du sérum physiologique, le risque est quasiment nul ; il n’y aura donc aucune urgence. Si le contenu est du gel de silicone, il conviendra de procéder plus rapidement au changement de la prothèse rompue pour éviter une fuite du gel de silicone. Notons, cependant, que le gel reste quand même contenu dans la loge péri-prothétique au début et que le gel, fourni aujourd’hui par les fabricants, est du gel de haute cohésivité. En effet, les laboratoires proposent de plus en plus des prothèses qui contiennent ce type de gel de silicone. Ce gel très cohésif « transpire » beaucoup moins à travers l’enveloppe. Il a l’aspect du chewing-gum ; en cas de rupture de la prothèse, le gel reste compact et ne coule pas. Le risque de fuite à distance est donc, en théorie, moindre.

CHANGEMENT DES PROTHESES MAMMAIRES, EN PRATIQUE

Habituellement, la patiente demande un changement des prothèses mammaires au bout d’une dizaine d’années environ. Il existe différentes situations qui tiennent plus à l’évolution morphologique de la patiente et au changement anatomique du sein. Nous allons essayer de simplifier en vous présentant des cas de notre pratique clinique quotidienne. Le choix du contenu de la prothèse (sérum ou gel de silicone), lors de ce changement, appartient à la patiente et au chirurgien en fonction de nombreux critères que nous ne discuterons pas dans cet article.

  • Changement de prothèses mammaires « standard » après dix années sans modification anatomique du sein:

Il existe dans cette version fréquente et habituelle deux types de demandes : soit la patiente n’a pas changé de morphologie et elle désire un volume de prothèse mammaire identique, soit elle a pris un peu de poids et elle souhaite une augmentation légère du volume des prothèses lors de ce changement. Dans les deux cas, nous privilégierons le changement par la même voie d’abord et nous ne changerons pas de loge. Nous utiliserons la même cicatrice pour enlever la prothèse et nous mettrons la nouvelle prothèse au même endroit.

Si le volume est identique, l’intervention est relativement simple et rapide. Si la patiente désire un volume un peu plus gros, il faudra agrandir la loge de l’ancienne prothèse pour avoir un peu plus de place. Le résultat esthétique est généralement identique hormis l’augmentation de volume le cas échéant. L’aspect peut parfois être amélioré quand on remplace les prothèses pré-remplies de sérum physiologique qui peuvent faire des plis par des prothèses remplies de gel de silicone qui seront un peu plus fermes.

  • Changement de prothèses mammaires « standard » après dix années avec ptose mammaire plus ou moins prononcée:

Il s’agit également d’une situation très habituelle où la patiente revient pour un changement de ses prothèses après quelques années en ayant eu des enfants (avec ou sans allaitement) ou présentant une ptose mammaire. C’est le cas typique de la femme d’une trentaine d’années qui a eu deux grossesses et qui présente une ptose mammaire post-gravidique. Rappelons qu’il s’agit d’une évolution normale du sein et que la ptose s’inscrit dans un processus de relâchement des tissus classique après un amaigrissement important ou un allaitement par fonte de la glande mammaire et/ou de la graisse du sein. La peau du sein étant peu élastique, il s’ensuit une chute c’est-à-dire une ptose mammaire.

Si la patiente avait des prothèses mammaires placées devant le muscle c’est-à-dire directement derrière la glande mammaire, on aurait pu espérer que la prothèse accompagne la chute du sein lors de la ptose. Dans ce cas, la forme du sein reste « normal » bien que ptosé. A contrario, si la prothèse mammaire avait été placée derrière le muscle, la présence de la ptose donnera un aspect « anormal » du sein dit « en double bosse » de profil [photo1].

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Photographie 1 : Evolution du sein dans le temps avec une prothèse mammaire rétro-pectorale et l’apparition d’une ptose secondaire post-gravidique: a) Photographie avant la mise en place de la prothèse il y a 12 ans. b) Photographie un mois après la mise en place de la prothèse par voie axillaire et derrière le muscle. c) Photographie du sein 5 ans après. d) Photographie du sein après 12 ans et après deux grossesses. Notons l’aspect en double bosse du sein de profil.  La « bosse » supérieure correspond à la prothèse rétro-musculaire qui est restée haute et la « bosse » inférieure correspond au sein qui a chuté avec le relâchement des tissus.

Il existe donc dans le cas d’un changement de prothèse avec ptose mammaire associée quatre propositions thérapeutiques :

A . Si la prothèse mammaire initiale est rétro-musculaire :

Il existe deux situations :

° Prothèse rétro-musculaire + ptose modérée :

Dans ce cas, il faudra simplement changer de loge et faire passer la prothèse devant le muscle pour qu’elle remplisse bien le sein vidé. Attention, le remplissage du sein ne fera pas « monter » le sein ! On ne peut pas faire croire que le changement de loge traitera la ptose mammaire associée même si le fait de remplir ce sein donnera l’impression qu’il est un peu plus haut. Le changement de loge peut se faire par la reprise de la voie initiale axillaire ou par voie aréolaire si la première voie d’abord était axillaire [Photographie 2].

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Photographie 2 : Patiente présentant une ptose mammaire post-gravidique sur des prothèses mammaires anciennes rétro-pectorales. a/ Photographie de profil avant le changement des prothèses. b/ Photographie après le changement de prothèses. Par voie aréolaire, nous avons abordé l’ancienne loge rétro-musculaire et nous avons explanté les anciennes prothèses. Nous nous avons créé une nouvelle loge devant  le muscle pour y implanter les nouvelles prothèses.

° Prothèse rétro-musculaire + ptose importante:

Dans ce cas, nous raisonnons comme pour une simple plastie mammaire pour ptose mais nous remplaçons la prothèse en fin d’intervention. Le volume de la prothèse peut être augmenté si la patiente le désire et/ou en fonction de sa prise de poids avec l’âge. On peut laisser la prothèse dans la même loge ou la mettre devant le muscle en fonction de l’anatomie de la région mammaire. Dans ce cas de figure, on ne repasse pas par la voie d’abord initiale puisque nous avons une grande voie d’abord procurée par la plastie mammaire.

 

  1. Si la prothèse mammaire initiale est pré-musculaire:

Il existe également deux situations :

° Prothèse pré-musculaire + ptose modérée :

Dans ce cas, le raisonnement est simple : changement simple de la prothèse par la voie initiale et petite augmentation du volume si la patiente le désire pour rendre le sein un peu plus tonique c’est-à-dire pour compenser la perte apparente de remplissage (secondaire à la ptose) par un volume plus conséquent. La voie d’abord peut être identique.

° Prothèse pré-musculaire + ptose importante:

Ici également, nous raisonnons comme pour une simple plastie mammaire pour ptose et nous remplaçons la prothèse en fin d’intervention. Le volume de la prothèse peut être augmenté si la patiente le désire et/ou en fonction de sa prise de poids avec l’âge. On peut laisser la prothèse dans la même loge.

 

 

  • Changement de prothèses mammaires « non standard » :

 

Il existe plusieurs situations qui sortent du cadre classique du changement des prothèses mammaires après une dizaine d’années sans problèmes particuliers. Nous allons vous proposer les situations fréquemment observées :

 

  1. Changement des prothèses mammaires après une rupture :

Il existe deux conduites à tenir en fonction du contenu :

° Rupture spontanée d’une prothèse contenant du sérum physiologique :

Il s’agit probablement de l’incident notable le plus fréquemment rencontré avec les prothèses remplies de sérum physiologique [Photographie 3]. Sans cause apparente, la patiente constate une baisse du volume d’une des deux prothèses mammaires. Il n’y a aucun autre signe clinique associé hormis l’anxiété produite par cette brutale modification de la plastie des seins. Le sérum physiologique n’ayant aucune incidence physiologique, il y a lieu de rassurer la patiente et de procéder aux changements des deux prothèses dans la plus grande sérénité. Il faut néanmoins répondre à trois interrogations : quand ?, faut-il changer une ou les deux ? et avec quel contenu ?

  1. Quand ?: Aucune urgence mais le plus rapidement possible pour éviter à la patiente de rester avec cette asymétrie mammaire importante.
  2. Faut-il changer la prothèse rompue ou les deux ?: Logiquement, nous proposons de changer les deux prothèses pour avoir un résultat esthétique symétrique et une évolution similaire dans le temps. Toutefois, et en cas de rupture précoce après l’implantation, nous pourrions envisager le remplacement de la seule prothèse endommagée.
  • Choix du contenu de la prothèse lors du changement ?: Il n’existe pas, ici, de règle précise lors du changement. La patiente peut vouloir remettre une prothèse en sérum mais après une information encore plus éclairée sur le risque de dégonflement. Généralement, et pour éviter la récidive de l’incident, la patiente préfère choisir un remplacement par des prothèses pré-remplies de gel de silicone qui ont quand même la réputation d’être plus fiable face au risque de rupture.

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Photographie 3 : Patiente présentant un dégonflement spontané de la prothèse mammaire gauche pré-remplie de sérum physiologique. a/ Les photographies en haut présentent la patiente de face et de profil avec le dégonflement de sa prothèse gauche. b/ Les photographies en bas présentent la même patiente 2 ans après le remplacement des deux côtés par des prothèses mammaires pré-remplies de gel de silicone.

° Rupture d’une prothèse contenant du gel de silicone:

Ici, l’environnement est différent. La rupture est rarement spontanée et isolée. Le diagnostic est confirmé par l’échographie voire la mammographie. Dans certains cas, une résonnance magnétique nucléaire (IRM) peut être demandée pour apprécier l’extension de la fuite dans les tissus. L’indication ne se discute pas ; il faut changer la prothèse concernée et généralement avec une prothèse identique. Devant une rupture récente, nous changeons seulement la prothèse rompue. Si les prothèses sont anciennes, nous pouvons profiter de l’intervention pour changer les deux prothèses mammaires.

La principale interrogation concerne la voie d’abord que l’on devra utiliser pour procéder au changement de la prothèse rompue. Il faut une voie d’abord facile et large pour pouvoir enlever le maximum de gel et nettoyer la loge prothétique. Quand la voie d’abord initiale est axillaire, nous proposons une voie aréolaire pour ce changement voire sous-mammaire dans certains cas qui peuvent se révéler plus compliqué.

  1. Changement d’une prothèse mammaire pour coque :

Quand on introduit une prothèse à l’intérieur du sein, il apparaît de manière physiologique une enveloppe autour de cette prothèse. On parle d’enveloppe péri-prothétique. C’est normal mais quand cette enveloppe se « durcit », on parle de coque. Il existe différents stades donnant un aspect plus ou moins figé aux seins (et parfois, plus ou moins douloureux). Pour éviter l’apparition de coque, les chirurgiens ont imaginé différents moyens comme la mise en place des prothèses derrière le muscle. Ils voulaient obtenir un « effet » massage plus ou moins permanent des prothèses par les contractions musculaires. Le passage du plan pré au plan rétro-musculaire a fait reculer le taux de coques. Aujourd’hui, ce taux de coque est inférieur à 2% et on observe quasiment plus de stade important comme on le voyait avant. Une des raisons de cette bonne évolution reste surtout l’amélioration technique des prothèses notamment au niveau de la conception des enveloppes et de la composition du gel pour celles qui contiennent du gel de silicone. Les laboratoires proposent en effet de plus en plus des prothèses qui contiennent du gel de silicone de très haute cohésivité. Ce gel très cohésif « transpire » beaucoup moins à travers l’enveloppe. Il ressemble à du chewing-gum : si on coupe la prothèse en deux avec un bistouri, le gel reste compact et ne coule pas.

Dans notre pratique, nous rencontrons encore des patientes porteuses de prothèses anciennes avec des coques plus ou moins importantes et qui désirent un changement. Dans ces cas, le changement des prothèses s’accompagne surtout d’une prise en charge de la coque. Nous pourrions faire un article complet sur la prise en charge des coques péri-prothétiques tant le sujet est vaste et compliqué. Pour simplifier nous n’allons évoquer que les situations classiques et fréquemment rencontrées.

a/ Patiente désirant un changement des prothèses et ayant des coques modérées. Habituellement,  la patiente ne désire pas quelque chose de compliqué et elle ne se plaint pas trop de l’aspect un peu rigide des seins. Nous proposons de rester simple :

. Abord de la loge prothétique par voie aréolaire,

. Explantation de l’ancienne prothèse et lavage de la loge,

. « Coquotomie », c’est-à-dire une ouverture de la loge au niveau de  la région équatoriale pour l’agrandir,

. Mise en place d’une prothèse de taille identique voire légèrement plus petite.

b/ Patiente désirant un changement avec des coques très rigides et voulant une amélioration esthétique des seins [Photographie 4]. Nous proposons :

. Abord de la loge par incision péri-aréolaire,

. Explantation plus ou moins associée avec une coquectomie (ablation complète de la coque) en fonction de l’importance des calcifications,

. Création d’une nouvelle loge en pré-pectorale,

. Plastie mammaire pour enlever l’excédent de peau (soit par péri-aréolaire, soit par plastie mammaire classique),

. Mise en place d’une prothèse de taille identique.

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Photographie 4 : Patiente présentant une coque péri-prothètique importante et désirant un changement des prothèses mais sans cicatrices visibles. a/ Les photographies en haut présentent la patiente de face et de profil avec les coques. b/ Les photographies du centre  montrent  la même patiente après le changement des prothèses et le traitement des coques. c/ Les photographies du bas résument le résultat post-opératoire au bout d’un an.

 

  1. Changement des prothèses mammaires dans le cadre de l’affaire PIP :

 

Nous vous renvoyons au site spécifique de la Société Française de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique : https://www.informations-patientes-pip.fr

L’affaire étant très sérieuse, notre société scientifique a immédiatement réagit pour rassurer, informer et orienter les patientes concernées. Elle a fait un site internet spécifique qui leur est dédié.

 

CONCLUSION, en pratique.

Le changement d’une prothèse mammaire au cours du temps est une évidence. Nous proposons de la changer tous les dix années environ. Le changement est un acte qui reste toujours positif. Qu’il soit programmé dans le cadre du suivi normal d’une patiente porteuse d’implant ou fortuit après un incident sur une prothèse mammaire, il permet d’apporter « un plus » à la patiente. Dans le cadre du changement prévu au bout d’une dizaine d’année, ce changement permet de répondre aux modifications nouvelles du corps ou de la forme des seins. Il n’est pas rare qu’à cette occasion, la patiente demande une petite augmentation du volume pour s’harmoniser avec le poids de l’âge ou un geste complémentaire pour améliorer la forme du sein. Le changement lors d’un incident (coque, rupture spontanée, etc) est moins agréable mais l’aspect réversible dans le cas extrême, la diversité des solutions apportées et les suites post-opératoires généralement plus faciles rendent ce changement bien accepté par la majorité des patientes.

Etablir un protocole précis pour le changement des prothèses mammaires semble difficile au vue de la grande variété des situations observées. Cependant, nous pouvons opposer la facilité du changement standard des prothèses au bout d’une dizaine d’années quand tout se déroule  normalement aux situations hétéroclites lors d’un incident.

Retenons pour résumer :

  • que le changement des prothèses mammaires est facile au bout d’une dizaine d’années quand le suivi s’est déroulé normalement,
  • qu’un changement est toujours possible quand un incident survient,
  • qu’une solution peut toujours être proposée dans les cas difficiles,
  • et que, dans les cas extrême, il s’agit d’une intervention réversible puisque l’on peut enlever définitivement les prothèses.

PLACE DE LA MEGA LIPOASPIRATION APRES GASTROPLASTIE

Patrick Knipper

 

Introduction

Mythe ou réalité ? La « méga » lipoaspiration isolée peut-être un mythe mais son efficacité parait réelle quand elle est associée à une remise en tension concomitante de la peau. Isolée et mal indiquée, une trop grande lipoaspiration peut entrainer un mauvais résultat cosmétique. Inclus dans un programme adapté, une « méga » lipoaspiration peut devenir un atout important du traitement des séquelles post-bariatriques. Pour mieux évoquer la problématique de cette grosse lipoaspiration, nous allons distinguer deux situations fréquemment observées aujourd’hui : la demande d’une importante lipoaspiration isolée dans le cadre d’une surcharge pondérale et le traitement des séquelles d’un amaigrissement important pouvant inclure une demande de « méga » lipoaspiration.

 

Petite historique sympathique de la lipoaspiration

La première tentative pour traiter une surcharge graisseuse localisée a eu lieu en 1929 par un français DUJARDIN qui employait une curette pour gratter la graisse par voie sous cutanée.

En 1977, deux italiens, FISCHER père et fils, firent considérablement avancer la technique en broyant par voie sous-cutanée, dans un premier temps, la graisse puis en aspirant le broyât dans un deuxième temps. Très rapidement, ils introduisirent des canules avec lames internes pour broyer et aspirer la graisse dans le même temps opératoire.

Le principe de la lipoaspiration, tel que nous le connaissons, aujourd’hui revient au docteur Yves-Gérard ILLOUZ en 1977.C’est le premier à avoir utilisé des canules, branchées sur une pompe aspirante, avec création de tunnels.

En 1986, un français, FOURNIER, introduit trois notions importantes qui permettent d’affiner cette technique : l’anesthésie par l’injection de sérum froid, le travail avec une technique de maillage où l’aspiration se fait en plans croisés à partir de 2 ou 3 petites ouvertures cutanées et l’utilisation de petites canules qui augmente encore la régularité du travail.

Ensuite, les techniques et les auteurs se sont succédés apportant chacun sa petite note personnelle pour améliorer les résultats esthétiques ou pour faciliter le geste technique. Parmi les différents challenges, la quantité de graisse à enlever était devenu pour certains une priorité. On est passé de deux à trois litres à six, huit voire dix litres de graisse aspirée. Evidemment, les complications sont également apparues avec notamment des embolies graisseuses. Mais, surtout, c’est la dégradation des résultats esthétiques qui a tempéré l’enthousiasme de certains praticiens. En effet, croire que la peau peut se rétracter indéfiniment est un mythe. Je me souviens, quand j’étais interne dans le service de chirurgie plastique de l’hôpital Boucicaut à Paris, on racontait encore la phrase du feu docteur Raymond Vilain qui disait que « la lipoaspiration allait transformer des culottes de cheval en culottes de golf ». Inutile de vous dire, et avec le recul,  qu’il avait quand même sous-estimé un peu les pouvoir de rétraction de la peau mais son avant-gardisme acéré nous prévenait déjà des limites des lipoaspirations trop importantes.

Il convient, pour finir, de citer la lipoaspiration tumescente, très pratiquée aujourd’hui notamment outre-Rhin. Cette technique consiste à infuser une quantité importante de solution saline, d’adrénaline, et d’anesthésiant local dans la région désignée. L’adrénaline contracte les vaisseaux sanguins et empêche toute perte importante de sang. Quel que soit le type d’appareils et de canules utilisé, on parlera de technique tumescente dès lors qu’on gonflera le tissu avec un liquide avant de pratiquer l’opération. Plus il y aura de graisse à aspirer, plus il faudra utiliser de liquide. Il peut en être administré jusqu’à six litres en fonction de la taille et du poids du patient.
D’après la Société américaine de chirurgie plastique, la technique tumescente est plus sûre, à condition de procéder et d’opérer avec circonspection. Elle permet d’enlever, d’après les auteurs, une très grande quantité de graisse.

 

 

La rétraction cutanée dans la lipoaspiration : la magie.

La lipoaspiration est une technique formidable qui permet d’enlever par des petits orifices cutanés la graisse en profondeur. Sous anesthésie, le chirurgien plasticien aspire la graisse avec des petites canules spécifiques. Ces canules sont reliées à un « aspirateur spécial » qui aspire la graisse. Cette graisse est ensuite jetée et elle ne revient plus. Ensuite, on attend que la peau se rétracte. Tout le principe de la lipoaspiration repose sur l’élasticité de la peau c’est-à-dire sur son pouvoir de rétraction une fois que la graisse est enlevée. On peut comprendre le principe de l’élasticité de la peau en évoquant la grossesse. Si une patiente présente une première grossesse à l’âge de 20 ans, il est fréquent de voir sa peau revenir à la normale au bout de quelques mois après l’accouchement. Son ventre redevient comme avant la grossesse. On dit alors que sa peau a une bonne élasticité. A l’opposé, prenons l’exemple d’une  patiente de 40 ans qui a fait le yoyo toute sa vie et qui a eu plusieurs grossesses avec une prise de poids chaque fois importante.  Cette patiente risque de  présenter, après un accouchement, une peau flasque et distendue sur l’abdomen. On dira que sa peau n’est plus élastique. C’est la même chose pour la lipoaspiration : si le patient a une bonne qualité de peau (si elle semble élastique), la peau se rétractera correctement après la lipoaspiration ; ce sera une bonne indication. A l’opposé, si le patient a une peau de mauvaise qualité avant la lipoaspiration, celle-ci donnera un résultat médiocre. Pour schématiser, la meilleure indication d’une lipoaspiration sera une culotte de cheval localisée chez une jeune fille de 18 ans ; le résultat peut être magique. La pire indication d’une lipoaspiration sera la femme de 60 ans qui a fait des amaigrissements à répétition toute sa vie, qui expose une surcharge pondérale générale et qui présente une peau flasque avant l’intervention…

 

« Méga » lipoaspiration : mythe ou réalité ?

Pour essayer de répondre à cette interrogation, nous allons opposer deux situations : la demande d’une importante lipoaspiration isolée dans le cadre d’une surcharge pondérale générale et le traitement des séquelles d’un amaigrissement important incluant une demande de « méga » lipoaspiration.

  • Le mythe de la méga lipoaspiration isolée:

Selon mon expérience, un bon résultat stable d’une « méga » lipoaspiration pour traiter une surcharge pondérale générale, et de surcroit sur une peau peu élastique, est de l’ordre du mythe. La lipoaspiration n’est pas le traitement du surpoids en général. Une lipoaspiration ne « fait » pas maigrir au sens propre du terme. Notons cependant qu’une importante lipoaspiration peut parfois servir de « starter » à une prise en charge plus générale de l’excès de poids. En effet, il est vrai de dire que la lipoaspiration n’est pas un traitement du surpoids mais il également vrai de voir souvent les patients maigrir après une importante lipoaspiration. On pourrait alors parler de « lipoaspiration-promotion » c’est-à-dire une lipoaspiration qui va promouvoir la prise en charge par le patient de son surpoids. La lipoaspiration agit comme un starter et le bénéfice obtenu devrait être entretenu par un environnement pluridisciplinaire pour maintenir la stabilité du résultat. Mais en dehors de ce contexte particulier, la prise en charge d’une surcharge pondérale ne peut pas se résumer à une importante lipoaspiration. Cette prise en charge doit rester pluridisciplinaire.

L’élasticité de la peau devrait être également considérée avant l’intervention. Généralement, les surcharges graisseuses importantes s’observent dans un contexte de « laisser-aller » général depuis de longue date. Il s’agit le plus souvent de patient ayant abandonné leur surveillance calorique aux grignotages répétés, ne faisant plus de sport depuis longtemps et alternant les régimes avec des périodes de surpoids. Il s’agit du fameux « yo-yo » tant redouté du chirurgien plasticien. Dans ce cas, une « méga »lipoaspiration ne donne pas de bon résultat. Le patient sera « amélioré » en matière de volume mais l’aspect de la peau restera dégradé. La lipoaspiration améliore le volume c’est-à-dire que le patient sera satisfait quand il mettra un vêtement serré. Il pourra observer une amélioration voire un changement de taille. Mais en sous-vêtement, le résultat risquera d’être catastrophique au niveau cutané et, cela, par manque d’élasticité de la peau. Il est rare, dans mon expérience, de voir un superbe résultat dans une telle circonstance. On peut être de temps en temps agréablement surpris par une rétraction cutanée exceptionnelle mais cela reste rarissime. Le plus souvent, une mise en tension complémentaire de la peau s’impose.

Toujours selon mon expérience, une mauvaise « qualité » de peau ne supporte pas une grande lipoaspiration. C’est un peu comme si on enlevait trop de graisse d’un coup et que la peau n’avait pas la capacité de se rétracter de façon si importante. Je préfère conseiller, dans ce cas, deux lipoaspirations à 8 mois ou 12 mois d’intervalles plutôt qu’une trop grosse lipoaspiration en un seul temps. De surcroît, les lipoaspirations ainsi proposées limiteront les suites voire les risques post-opératoires. L’idée de faire deux interventions permet également d’envisager dans un premier temps une vraie lipoaspiration et dans un deuxième temps une seconde lipoaspiration associée au geste de « redrapage » cutané. Ce geste de lifting de la peau aurait été difficilement associé à une « méga » lipoaspiration. On voit donc immédiatement les avantages de faire deux lipoaspirations moyennes par rapport à une importante lipoaspiration unique :

  • Interventions moins longues avec de meilleures suites,
  • Moins de risques post-opératoires,
  • Pouvoir de rétraction de la peau plus facile,
  • Possibilité d’associer un lifting de la peau lors du deuxième temps…

L’inconvénient premier reste la nécessité de faire deux temps opératoires.

Au total, hormis certains cas cliniques particuliers, je ne vois pas comment on peut obtenir une  superbe rétraction cutanée avec une lipoaspiration de six voire huit litres sans risque (parfois vital) pour le patient et avec une peau dont les capacités de rétraction restent limitées.

  • La réalité de la « méga » lipoaspiration dans le cadre du traitement des séquelles bariatriques.

Dans ce contexte, l’approche thérapeutique est différente. Nous ne sommes plus dans la logique de la lipoaspiration au sens propre du terme où tout le principe de la lipoaspiration est basé sur la seule rétraction cutanée après la perte du volume adipeux. Ici, on sait qu’au départ la capacité de rétraction de la peau est réduite. Le but d’une importante lipoaspiration ne sera pas d’obtenir une rétraction secondaire de la peau mais de compléter l’ablation de la graisse qui a résistée à l’amaigrissement après la gastroplastie. Pour schématiser, on pourrait dire que la gastroplastie agit comme une « lipoaspiration médicale » (la graisse disparaît par le régime et de l’intérieur) et que la lipoaspiration secondaire est une « lipoaspiration chirurgicale » (la graisse est aspirée de l’extérieur par une canule). Cette vraie lipoaspiration secondaire, qui peut être une « méga » lipoaspiration, va compléter le travail en enlevant la graisse résiduelle.

La « méga » lipoaspiration ne se conçoit donc qu’associée à un geste de lifting secondaire de la peau. En ce sens, elle est magique puisque seule une vraie lipoaspiration pourra agir sur cette graisse qui a « résistée » à l’important amaigrissement. La vraie question qui se pose à ce stade est de savoir si on peut associer les deux interventions dans le même temps opératoire ou s’il faut envisager deux temps séparés de quelques mois. La question reste ouverte. Dans mon expérience, je préfère les séparer pour limiter les suites et les risques postopératoires. D’autres collègues proposent de faire en même temps la lipoaspiration et le temps de lifting cutané. Chacun défendra ses arguments. Dans bien des cas, il convient d’apprécier les indications en fonction du patient et d’adapter le geste au cas par cas. Proposer deux temps opératoires peut limiter les risques postopératoires chirurgicaux mais faire deux interventions au lieu d’une peut augmenter un certain risque anesthésique, etc. Dans ce genre d’indication, le chirurgien avec sa technique chirurgicale n’est pas seul à décider; les souhaits du patient, ses motivations, sa capacité à apprécier les suites voire les risques doivent aider à choisir la solution thérapeutique la mieux adaptée.

Pour schématiser :

  •  devant un patiente présentant encore un gros excédent de graisse après une perte de poids suffisante et un gros excès de peau, je proposerai deux temps chirurgicaux car il y aura deux temps opératoires importants : une « méga »lipoaspiration première et un important temps de lifting de peau. Cependant, il faut noter qu’une région comme l’abdomen peut plus facilement supporter les deux temps opératoires en même temps (lipoaspiration de la région sus-ombilicale et lifting de la région sous-ombilicale). Personnellement, je préfère « pêcher » par excès dans la sécurité pour les prises en charge des séquelles bariatriques. C’est un choix mais je comprends tout à fait l’option contraire.

 

  • Devant un patient présentant de la graisse résiduelle après une gastroplastie mais de façon relativement localisée et séparée de la future zone de lifting cutané, je proposerai un seul temps opératoire. Le fait d’avoir deux zones opératoires séparées géographiquement (lipoaspiration de la culotte de cheval + lifting de la face interne de la cuisse ou lipoaspiration des régions latérales de l’abdomen + lifting de la partie inférieure de l’abdomen) limitera les risques en cas de complications. Il est aisé de comprendre qu’une petite infection post-opératoire pourra rester limitée à la cicatrice si la plastie abdominale est isolée. Généralement, les soins locaux suffisent. A l’opposé, si une infection de la cicatrice est en contact avec une importante zone de lipoaspiration adjacente (où il a été créé plusieurs dizaines de tunnels avec hématomes, fragilité vasculaire, etc), le risque de diffusion bactérienne est réel. Mais comme dans la proposition précédente, cela reste du domaine de l’analyse au cas par cas.

Au total, la « méga » lipoaspiration dans le traitement des séquelles bariatriques est une réalité et peut être formidable si elle reste associée à un temps secondaire de remise en tension de la peau. Seule, cette importante lipoaspiration complémentaire pourra faire disparaître une graisse résiduelle qui avait résistée à l’amaigrissement post-bariatrique.

Conclusion

La « méga » lipoaspiration est le plus souvent un mythe quand elle est mal indiquée ou proposée isolement dans le cadre d’une surcharge pondérale diffuse et négligée. Le mythe devient un « bide » quand le patient  associe surcharge pondérale et mauvaise élasticité cutanée.

En revanche, une grosse lipoaspiration devient très efficace quand elle est prise comme un acte complémentaire après un important amaigrissement et, surtout, quand elle est associée à un temps de remise en tension de la peau.

En matière de « méga » lipoaspiration, on peut vite passer du « bide » au bonheur mais c’est toujours un peu comme cela avec la magie. Et la lipoaspiration, dans mon expérience, reste un acte magique.

Plastie Abdominale et Lipoaspiration

Patrick Knipper, Chirurgie Plastique, Paris

www.knipper.fr

 

 

        INTRODUCTION

La plastie abdominale est une intervention formidable qui est rarement regrettée par le patient. Elle traite l’excédent de peau et de graisse qui pend sous l’ombilic. Le résultat est toujours positif. Il existe cependant une limite : la correction de la surcharge graisseuse environnante qu’elle soit au-dessus de l’ombilic ou sur les flancs. Une lipoaspiration complémentaire est donc souvent conseillée. Nous allons voir comment !

 

        PRINCIPES DES INTERVENTIONS

         1/ La lipoaspiration

         La lipoaspiration est une technique géniale inventée par un chirurgien français, le Dr G Illouz[1], et mise au point à partir de 1977.

Le principe de la lipoaspiration est d’introduire, à partir de très petites incisions, des canules à bout arrondi perforées à leur extrémité de plusieurs orifices. Ces canules seront connectées à un circuit fermé dans lequel sera créée une pression négative. La lipoaspiration consiste en l’aspiration du surplus de cellules graisseuses, sans traumatisme et en toute harmonie. Cependant, elle ne se veut pas une solution pour maigrir et n’a pas pour objectif d’équilibrer le poids des patients : elle ne remplace en aucun cas une bonne hygiène de vie et ne représente pas non plus un moyen de lutter contre l’obésité.

La lipoaspiration peut être pratiquée sur de nombreuses zones corporelles : aux bras, aux mollets, aux genoux, aux cuisses, à la culotte de cheval, aux hanches et, bien entendu, à l’abdomen.

Même si la lipoaspiration est devenue très banale depuis quelques années, il faut tout de même rester conscient qu’elle demeure une opération chirurgicale à part entière. Le recours à un chirurgien plasticien ayant les compétences et une formation spécifique pour pratiquer cette intervention, notamment dans un environnement chirurgical, est incontournable.

         2/ La plastie abdominale

La plastie abdominale, ou dermolipectomie abdominale selon la classification commune des actes médicaux (CCAM), consiste à traiter l’excédent de peau et de graisse de la région sous-ombilicale. La cicatrice est positionnée dans le pli abdominal inférieur. C’est le Dr Ivo Pitanguy[2], dès 1967, qui a popularisé cette technique. Il existe deux types de plastie abdominale :

La dermolipectomie abdominale avec transposition de l’ombilic où l’on enlève toute la peau, et la graisse sous-jacente, de l’ombilic jusqu’au pli abdominal inférieur. Pour pouvoir refermer, on décolle la peau au-dessus de l’ombilic et on la descend jusqu’au pli abdominal inférieur. Il faut alors faire ressortir l’ombilic, qui est toujours fixé à sa place d’origine sur les muscles, à travers la paroi. C’est ce que l’on appelle la transposition de l’ombilic [Fig 1].

La dermolipectomie abdominale sans transposition de l’ombilic où l’on enlève un bourrelet de peau en excès, mais plus modéré, au-dessus du pli abdominal inférieur. Pour fermer, on décolle et on tend la peau sous-ombilicale restante. L’ombilic reste en place [Fig 2].

La différence entre les deux interventions dépend du contexte, du désir la patiente, de la quantité de peau que l’on désire enlever, etc…

Dans tous les cas, la plastie abdominale ne traite que l’excès de peau et de graisse situé entre l’ombilic et le pubis. Cette intervention ne peut pas enlever la graisse située au-dessus de l’ombilic et/ou sur les flancs. Cela est important à préciser et  il faut bien insister en préopératoire sur les limites de la plastie abdominale pratiquée seule.

         3/ La suture des muscles grands droits de l’abdomen

Cette intervention consiste à suturer les muscles grands droits de l’abdomen sur la ligne médiane quand ils sont trop écartés (cure de diastasis). Cela arrive souvent, par exemple, après une grossesse gémellaire. Normalement, pendant la grossesse, les muscles grands droits de l’abdomen s’écartent et vont sur le côté pour laisser l’utérus grossir. Après l’accouchement, les muscles reprennent leur place sur la ligne médiane. Il peut arriver que l’écart entre les muscles reste important longtemps après l’accouchement. La ligne médiane sera alors plus faible et peut laisser apparaître une voussure lors de l’effort voire une éventration. Le traitement proposera de suturer les muscles sur la ligne médiane pour les rapprocher définitivement.

Pour être complet, il faut rappeler que la suture des muscles grands droits de l’abdomen ou de leurs aponévroses peut être indiquée dans d’autres circonstances que la cure simple de diastasis. Les muscles peuvent être suturés sur la ligne médiane, c’est-à-dire verticalement, pour  « affiner » la paroi musculaire dans son ensemble. Ils peuvent  également être suturés horizontalement pour réduire un excès de relâchement  vertical comme dans la technique « TULUA »[3].

 

LES DIFFERENTES INDICATIONS

         1 / Indications de la lipoaspiration

La meilleure indication de la lipoaspiration reste une accumulation de graisse bien localisée sur une peau suffisamment élastique c’est-à-dire qui se rétractera bien après une lipoaspiration. Le principe de la lipoaspiration étant basé sur le pouvoir de rétraction de la peau, il est aisé de comprendre que plus la peau est élastique plus la rétraction sera efficace. C’est ce pouvoir de rétraction de la peau que le chirurgien essaye d’apprécier en préopératoire. Si la zone à aspirer  est localisée et que la peau est de bonne qualité, une lipoaspiration sera une bonne indication. A l’opposé, si l’excès de graisse est diffus et que la peau a perdu son élasticité, la lipoaspiration donnera un résultat moyen. La lipoaspiration reste toujours efficace sur la quantité de graisse que l’on aspire mais l’aspect de la peau après peut être pire si la rétraction est nulle. C’est ainsi que l’indication d’une lipoaspiration dépend plus de la qualité de la peau que de la présence de graisse. Enlever de la graisse en profondeur  reste facile mais apprécier le pouvoir de rétraction de la peau demande une longue expérience clinique. Paradoxalement, et selon mon expérience, le plus important dans la lipoaspiration n’est pas ce que l’on enlève mais ce que l’on laisse ! Ceci est vrai surtout pour les zones où l’on ne peut pas « tendre » la peau par un lifting cutané secondaire comme dans le traitement d’une culotte de cheval par exemple. Si la qualité de peau n’est pas bonne, il vaut mieux laisser la graisse superficielle pour éviter d’avoir des irrégularités cutanées qui seront beaucoup plus disgracieuses dans les suites de l’intervention.

L’indication de la lipoaspiration demeurera un peu différente dans l’excès de graisse au niveau de l’abdomen. En effet, ici la lipoaspiration n’est pas la seule intervention que l’on pourra proposer. Parfois, elle pourra être pratiquée seule mais, le plus souvent, elle sera combinée avec d’autres techniques chirurgicales comme la plastie abdominale ou la plicature des muscles de l’abdomen. De surcroit, l’indication pourra dépendre de la localisation de la graisse sur la paroi abdominale et/ou sur les flancs. On raisonnera différemment si la peau est élastique c’est-à-dire qu’elle se rétractera toute seule ou si un geste de remise en tension de la peau sera nécessaire par la plastie abdominale. On raisonnera différemment si l’on doit faire la totalité du traitement en un seul temps ou si plusieurs temps opératoires sont souhaitables.

2/ Indications de la plastie abdominale

La plastie abdominale est indiquée quand il y a un vrai excès de peau et que l’on sait que cette peau ne se rétractera jamais même après une lipoaspiration. Pour faire simple, il existe deux situations classiques :

– Si le bourrelet cutanéo-graisseux sous-ombilical est important, si la peau au-dessus de l’ombilic est facilement mobilisable, si la patiente n’est pas gênée par une grande cicatrice et si il n’y a pas de contre-indication d’ordre médical, on proposera la dermolipectomie abdominale avec transposition de l’ombilic.

– Si l’excès de peau reste modéré, si la patiente présente un abdomen plus haut que large, si la patiente ne désire pas de cicatrice trop longue, on proposera une plastie abdominale partielle sans transposition de l’ombilic plus communément appelée « minilift abdominal ».

3/ Indications de la suture des muscles grands droits de l’abdomen       

La suture des muscles de l’abdomen s’observe actuellement et dans la pratique courante dans deux situations précises :

– La première indication reste la suture des muscles grands droits de l’abdomen sur la ligne médiane pour traiter un diastasis post partum (écart important entre les muscles après l’accouchement),

– La seconde indication est la remise en tension des muscles par une plicature sur la ligne médiane pour « retendre » la paroi musculaire et affiner ainsi la silhouette.

 

CE QUE JE PROPOSE AUJOURD’HUI, EN PRATIQUE

Au quotidien, je rencontre six situations classiques :

         1 – Le patient se présente avec un embonpoint général, un relâchement musculaire abdominal global et une demande d’amélioration esthétique :

Il s’agit généralement du patient sympathique qui a négligé pendant quelques années son physique et qui réalise un jour que les choses se sont vraiment  dégradées. Il vient prendre un avis chez le chirurgien plasticien en espérant quand même trouver la solution miracle que va lui redonner « ses 20 ans » d’un coup de baguette magique. Généralement, et après une consultation suffisamment longue pour tout expliquer, nous conseillons toujours de procéder par des moyens simples, évidents et sans aucun risque avant de proposer une solution chirurgicale.

Avec certains patients très demandeurs, il faut savoir résister aux chimères de la chirurgie esthétique car ils veulent tout, tout de suite et sans effort. Il faut comprendre leur demande et il convient d’expliquer les différentes propositions thérapeutiques. D’autres patients n’obtiendront jamais un résultat esthétique satisfaisant. Nous le savons par expérience, eux non. Il convient de bien leur expliquer les choses car toute modification abdominale ne peut pas être corrigée. Par  exemple, une patiente d’origine africaine qui présente une hyperlordose congénitale de son rachis lombaire (bas du dos très cambré) aura toujours un abdomen proéminant même si l’on fait une plastie abdominale. Il faut  bien expliquer les limites de la chirurgie !

Généralement, nous conseillons devant ce profil de patient :

une hygiène alimentaire classique avec, éventuellement, l’avis d’un diététicien tout en interdisant les régimes alimentaires !!! Le régime alimentaire est en soi absurde et n’apporte aucune amélioration à long terme. Il y a deux raisons principales qui font qu’un régime ne peut pas être efficace :

– la notion de restriction alimentaire qui est incohérente voire source de carence. Il faut manger de tout mais sans excès. Comment peut-on du jour au lendemain interdire tel ou tel aliment et manger que des ananas L par exemple?

– et la notion de durée dans le temps. Par définition, un régime est limité dans le temps. Sinon, ce n’est pas un régime ! Quand le patient s’arrête, son corps « rattrape » le temps perdu et le patient regrossit.

Avec ces régimes à répétition, le patient fait le « yoyo » et altère sa peau ce qui rendra une lipoaspiration future encore plus aléatoire. Selon mon expérience, les régimes alimentaires devraient être interditsJ. En revanche, nous préconisons l’hygiène alimentaire, et là, l’avis d’un diététicien pourra apporter de précieux conseils adaptés à chaque patient car chaque patient est différent…

une hygiène musculaire adaptée au patient. Là aussi, nous ne conseillons pas la pratique du sport de manière intensive car le sport ne fait pas maigrir à proprement parler et il n’est pas toujours une solution pour tous les patients. Cette pratique intensive peut même parfois être néfaste. On ne peut pas se mettre du jour au lendemain à la pratique d’un sport seulement pour maigrir ou pour des raisons purement esthétique. Cela ne dure jamais car la motivation s’éteint avec le temps. En revanche, nous conseillons à chaque patient de trouver son équilibre mais en essayant au moins de faire de la marche tous les jours entre 30 minutes et 1 heure. Il n’y pas de consignes strictes mais le patient doit retrouver une activité : il faut se bouger…

Pour l’abdomen, je préconise également de tonifier la ceinture abdominale par ce que l’on appelle de « gainage ». Il est important pour cela de prendre l’avis d’un kinésithérapeute ou d’un coach sportif pour éviter de faire des mouvements mal adaptés.

une hygiène de vie plus joyeuse au sens large du terme car le laisser-aller abdominal est généralement associé à un renoncement plus général. Ces patients, souvent assez jeunes, doivent se reprendre en main c’est-à-dire intégrer cette amélioration esthétique de l’abdomen dans une remise en cause de leur qualité de vie : sédentarité, mal bouffe,  absence d’activité physique, intellectuelle, culturelle, etc…

         2 – Le patient est en importante surcharge pondérale et présente un excès diffus de graisse abdominale associé à un vrai et gros tablier:

Dans ce cas, la consultation prend également beaucoup de temps pour expliquer  toutes les possibilités thérapeutiques possibles, leurs suites postopératoires voire leurs risques respectifs. Les conseils classiques restent utiles mais le patient les a déjà probablement appliqués depuis longtemps. C’est devant un vrai laisser-aller ou une vraie inefficacité des différentes tentatives précédentes d’amélioration que le patient se présente à la consultation du chirurgien plasticien.

Dans tous les cas, nous expliquons que la chirurgie n’interviendra qu’après un amaigrissement significatif. Il faut que le patient perde du poids que cela se fasse par des moyens diététiques, médicaux ou chirurgicaux comme les gastroplasties. La perte de poids est également nécessaire pour limiter les risques postopératoires dans la perspective d’une plastie abdominale future. La chirurgie plastique permettra de traiter les séquelles d’un amaigrissement important en enlevant les excès de peau et de graisse résiduels. Donc, oui à une intervention chirurgicale mais après avoir maigrit ! Le patient est adressé à l’équipe pluridisciplinaire compétente qui prend en charge les surcharges pondérales importantes.

 

         3 – Le patient  se présente après un amaigrissement  important type gastroplastie et il présente encore un excès résiduel diffus de graisse et de peau au niveau de l’abdomen :

Il existe dans ce cas deux types de demandes concernant l’abdomen :

                   ° Le patient désire seulement le traitement du tablier cutanéo-graisseux abdominal :

La plastie abdominale est généralement la première intervention demandée par les patients après un amaigrissement important. Les patients parlent souvent de « tablier », de « bouée », de « boudin qui pend » voire de « gros plis affreux ». Il s’agit en fait d’un excédent de peau et de graisse qui pend sous l’ombilic et au-dessus du pubis. Ce bourrelet disgracieux est caractéristique en position assise. C’est dans cette position que vous pouvez apprécier au mieux l’étendue latérale du pli c’est-à-dire voir jusqu’où va le bourrelet sur les côtés. Nous pourrons dans cette position définir la place exacte et l’étendue de la future cicatrice. Le principe de l’intervention consiste à enlever tout le bourrelet de l’ombilic au pubis en hauteur et d’un flanc à l’autre en largeur.

C’est une intervention magique que les patients ne regrettent  jamais mais il faut  bien expliquer avant  les limites de l’intervention: la plastie abdominale ne traite que le tablier et n’enlève pas l’excès de graisse au-dessus de l’ombilic et sur les flancs.

                   ° Le patient désire l‘amélioration complète de la région abdominale :

Dans ce cas, la plastie abdominale doit être associée à une lipoaspiration [Fig 3 et Fig 4]. En pratique, je propose de faire les interventions séparément. En effet, il reste possible de faire les deux gestes techniques pendant le même temps opératoire. Par exemple, quand le patient présente une bonne indication de plastie abdominale et qu’il existe un petit surplus de graisse au-dessus de l’ombilic ou sur les flancs, j’associe les deux gestes. Mais, devant une demande d’amélioration globale de tout l’abdomen associée à une vraie surcharge graisseuse, je préfère séparer les temps opératoires. Dans ce cas, je commence par une grande lipoaspiration. Elle sera importante et concernera la face antérieure de l’abdomen et les flancs. Cela représente une lipoaspiration qui peut durer une heure et qui peut enlever deux à trois litres de graisse. Il s’agit d’une vraie intervention avec ses propres risques. Si, en plus, vous ajoutez un deuxième temps d’au moins une  heure et demie pour la plastie abdominale, on passe à une intervention beaucoup plus longue. Les suites ne seront pas les mêmes. De plus, en cas de complications infectieuses par exemple (sepsis sur la cicatrice ou abcès de paroi), le risque de diffusion sera accentué puisque la lipoaspiration crée des tunnels sur tout le ventre. Dans la littérature médicale, on commence à voir des études scientifiques qui confirment l’augmentation du nombre de complications quand le chirurgien associe les deux interventions pendant le même temps opératoire.

Je propose donc de faire une vraie lipoaspiration dans un premier temps. Sachant que je n’ai pas de plastie à faire immédiatement, je peux faire une grande lipoaspiration de tout l’abdomen et des flancs. Je propose au patient de faire la plastie abdominale six mois après environ en fonction de l’évolution. Lors de la plastie abdominale secondaire, je m’autorise parfois un petit complément de lipoaspiration sur les flancs, sur les extrémités de la cicatrice ou pour corriger une petite imperfection de la première lipoaspiration. Il est évident que l’inconvénient premier reste les deux temps opératoires. Mais avec l’expérience et l’écoute des patients, cela me semble un bon compromis. Aujourd’hui, je préfère qu’un patient me reproche la durée trop longue d’un traitement plutôt qu’une complication qui pourrait avoir des conséquences graves. Selon mon expérience, le fait de séparer les gestes opératoires semble diminuer énormément  les complications postopératoires.

4 – Le patient présente un surplus modéré de graisse abdominale au-dessus de l’ombilic et sur les flancs associé à un bourrelet  cutanéo-graisseux sous-ombilical:

Il existe ici deux situations classiques selon la qualité de la peau :

° Patiente jeune, sans antécédent particulier, présentant une bonne qualité de peau c’est-à-dire qui devrait bien se rétracter après une lipoaspiration. Dans ce cas, une lipoaspiration globale de l’abdomen et des flancs doit toujours être proposée. Huit fois sur dix, le résultat sera positif c’est-à-dire qu’après quelques mois d’attente (le temps que la peau se rétracte bien) l’aspect esthétique de l’ensemble de l’abdomen sera satisfaisant. S’il persiste un excès de peau disgracieux dans la région sous-ombilicale, un geste secondaire pourra toujours être proposé.

°Patiente plus âgée, ayant eu des enfants et avec une peau de qualité médiocre. Dans ce cas, on anticipe un mauvais résultat sur la région sous-ombilicale et on fait d’emblée une plastie abdominale associée à une lipoaspiration de la région sus-ombilicale et des flancs. On peut, ici, se permettre de faire tout en un temps car la lipoaspiration reste modérée.

5 – Le patient présente un excès de graisse diffus abdominal et un diastasis des muscles :

Ici, l’indication est précise sur les gestes à faire. Il faut traiter le diastasis par une plicature des muscles grands droits de l’abdomen et enlever la graisse par une lipoaspiration. C’est clair.

Mais il y a un vrai challenge : par où passer pour faire la plicature sans faire de grande cicatrice ? En effet, la lipoaspiration se fait par des micro-incisions donc les cicatrices seront invisibles. Mais pour resserrer les muscles il faut les aborder, les voir et les suturer. Nous avons donc besoin d’un minimum d’espace. Pour cela, nous passons par deux « mini » voies d’abord: une en péri-ombilical (autour de l’ombilic) et l’autre au-dessus du pubis (où on place habituellement la cicatrice de césarienne). Les cicatrices seront donc minimes et cachées par le maillot pour la cicatrice inférieure.

6 – Le patient présente une légère surcharge graisseuse abdominale avec un petit bourrelet inférieur sur un abdomen longiligne et une peau d’élasticité moyenne.

Ce cas pourrait être simple si la patiente avait un abdomen plus large que haut et si la cicatrice de la plastie abdominale ne la gênait pas. Mais cette patiente, souvent jeune, ne désire pas de cicatrice visible. La qualité de la peau étant moyenne, la rétraction cutanée ne permettra pas d’obtenir un résultat satisfaisant dans la région sous-ombilicale. Un geste cutané associé sera donc nécessaire. On proposera dans ce cas une lipoaspiration pour enlever la graisse et un « minilifting abdominal » pour traiter la région sous-ombilicale. Il s’agit d’une « petite » plastie abdominale permettant de tirer sur la peau de cette région avec une plus petite cicatrice. L’inconvénient de cette technique est de faire une cicatrice sans traiter vraiment toute la paroi antérieure de l’abdomen comme le ferait une vraie plastie abdominale. Les avantages sont de bien traiter cette région de l’abdomen très exposée aujourd’hui (mode des pantalons taille basse) et de pouvoir faire un geste associé comme la plicature des muscles par cette petite voie d’abord sus pubienne.

 

        CONCLUSION

En conclusion, plastie abdominale et lipoaspiration est un couple qui marche bien en chirurgie esthétique. Ils se complètent, ils se comprennent,  ils se ressemblent dans la différence… Ils sont efficaces ensemble ou séparément. L’indication de la lipoaspiration dépend surtout de la qualité de la peau. L’indication de la plastie abdominale dépend surtout de la quantité de peau à enlever. Chacun propose sa solution mais, ensemble, ils sont encore plus forts pour améliorer l’esthétique de la paroi abdominale.

 

 

[1] Illouz YG. (1983) Body contouring by lipolysis: a 5-year experience with over 3,000 cases. Plast Reconstr Surg 72:591-597.

[2] Pitanguy I. (1967) Abdominal lipectomy :an approach to it through analysis of 300 consecutive cases. Plast Reconstr Surg 40:384.

[3] Villegas F (2011) Abdominoplasty without flap dissection, full liposuction, transverse infraumbilical plication and neoumbilicoplasty with skin graft (TULUA). Can J Plast Surg 19 (A): 95.

 

PHOTOGRAPHIES

Fig 1:

Figure 1 PA avec transposition de l'ombilic

Fig 1: Schéma représentant la zone de peau et de graisse qui est enlevée lors d’une plastie abdominale classique avec transposition de l’ombilic.

 

Fig 2 :

Fig 2 Minilift abdominal

Fig 2 : Schéma représentant la zone de peau et de graisse qui est enlevée lors d’un minilift abdominal.

 

Fig 3 :

Fig 3 Schema PA + Lipo

Fig 3 : Région abdominale vue de face. Schéma des zones traitées par la plastie abdominale (en bleu) et par la lipoaspiration (en jaune).

 

Fig 4 :

Fig 4 Schema PA + Lipo

Fig 4 : Région abdominale vue de profil. Schéma des zones traitées par la plastie abdominale (en bleu) et par la lipoaspiration (en jaune).

 

 

 

CHIRURGIE PLASTIQUE “A CIEL OUVERT”

Patrick Knipper

www.knipper.fr

 

Il existe en France, et depuis longtemps, une longue tradition d’aide envers les pays en voie de développement. L’aide humanitaire a toujours été très importante notamment dans le domaine de la santé. Interplast-France / Chirurgie sans frontières (www.interplast-France.net) est une petite organisation non gouvernementale française spécialisée dans la chirurgie plastique dans les pays en voie de développement. Face à une demande chirurgicale qui vient de plus en plus des zones rurales, nous nous sommes orientés vers la chirurgie plastique nomade.

Ce travail propose le bilan de 10 années de missions de chirurgie plastique « à ciel ouvert » dans les endroits les plus reculés des pays en voie de développement. Pour cela, nos équipes se sont mises en totale immersion et nous présentons notre expérience.

 

DES MISSIONS ET DES HOMMES

Constatant que 80 % de la demande de chirurgie réparatrice se trouve en zone rurale, nous avons décidé d’aller travailler au plus près des patients les plus nécessiteux c’est-à-dire dans les villages. Nos objectifs ont été l’immersion totale des équipes au village, la réalisation de missions de chirurgie plastique en situation très précaire, le développement des missions nomades, l’adaptation des missions à l’environnement et le travail en collaboration avec les tradithérapeutes locaux.

Les missions chirurgicales ont été régulières avec, en moyenne, trois missions par an, trois membres par mission (panseuse, anesthésiste, chirurgien) et la présence d’un chirurgien-dentiste dans 80% des missions. La mission s’est effectuée généralement dans une case de santé, voire à ciel ouvert, ou dans un centre de santé. Nous avons respecté le principe d’autonomie ; nous avons emporté avec nous vraiment tout ce qui était nécessaire pour réaliser la mission et pour être complètement autonome (Fig. 1).

 

LES RESULTATS

Le système de santé

Au cours de nos missions de chirurgie nomade, nous sommes intervenus principalement dans les cases de santé qui sont les derniers maillons de la chaine sanitaire (Fig. 2). L’agent de santé local est généralement un infirmier. Le travail au village nous a permis dans l’ensemble d’être beaucoup plus efficaces en nombre de consultations et d’interventions. L’action sur place nous a surtout permis de travailler avec les tradithérapeutes [1] qui sont finalement le premier visage du corps médical dans ces zones reculées. Ces  thérapeutes traditionnels ont surtout été d’excellents médiateurs pour expliquer notre action sur place.

Les missions

De 2003 à 2013, nous avons réalisé en moyenne trois missions par an, soit un total de 30 missions sur 10 ans. Deux tiers des missions ont été réalisées en cases et centres de santé ou directement en brousse c’est-à-dire « à ciel ouvert » (sous une tente ou à l’ombre d’un arbre).

Nous avons atteint le maximum de l’autonomie sur un projet nomade sur le Fleuve Niger, entre 2008 et 2011, où nous avons fait deux missions annuelles pendant quatre années (Fig. 3). Les populations béninoise et nigérienne étaient informées auparavant de notre passage par les réseaux locaux. L’équipe s’est déplacée pendant plusieurs jours en pirogue le long du fleuve et avec tout le matériel médico-chirurgical. Les consultations et les interventions étaient réalisées dans certains villages en fonction de différents critères (grosse population, village accessible uniquement par le fleuve, jour de marché). Pour ces interventions en extérieur, nous avons privilégié évidemment les anesthésies locales, tronculaires et locorégionales. Nous avons utilisé du matériel chirurgical en kit stérile et fait des interventions aux suites fiables et ne nécessitant pratiquement aucun soin post-opératoire (surjet intradermique enfoui avec du monocryl ou vicryl rapide et pansement unique laissé en place 10 jours). Les suites étaient supervisées par l’infirmier local et nous avions un retour d’informations par téléphone.

Les consultations

Nous avons réalisé plus de 4000 consultations. En pratique, le nombre de consultations est  toujours sous-estimé car nous réalisons tout au long du séjour une quantité importante de consultations sans vraiment faire un dossier médical.

Dans ces missions, les consultations concernent  surtout la chirurgie plastique dite générale. Il s’agit soit de pathologies classiques mais à un stade très avancé soit de pathologies moins habituelles comme le noma [2], l’ulcère de buruli [3], l’éléphantiasis ou certaines malformations congénitales insolites.

L’anesthésie

Avant de poser les indications chirurgicales, il faudra tenir compte de l’expérience de l’anesthésiste qui est souvent le dénominateur commun d’une bonne prise en charge médicale dans ces conditions d’interventions à ciel ouvert.

Le minimum requis pour assurer une sécurité anesthésique acceptable est de disposer d’une source d’oxygène (obus ou concentrateur d’oxygène), d’un système d’aspiration mécanique ou électrique et au moins d’une surveillance de la saturation en oxygène. S’il faut privilégier les anesthésies locales et locorégionales dans ce contexte, l’anesthésie générale est souvent indispensable. Il faudra alors préférer les anesthésies en ventilation spontanée sous kétamine et midazolam. Si une curarisation s’avère indispensable en mission, nous préconisons  le vécuronium qui se dégrade moins à la chaleur.

Les interventions

Nous avons effectué un peu plus de 1 500 interventions chirurgicales sur 10 années. Mis à part certains gestes sous anesthésie locale pure ou des pansements sous sédation générale, la comptabilité des interventions est à peu près fiable. Les interventions ont été réparties en 25% de fentes labio-palatines, 25% de tumeurs, 25% de séquelles de brûlures et 25% d’interventions diverses.

Durant cette période, le chirurgien-dentiste a pratiqué 650 interventions de chirurgie dentaire dont 20 sous anesthésie générale. Un tiers des cas correspondait à des séquelles d’infection, un tiers au traitement de gros kystes osseux avec extractions dentaires et un tiers à des gestes combinés avec un temps maxillaire type noma.

Les suites

Au village, et en dehors des pathologies septiques, nous avons limité les pansements en faisant un gros pansement, hermétique et solide que l’on ne touche pas pendant huit à dix jours. A la fin de la mission, tous les pansements sont faits en présence de l’équipe soignante locale. Le matériel pour les pansements ainsi que les consignes sont largement fournis. Nous avons noté un faible taux d’infection post-opératoire inférieur à 3%. Nous avons toujours identifié un correspondant local pour répondre à une éventuelle complication.

 

LE CAFE PHILO

Nous plaçons cette discussion sous le voile de nos interrogations. Nous nous sommes positionnés comme des médiateurs (entre deux médecines, entre différentes cultures, entre deux modes d’exercice) et nous gardons notre regard d’investigateur. Cette discussion relate une expérience et c’est pour cela que nous optons pour une version qui associe l’inconstance de la rhétorique, l’incertitude scientifique mais la sincérité des émotions et de nos passions.

        

         1 / Pourquoi faire de la chirurgie plastique nomade?

Pour comprendre comment une petite ong française de chirurgie plastique s’oriente vers la chirurgie nomade et fait des interventions « à ciel ouvert », il convient de rappeler certains objectifs premiers.

Depuis 1992, notre ong Interplast-France / Chirurgie sans Frontières a très vite fait le choix d’opérer les patients dans leur pays d’origine plutôt que de les faire venir en France et, cela, pour plusieurs raisons: plus grand nombre de patients opérés, coût financier moindre, patient opéré dans son environnement, formation dispensée sur place, etc.

Depuis 2003, nous avons travaillé sur le concept de « chirurgie plastique en situation précaire » en mission [4-5]. Ensuite et après avoir travaillé sur cette notion de précarité, nous sommes passés à une évolution supplémentaire: « la chirurgie plastique nomade ». A travers notre pratique, nous avons ajusté notre activité aux réalités du terrain. Le nomadisme chirurgical s’est imposé à nous pour mieux répondre à la demande avec le plus d’efficacité et le plus d’humanité possible. Nous nous sommes donc mis volontairement en immersion totale en zone rurale pour apprendre, développer de nouveaux réflexes face aux nouvelles conditions de travail et définir de nouvelles stratégies thérapeutiques plus ajustées aux besoins particuliers de ces patients. L’idée n’était pas d’expérimenter de nouvelles techniques. La chirurgie dite humanitaire n’est pas un territoire d’expérimentation. Au contraire ! Seul le médecin chevronné sera à même de répondre à ces cas difficiles dans cet environnement hostile. Dans la chirurgie plastique nomade, nous avons adapté les indications et les techniques à l’environnement des missions.

        

         2 / Quelques réalités de terrain !

C’est après de longues années sur le terrain que nous avons pu découvrir certaines particularités de la chirurgie plastique nomade:

80 % de la demande en chirurgie réparatrice s’observe en brousse. La population rurale se déplace peu en zone urbaine pour se faire soigner.

– En zone rurale, le premier « soignant » est le tradithérapeute (ou guérisseur) qui pratique la médecine traditionnelle. C’est le premier interlocuteur local. Il connaît la population, les maux (et les mots) locaux et la tradition. C’est un peu l’équivalent de notre médecin de campagne.

La réputation de « l’hôpital » est mauvaise dans les pays en voie de développement. Il représente, paradoxalement, l’endroit où l’on meurt. Cela s’explique, en partie, par le fait que les patients y vont au stade terminal de la maladie.

les soins spécialisés restent peu accessibles à la population déshéritée car malgré une gratuité affichée des soins, tout est payant dans ce système de santé.

Le « tout gratuit » n’existe pas. De surcroit, il ne marche pas ! Il suffit de comparer les résultats (offres de soins, qualité de la prise en charge, entretien des locaux, pérennité dans l’action, etc) entre les hôpitaux publics et les structures privées comme les fondations ou les organisations caritatives où les soins sont payants même si cela reste modéré!

La médecine traditionnelle est incontournable. Nous avons donc investigué très tôt cet univers de la médecine traditionnelle pour essayer de le comprendre. La prise en charge des patients s’est faite très vite en parfaite collaboration avec les thérapeutes traditionnels et par des consultations communes. Nous avons traité la partie visible de la maladie et ils ont pris en charge la partie invisible. Les tradithérapeutes ont surtout expliqué à la population ce que nous faisions. Nous avons également appris que « l’influence peut guérir » [6].

– La dimension esthétique s’est révélée être importante dans la demande des patients et, cela, même dans les régions les plus pauvres. Très vite, nous avons été initiés aux interprétations culturelles locales de la maladie et sur l’interprétation du corps malade dans ces sociétés. Cette demande esthétique se comprend par le fait qu’ici, et plus qu’ailleurs, l’appartenance au groupe est fondamentale. Et pour appartenir au groupe, il faut lui ressembler. Il ne s’agit pas d’une ressemblance physique stéréotypée mais, plutôt, d’une « non différence » au sens où toute modification du corps, qu’il s’agisse d’un naevus un peu gros, d’un lipome ou d’un noma, stigmatisera la personne. Cette présentation hors norme (mais qu’est-ce que la norme? [7]) rendra la personne distincte, voire porteuse du « mal ». Le plus important n’est pas la lésion en elle-même mais ce qu’elle représente et la sanction peut être effroyable.

 

3/ Les adaptations que nous avons tentées !

 

A / Adaptation à l’environnement

 

Si l’on pouvait résumer en quelques mots notre action sur le terrain, nous dirions : immersion, adaptation, négociation.

Si l’on pouvait résumer en seul mot notre adaptation, nous dirions : autonomie.

 

B / Adaptation sur le plan médical

 

  1. Adaptation à la consultation:

Les consultations sont généralement intenses voire oppressantes. Il faut très vite organiser la consultation pour éviter d’être submergé par les patients qui sont très demandeurs en soins. L’aide de l’infirmier local ou d’un traducteur est indispensable. Le choix des patients et les indications sont en général rapidement posées pour les pathologies habituelles. Paradoxalement, ce sont les cas où l’on ne peut rien faire sur le plan chirurgical qui prennent le plus de temps. Il faut expliquer longuement pourquoi le patient ne sera pas opéré, pourquoi le voisin est pris en charge et pas lui, etc.

  1. Adaptations aux interventions:

 

Les interventions que nous pratiquons dans ces conditions sont réalisées avec la même rigueur qu’en France. La chirurgie en situation précaire n’est pas synonyme de chirurgie précaire. Au contraire, les principes chirurgicaux appliqués doivent être encore plus affinés. Seul l’environnement change. Nous adaptons ainsi nos choix thérapeutiques aux patients, aux pathologies rencontrées et aux conditions d’exercice observées.

Dans notre expérience de chirurgie « à ciel ouvert », nous nous sommes interrogés sur deux concepts, l’un relatif à l’environnement et l’autre relatif au « timing » dans nos missions.

– Concept d’« Eco-chirurgie »

Un écosystème est un système formé par un environnement (biotope) et par l’ensemble des espèces qui y vivent. Par analogie, nous avons trouvé intéressant le concept d’« Eco-Chirurgie » c’est à dire le concept d’une chirurgie qui se définit par l’environnement dans lequel elle s’exerce. Par exemple, l’ostéosynthèse de fracture d’un os peut se faire par des broches ou par une plaque en fonction de l’étiologie. On appelle cela « poser » une indication chirurgicale. Il n’y a donc rien de nouveau. Mais qu’en est-il quand l’indication est posée par rapport à l’environnement, aux habitudes du chirurgien, à la croyance religieuse du patient, aux traditions locales, à la gestion simple des pansements, au délai de la mission? L’éco-chirurgie c’est faire de la chirurgie en fonction de l’environnement, c’est adapter le geste au contexte.

– Concept de « Chrono-chirurgie »

La notion de chrono-chirurgie évoque le choix d’une intervention en fonction de la durée de la mission, de la périodicité des séjours chirurgicaux voire des possibilités d’étalement dans le temps d’une reconstruction. Devant la reconstruction des séquelles de Noma, par exemple, le choix de la technique sera différent si vous n’avez qu’un seul temps opératoire possible sur une mission ou si vous pouvez revenir tous les trois mois pour faire des temps successifs.

 

  1. Adaptation à la période pré et postopératoire:

 

De manière globale, nous avons noté un faible taux d’infection post-opératoire (inférieur à 3%). Cela correspond, en partie, à l’enseignement reçu par l’un de nos illustres maîtres en chirurgie plastique, le docteur Raymond Vilain, qui nous avait démontré que « les microbes ne sautaient pas ». Nous avons appris que le plus important dans la prévention des infections était  l’eau, le savon, le lavage des mains, la gestion du geste chirurgical et la rapidité de l’intervention! Nous avons insisté sur la douche préopératoire des patients avec du savon et l’eau du puit.

Au village, les pansements sont soumis à de rudes épreuves. Il est donc préférable, qu’en postopératoire, il soit gros, hermétique et solide et nous conseillons de le faire le moins possible tant l’acte de soin dans cet environnement reste toujours une source de contamination.

 

  1. Adaptation à l’enseignement

Nous avons créé dès 2004 à Paris un diplôme interuniversitaire (DIU) de chirurgie réparatrice en situation précaire (www.chirurgieplastiquehumanitaire.net) pour partager notre expérience soit avec les confrères européens qui désiraient partir opérer en mission, soit avec les confrères originaires des pays en voie de développement qui désiraient avoir une formation adaptée à leurs futures conditions de travail. Le succès de ce DIU depuis 10 années à Paris nous a conduits à l’exporter à Madagascar depuis 2008 où cette formation est intégrée au  diplôme de chirurgie essentielle. Nous avons fait le choix de proposer des techniques plus simples mais adaptées à la réalité du terrain plutôt que de dispenser une formation sophistiquée en chirurgie plastique mais qui sera peu réalisable dans ce contexte.

C / Adaptation sur le plan ethnologique

Nous avons très vite  valorisé  la dimension anthropologique et culturelle de nos pratiques de santé dans nos missions [8]. Nous avons exploré comment la biomédecine contemporaine, à travers la chirurgie plastique, se confrontait à la diversité culturelle rencontrée et aux traditions médicales locales. Nous avons essayé de développer le concept d’ethno-chirurgie qui résulte donc de cette cohabitation entre notre chirurgie et la médecine traditionnelle.

L’ethno-chirurgie veut comprendre l’interprétation (ou le vécu) du geste chirurgical chez un patient par rapport à son environnement d’une part, aux systèmes culturels d’interprétation et de traitement de la maladie d’autre part. Elle consiste à traiter le patient dans sa totalité, avec des moyens techniques sophistiqués mais dans le respect des origines du patient, de ses croyances, de son ethnie et en fonction des traditions thérapeutiques locales

Nous voulons, surtout, donner un rôle primordial au regard du patient sur la médecine que nous importons chez lui. L’ethnologie observe l’autre ; l’ethno-chirurgie regarde comment l’autre nous observe. C’est de l’ethnologie à l’envers et cela nous a semblé essentiel parce qu’un traitement ne peut être accepté que s’il est bien compris. Nous essayons donc de savoir comment notre action chirurgicale est comprise. De cette compréhension naitra une meilleure acceptation et, donc, une meilleure efficacité thérapeutique de nos interventions.

Plutôt que d’opposer les différents procédés thérapeutiques entre eux, nous pensons qu’il vaut mieux les associer en fonction du patient à traiter. Plutôt que d’essayer d’adapter le patient à une médecine, nous préconisons de laisser le patient choisir sa médecine.

 

CONCLUSION

La demande en chirurgie plastique est énorme dans les pays en voie de développement et 80% de cette demande s’observent en zone rurale. Nous avons donc volontairement orienté nos missions en dispensaire et la version « à ciel ouvert » de nos missions a permis de répondre parfaitement à ce besoin. Cette aventure chirurgicale a modifié notre façon de travailler. Nous avons adapté nos techniques à l’environnement et tout cela dans le respect des traditions locales. Pour partager notre expérience, et faciliter l’enseignement, nous avons créé un diplôme universitaire de chirurgie plastique en situation précaire.

Si un chirurgien veut partir en mission de chirurgie plastique nomade, il doit être complètement autonome et connaître, au minimum, trois techniques : les plasties cutanées, les greffes de peau et le lambeau de grand dorsal. Si une seule technique doit être enseignée, en case de santé, ce sera le parage chirurgical.

Selon notre expérience, la chirurgie plastique en situation précaire devrait être enseignée dans tous les centres hospitaliers des pays en voie de développement et la chirurgie plastique nomade semble être la seule façon de répondre, aujourd’hui, à la forte demande des populations rurales.

 

 BIBLIOGRAPHIE

 

[1] Claudine Brelet. Médecines du Monde.

Editions Robert Laffont, Octobre             2002.

[2] Montandon D, Lehmann C, Chami N.The surgical treatment of noma.

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[3] Knipper P, Zilliox R, Johnson C, Antoine P. Ulcère de Buruli et Chirurgie   Plastique, au dispensaire.  Annales de Chirurgie Plastique et Esthétique,  Août            2004

[4] Knipper P. Chirurgie en situation précaire (I) : Mission. Maîtrise           d’Orthopédie, N°118, Novembre 2002, p 18-31

[5] Knipper P. Chirurgie en situation précaire (II) : Mission. Maîtrise          d’Orthopédie, N°122, Mars 2003, p 20-27

[6] Tobie Nathan. L’influence qui guérit. Poches Odile Jacob, 2001.

[7] Canguilhem G. Le normal et le pathologique. PUF/Quadrige, Paris, 2005

[8] Knipper P. Ethno-chirurgie ou réflexions sur le regard de l’autre, en mission. Revue de Stomatologie et de Chirurgie Maxillo-faciale 112 (2011) pp.             385-387

 

FIGURES

 

Fig 1 : Bagages d’une mission nomade : autonomie.

Photo 1 Article Chir à ciel ouvert

 

Fig 2 : Chirurgie plastique « à ciel ouvert » dans une case de santé.

Photo 2 Article Chir à ciel ouvert

 

Fig 3 : Clinique nomade sur le fleuve Niger

Photo3 Article Chir à ciel ouvert

 

 

 

Lifting du cou: traitement des cordes platysmales

Lifting du cou: traitement des cordes platysmales!

Patrick Knipper

www.knipper.fr

 

 

Sur l’autoroute des faux diagnostics,

les bretelles d’accès sont nombreuses,

les sorties trop rares et le péage hors de prix.

La vérité est sur le périphérique en faisant le tour du patient.

 

Raymond Vilain dans «  La Main, le parking des angoisses ».

 

 

 

Nous allons essayer de tordre le cou à quelques idées reçues sur les cordes platysmales en faisant le tour du périphérique cervical. Ce papier propose de s’interroger initialement sur la vraie demande du patient puis sur la réalité des structures anatomiques concernées. Nous sonderons enfin les possibilités d’amélioration esthétique du cou.

 

 

 

         LA DEMANDE DU PATIENT

 

Aujourd’hui, la demande du patient est ici principalement esthétique. Il n’existe pas, à ma connaissance, de demande fonctionnelle hormis les séquelles de brûlure ou d’autres pathologies engendrant une rétraction des tissus ou des brides cervicales.

L’élégance de la région cervicale appartient à un certain équilibre entre les concaves et les convexes et repose sur la présence d’un angle cervico-mentonnier relativement bien défini et compris généralement entre 90 degrés et 110 degrés. Un angle cervico-mentonnier trop ouvert  rend disgracieux le profil cervical ainsi qu’une surcharge graisseuse associée à la disparition des reliefs musculaires. La  responsabilité des cordes platysmales dans la dysharmonie de la ligne cervicale antérieure est également bien établie. Il existe de nombreuses publications sur cette notion de cou idéal [1,2].

Dans cette demande d’amélioration du cou, la référence à un parent reste fréquente dans nos consultations: « je ne veux pas être comme ma mère », « mon père en vieillissant avait un cou de dindon mais c’est de famille docteur ! ». Comme pour le nez, la plastique de cette zone charnière du corps marque parfois une filiation qu’il convient de comprendre et de respecter. Interrogeons-nous donc d’abord sur cette demande de modification du trait familial. Si le nez peut caractériser une note familiale voire une caractéristique ethnique, les cordes platysmales restent cependant souvent associées au vieillissement naturel du cou. Comprendre cette demande c’est surtout comprendre quelles sont les modifications qui dérangent le patient, quelles sont les structures qui se sont dégradées sur le plan esthétique et avec le temps. Personnellement, je reste toujours surpris quand une patiente consulte subitement pour une demande d’amélioration esthétique du cou alors que sa morphologie semble être innée : un cou court et large avec un angle sous-mentonnier très ouvert sur une cyphose cervicale prononcée. La chirurgie ne pourra pas beaucoup améliorer cette dysharmonie. Il conviendra d’écouter longuement la demande, d’essayer de comprendre la motivation du jour et d’expliquer longuement les raisons anatomiques de cette morphologie cervicale particulière pour mieux faire accepter les limites de la logique chirurgicale.

Dans notre pratique quotidienne, la demande d’amélioration de la région cervicale pourrait se résumer à trois situations: la surcharge graisseuse, le relâchement cutané et la présence de cordes platysmales. Ces outrages du temps peuvent être isolés ou associés. Il faudra bien les identifier pour en expliquer les raisons et proposer des solutions thérapeutiques avec leurs avantages, leurs risques et surtout leurs limites.

 

 

           

 

         LA REALITE DES STRUCTURES ANATOMIQUES CONCERNEES

 

Plusieurs facteurs participent à la dysharmonie de la région cervicale. L’excédent cutané est corrigé par un lifting cervical nécessitant un décollement cutané. L’excès de graisse sous-mentale – qu’il se situe au-dessus ou au-dessous du muscle platysma – se traite par l’exérèse directe au cours d’un lifting ou par lipoaspiration cervicale isolée. La rétrogénie nécessite une correction par une ostéotomie mentonnière d’avancement ou par la mise en place d’un implant. Le dernier facteur est représenté par les bords mésiaux déhiscents et tendus des muscles platysma qui constituent les cordes platysmales. Il convient pour les corriger d’effectuer une platysmaplastie. Nous rappelons que, quelles que soient les techniques effectuées, le résultat post-opératoire demeurera conditionné par la position de l’os hyoïde.

 

 

 

         CE QUI A ETE FAIT

 

Quasiment tout a été essayé pour améliorer la région cervical mais peu est fait au quotidien:

1) Sur l’os hyoïde

L’angle cervico-mentonnier est  défini par la position de l’os hyoïde. MARINO H. est le premier en 1963 à avoir précisé sur le plan radiologique la position de cet os [3]. Le corps de l’os hyoïde se trouve au même niveau que le bord inférieur de la symphyse mentonnière selon une ligne parallèle à la ligne de Francfort.                                                                                                                                                                                                              Pour modifier la position de l’os hyoïde il faut agir sur les muscles sus-hyoïdiens. La désinsertion des muscles sus-hyoïdiens proposée par COLLINS P.C. et EPKER B.N. en 1983 [4] et par GUYURON B. en 1992 [5] a donné de beaux résultats dans leurs publications sur la fermeture de l’angle.  Dans notre publication de 1996, nous avions proposé  une correction de l’angle cervico-mentonnier par la suspension postéro-supérieure de l’os hyoïde en « plicaturant » le tendon intermédiaire des muscles digastriques [6]. Cette plicature raccourcis la longueur totale du muscle et favorise l’ascension de l’os hyoïde. Dans une publication récente, LABBE D. propose le « corset digastrique » [7]. Les beaux résultats obtenus sur la fermeture de l’angle me semblent être dus également en partie à l’action sur la position de l’os hyoïde. En effet, la suture sur la ligne médiane des chefs antérieurs des digastriques raccourcie la longueur totale des muscles et fait ascensionner l’os hyoïde.

En pratique : aujourd’hui, une modification de la position de l’os hyoïde est peu réalisée dans notre activité chirurgicale quotidienne.

2) Sur la glande sous-maxillaire

Dans certains cas où la glande maxillaire (par son volume ou sa ptose) surcharge la région latérale du cou, certains auteurs ont proposé une sous-maxillectomie.

En pratique : dans l’environnement dans le lequel s’effectue la chirurgie esthétique en France peu d’opérateurs réalisent cette intervention.

3) Sur la graisse

Presque tout a été imaginé pour proposer une lipoaspiration de la région cervicale devant une surcharge graisseuse [8].

Nous pouvons observer trois tableaux cliniques relativement stéréotypés :

– a/ patiente jeune présentant une fermeture de l’angle par embonpoint sous mentonnier localisé: lipoaspiration médiane sous mentale, sous anesthésie locale, en insistant sur la graisse profonde, sous platysmale, située entre les chefs antérieurs des muscles digastriques ;

– b/ patiente présentant une surcharge graisseuse diffuse sur une peau élastique : lipoaspiration en respectant la graisse superficielle pour éviter les adhérences postopératoires ;

– c/ patiente présentant une fermeture de l’angle par surcharge graisseuse associée à un cervicochalasis : lipoaspiration douce associée au lifting cutané. Attention, dans ce cas, à la lipoaspiration trop prononcée d’une région qui peu mal répondre au geste de remise en tension de la peau (région sous-mentale ou région des basjoues).

4) Sur la peau

Nous ne pouvons aborder dans ce papier, consacré aux cordes platysmales, toutes les techniques de lifting cervical cutané. Le principe du lifting est de redistribuer la peau relâchée par des vecteurs de traction divers et par différents plans de dissection. Les techniques ont été affiné pour rendre plus naturel le résultat esthétique final. Tous les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour penser qu’un lifting qui « se voit » n’est pas un bon lifting. Différents plans de décollement ont ainsi été proposés pour atténuer une tension excessive sur la peau. Il faut retenir que grande cicatrice et grand décollement ne sont pas systématiquement associés à grand résultat. Les choses ont évoluées mais un «mini lift» (ou un lifting partiel) sera souvent synonyme de mini résultat! L’autre notion que l’on doit retenir est que la région sous-mentale répond mal au geste de tension cutanée latérale. Le dernier facteur important pour apprécier la pérennité du résultat reste l’évaluation de la qualité de la peau en préopératoire.

En pratique : l’art d’un bon lifting est de corriger sans modifier, de satisfaire le patient sans que l’intervention soit visible. La réalisation doit surtout tenir compte de l’environnement, de la patiente voire de son histoire et de ses origines. Le chirurgien doit adapter les techniques au patient et ne pas imposer une seule technique à tous les patients.

5) Sur les muscles peauciers du cou ou platysma

De nombreuses techniques de platysmaplastie ont été proposées. Aufricht en 1960 [9], T.J. Baker en 1969 [10] puis Skoog en 1974 [11], vantèrent les mérites de la suspension simple du bord postérieur du peaucier au muscle sterno-cléïdo-mastoïdien. J. Guerrero-Santos, en 1974, proposa le premier des sections musculaires partielles avec création de lambeaux [12, 13]. La première section totale du peaucier est réalisée par B. Connel en 1978 [14,15]. Nous pouvons citer, de façon non exhaustive, d’autres auteurs comme R. Peterson [16], V. Mitz [17],  B.L. Kaye [18], C. Cardoso de Castro [19,20], D.R. Millard [8] ou J.J. Feldman [21] qui proposèrent une multitude de variantes techniques au cours de la platysmaplastie.

Les deux principales interrogations, aujourd’hui, concernent la réelle efficacité d’une suture sur la ligne médiane des muscles et la nécessité d’une section des muscles platysma pour faire disparaître les cordes. Nous avions proposé, dans une présentation déjà ancienne [22], qu’une corde platysmale résultait d’une contraction musculaire. L’arrivée secondaire de la toxine botulique et son efficacité sur cette contraction étaient venue confirmer cette hypothèse de départ.

Faut-il suturer les muscles peauciers du cou sur la ligne médiane pour améliorer l’angle cervico-mentonnier et faire disparaître les cordes platysmales? Pour répondre à cette question, nous avions également fait des travaux anatomiques sur pièces de  dissections et comparé différentes techniques opératoires [23].

Notre première série de dissections, concernait l’anatomie des muscles platysma sur cent pièces anatomiques [Fig. 1]. Nous avions trouvé, dans 12 % des cas, des muscles peauciers peu exploitables sur le plan chirurgical quel que soit leur degré de décussation. Par conséquent, avant d’envisager une suture éventuelle des muscles sur la ligne médiane, il faut noter que toutes les présentations anatomiques ne permettront pas de suture efficace ! Seuls les muscles platysma suffisamment épais pourront être suturés. Ensuite, seuls les types A (68%) présentant une décussation [Photographie 1] et les types B1 (26% des types B) sans décussation mais avec un écart modéré  [Photographie 2] pourront être rapprochés sur la ligne médiane. Cette série nous avait également permis d’individualiser le type anatomique B2 (6 % des types B) où l’écart trop important entre les muscles platysma n’autorise aucune suture sur la ligne médiane [Photographie 3]. Comme première conclusion (et sur une série de 100 pièces anatomiques), nous pouvons dire que la suture médiane ne concernera que les formes anatomiques « suturables ». Il conviendra donc d’apprécier, en préopératoire, le type de décussation et d’informer le patient sur la possibilité de trouver en peropératoire des muscles trop fins dont la suture sera inefficace.

La deuxième partie de l’expérimentation avait permis de comparer différentes techniques opératoires. Notre deuxième conclusion, fondée sur une étude statistique fiable, nous avait permis de trouver une meilleure définition de l’angle cervico-mentonnier après section des muscles platysma [Photographie 4] et une fermeture encore plus grande de cet angle quand la platysmaplastie n’associe pas de suture antérieure des muscles peaucier. La section complète des platysma présentait l’avantage d’une meilleure translation latérale  des muscles au cours de la platysmaplastie. En revanche, cette section pouvait entraîner certaines complications : lésion de la branche mandibulaire du nerf facial, plaie de la veine jugulaire externe, découverte du cartilage thyroïde, chute de la glande sous-maxillaire et persistance d’un bourrelet sous-cutané traduisant l’enroulement du chef musculaire distal. La suture médiane, prônée par de nombreux auteurs et notamment par J.J. Feldman, permettrait la création d’un hamac musculaire sous-mandibulaire, voire la formation d’un véritable corset musculaire en multipliant les plicatures longitudinales [21]. Néanmoins, cette suture médiane nécessite, le plus souvent, une cicatrice sous-mentale supplémentaire et peut s’accompagner d’un bourrelet médian résiduel au niveau de la plicature.

 

 Classification Platysma

 

                    Figure 1 : Classification des muscles Platysma

 

CE QUI RESTE A FAIRE

Les muscles peauciers de cou ont perdu leur fonction première. Ils ne sont plus les muscles cervicaux puissants qui interviennent  dans la stabilisation et la mobilité de l’extrémité céphalique. Dans nos sociétés, ils sont quasiment  inconnus. Leurs découvertes stigmatisent aujourd’hui le vieillissement. Les cordes platysmales sont visibles car elles se contractent. L’idéal serait donc simplement de paralyser ces contractions sachant que cela n’aurait aucun retentissement fonctionnel. L’expérience de la toxine botulique a prouvé l’efficacité de cette paralysie mais de façon trop temporaire évidemment. La dénervation totale des muscles platysma associée à un « redrapage » cutané efficace devrait satisfaire la plupart des objectifs. Mais la dissection des différents pédicules nerveux et leurs sections restent délicates, fastidieuses, aléatoires et nécessiteraient un temps opératoire trop long.

 

Selon notre expérience, la section totale des muscles peauciers est une bonne solution mais n’est pas applicable à tous les patients. De surcroit, nous avons noté certaines récidives malgré une section complète. Il ne faut pas se contenter de couper le muscle ; il faut sectionner le muscle et son aponévrose sur les deux faces. Il convient également d’assurer un grand espacement entre les deux extrémités en fin d’intervention. Dans de nombreux cas, une suspension postérieure des platysma sans les sectionner peut suffire quand elle est associée à une large dissection sous-cutanée cervicale antérieure avec une remise en tension cutanée. L’apparition secondaire des cordes reste tardive, moindre et très bien acceptée par les patients. Il faut cependant l’expliquer.

 

 

CONCLUSION

Les cordes platysmales appartiennent au vieillissement cervical. L’apparition de la corde platysmale résulte d’une contraction musculaire. La solution sera donc musculaire. Un muscle peut être sectionné, transposé ou paralysé. Nous avons presque tout essayé et il n’y a pas, aujourd’hui, de consensus sur une seule technique. Cela signifie que les patients sont différents, les demandes variées et l’anatomie du périphérique cervical incertaine.

 

En pratique :

Quel que soit la demande et avant tout geste technique, nous conseillons de bien comprendre la demande, d’analyser cliniquement les muscles peauciers du cou, d’en analyser l’épaisseur et d’apprécier leur écart sur la ligne médiane…

–  Si le patient présente une cyphose cervicale prononcée, un cou court et/ou un os hyoïde trop bas, un geste sur le muscle restera peu efficace. Quel que soit le geste proposé, l’angle cervical antérieur restera ouvert donc inesthétique. Dans ce cas, nous proposons une simple traction sur le bord postérieur du peaucier lors du lifting.

– Si le patient présente une indication de lifting cervical cutané avec une corde modérée, isolée et que la motivation reste modérée, nous proposons de supprimer la contraction musculaire par de la toxine botulique en expliquant bien les limites du geste. Nous associons évidemment à cette injection un lifting cutané.

– Si le patient présente un réel affaissement cutané sur un angle de départ très fermé (donc favorable) avec des cordes platysmales prononcées et une vraie motivation, nous proposons un lifting cervical cutané étendu avec une section complète des muscles plastysma. La suture médiane peut être discutée si la version anatomique le permet et si le patient accepte l’incision sous-mentale complémentaire. Sinon, la section basse et complète des muscles platysma associée à une translation postérieure donne de bons résultats.

Nous avons essayé de faire  le tour du périphérique cervical. Nous n’avons pas trouvé la vérité ; nous avons emprunté quelques bretelles d’accès et, surtout, beaucoup de sorties…

 

 

Photographies

Photographie 1 :

Photo Article Platysma 1 web

Photographie 1: Platysma Type A avec décussation

 

Photographie 2 :

Photo Article Platysma 2 web

Photographie 2 : Platysma Type B1 sans décussation mais suturable

 

Photographie 3 :

Photo Article Platysma 3 web

Photographie 3 : Platysma Type B2 sans décussation et non suturable

Photographie 4 :

Photo Article Platysma 4 web

Photographie 4 : Section complète des muscles Platysma et traction postérieure

 

Bibliographie

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[17] MITZ V. – The superficial musculoaponeurotic system: a clinical evaluation after 15 years of experience. – Fac. Plast. Surg., 1992, 8, 1, 11.

[18] KAYE B.L. – The extended neck lift: the ” bottom line ” . – Plast. Reconstr. Surg., 1980, 65, 429.

[19] CARDOSO de CASTRO C., ABOUDIB J.H.C. – Extensive cervical and lower face lipectomy: its importance and anatomical basis. – Ann. Plast. Surg., 1980, 4, 370.

[20] CARDOSO de CASTRO C., ATTIAS P. – Lifting cervical. – Ann. Chir. Plast. Esthét., 1986, 31, 174.

[21] FELDMAN J. J. – Corset platysmaplasty. – -Plast. Reconstr. Surg., 1990, 85, 333.

[22] KNIPPER P., MITZ V., – Platysma Muscle Cord : References, Semiology, Physiopathology, Etiology and Treatment. European Association of Plastic Surgeon, EURAPS, 1997.

[23] KNIPPER P., MITZ V. – Is it necessary to suture the Platysma muscles on the midline to improve the cervical profile ? Annals of Plastic surgery, Volume 39, Number 6, December 1997.

 

 

 

 

 

Communiqué de Presse

Communiqué de presse

 

Directoire Professionnel des Plasticiens

 

            Profondément soucieux de la santé de leurs patientes, les chirurgiens plasticiens français se préoccupent depuis janvier 2011 du problème du lymphome anaplasique à grandes cellules (LAGC) à la suite de l’information qui avait été diffusée par la Food and Drug Administration américaine (FDA).

            Les chirurgiens plasticiens français travaillent en effet en étroite collaboration avec leurs instances de tutelle (DGS, ANSM, InCA) et avec les sociétés scientifiques internationales (ASAPS).

            Si le sujet est préoccupant, il faut toutefois garder le sens de la mesure et ne pas inquiéter inutilement la population. La fréquence du LAGC est si faible que le risque est encore très difficile à quantifier. Pour la même raison, il n’est pas possible d’identifier précisément les facteurs de risque associés à cette pathologie. En particulier, l’importance de la texturation de surface des implants, et le terrain génétique, dont les rôles possibles ont été incriminés, nécessitent encore des études complémentaires.

Il faut rappeler que les implants mammaires préremplis de gel de silicone sont utilisés depuis 1962 dans le monde. Accusés d’augmenter la fréquence des maladies auto-immunes, ils avaient été interdits en France du 28 janvier 1992 au 16 janvier 2001. Aucune étude épidémiologique à l’échelle mondiale n’avait pourtant permis de les incriminer. Il serait regrettable de reproduire aujourd’hui une semblable erreur sous l’emprise de l’émotion.

            Tant en chirurgie reconstructrice qu’esthétique, les bénéfices apportés aux patientes par les implants mammaires sont en effet actuellement infiniment supérieurs au risque de LAGC. Ce risque est si faible qu’il ne justifie aucune explantation préventive, quel que soit le type et l’âge de l’implant. Aussi exceptionnel soit-il, ce risque fait dorénavant partie de l’information systématique des personnes candidates à une implantation mammaire, et tous les chirurgiens plasticiens français en connaissent la procédure de dépistage.

Ils profitent de cette occasion pour rappeler que toutes les femmes porteuses d’implants mammaires doivent être systématiquement et régulièrement surveillées. En l’absence d’anomalies cliniques ou radiologiques, il est toutefois inutile de modifier la fréquence et les modalités d’une surveillance annuelle.

 

Directoire Professionnel des Plasticiens, 17 mars 2015

www.plasticiens.fr

 

 

           

Le Directoire Professionnel des Plasticiens (DPP) regroupe les 5 composantes professionnelles de la spécialité :

  • La Société française de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique (SoFCPRE) est la société savante qui regroupe toutes les composantes de la spécialité.
  • La Société française de Chirurgie Esthétique Plastique (SoFCEP) regroupe les chirurgiens plasticiens qui pratiquent de manière prépondérante la chirurgie esthétique
  • Le Collège Français de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique (CFCPRE) a pour but la formation initiale et la formation continue des chirurgiens plasticiens. Il regroupe tous les enseignants de la spécialité, universitaires ou non.
  • Le Syndicat National de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique (SNCPRE) a pour objet la défense des intérêts professionnels.
  • Plastirisq est l’organisme d’accréditation de la spécialité auprès de la Haute Autorité de Santé.

Prothèses mammaires: devant ou derrière le muscle ?

PROTHESES MAMMAIRES :

POSITION PRE OU RETRO-MUSCULAIRE ?

 Patrick Knipper, Chirurgie Plastique, Paris

www.knipper.fr

 

            INTRODUCTION

L’augmentation du volume des seins par des prothèses mammaires est une intervention formidable pour les patientes qui présentent une hypotrophie mammaire. Cette intervention bien codifiée répond toutefois à des protocoles rigoureux comme l’explication de l’intervention, l’exposition des suites opératoires et de ses risques éventuels. Parmi toutes les interrogations sur l’intervention, un sujet revient souvent pour le patient. Il s’agit de connaître la position exacte de la prothèse lors de cette première implantation: devant ou derrière le muscle grand pectoral. Nous allons donc essayer de répondre à cette question : faut-il mettre les prothèses mammaires devant ou derrière le muscle ? Cet article concerne de choix de la position de la prothèse lors sa première implantation dans une intervention d’augmentation du volume des seins à visée esthétique.

 

 

POURQUOI LES CHIRURGIENS PLASTICIENS PEUVENT-ILS METTRE LES PROTHESES MAMMAIRES DEVANT OU DERRIERE LE MUSCLE ?

La mise en place de prothèses mammaires pour corriger un très petit volume des seins peut être une intervention magique pour les vraies hypotrophies mammaires. Parfois, et en moins d’une heure d’intervention, la patiente passe du statut de « plate » à celui de femme « normale » avec des jolis petits seins… Pour les hypotrophies moins sévères, cette intervention rassurante garde tous les avantages de sa réversibilité en cas de problème en apportant un volume mieux adapté à ce corps qui a changé. Aujourd’hui, cette intervention fait partie de l’arsenal thérapeutique du chirurgien esthétique comme toutes les autres interventions. L’évolution du matériel (enveloppe de la prothèse, gel de silicone, etc), la connaissance de la modification des seins avec les différents épisodes de la vie (grossesses, variations de poids, etc),  le renfort du contrôle sanitaire et la satisfaction des patientes en font une intervention phare de notre spécialité.

Le patient est devenu assidu en matière d’information sur les différentes interventions esthétiques. Pour les prothèses mammaires, la place des implants mammaires reste une question récurrente lors des consultations de chirurgie esthétique. Cette interrogation de la part du patient témoigne déjà d’une connaissance aiguisée sur cette intervention. Aujourd’hui les patients sont très bien informés et reçoivent (notamment sur internet) des renseignements fleuves sur les interventions de chirurgie plastique. C’est bien mais trop d’informations « tuant » l’information, nous allons essayer de répondre à cette question: faut-il mettre les prothèses mammaires devant ou derrière le muscle grand pectoral? Pour clarifier notre propos, nous opposerons deux situations très concrètes et classiques. Mais avant toute chose, il convient de rappeler brièvement pourquoi il existe deux façons de positionner les implants mammaires. Pour être logique sur le plan anatomique, la position la plus adaptée pour une prothèse mammaire est la position pré-pectorale c’est-à-dire devant le muscle. En effet, la glande mammaire est naturellement devant le muscle grand pectoral. Initialement, les chirurgiens mettaient les prothèses mammaires dans cette position. Avec les anciennes prothèses qui contenaient de la silicone liquide et des enveloppes techniquement moins élaborées, il existait un fort taux de coques péri-prothétiques. Habituellement quand on introduit une prothèse à l’intérieur du sein, il apparaît de manière physiologique une enveloppe autour de cette prothèse. On parle d’enveloppe péri-prothétique. C’est normal mais quand cette enveloppe se « durcit », on parle de coque. Il existe différents stades donnant un aspect plus ou moins figé aux seins (et parfois, plus ou moins douloureux). L’aspect caractéristique de coques importantes sur prothèses mammaires anciennes s’observait sur la plage quand certaines femmes âgées allongées sur le dos gardaient des seins saillants et rigides alors que généralement, dans cette position, les seins s’affaissent sur les côtés. Pour éviter l’apparition de coque, les chirurgiens ont imaginé différents moyens comme la mise en place des prothèses derrière le muscle. Ils voulaient obtenir un « effet » massage plus ou moins permanent des prothèses par les contractions musculaires. Le passage du plan pré au plan rétro-musculaire a heureusement fait reculer le taux de coques. Aujourd’hui, ce taux de coque est inférieur à 2% et on observe quasiment plus de stade important comme on le voyait avant. Une des raisons de cette bonne évolution reste surtout l’amélioration technique des prothèses notamment au niveau de la conception des enveloppes et de la composition du gel pour celles qui contiennent du gel de silicone. Les laboratoires proposent en effet de plus en plus des prothèses qui contiennent du gel de silicone de très haute cohésivité. Ce gel très cohésif « transpire » beaucoup moins à travers l’enveloppe. Il a l’aspect du chewing-gum : si on coupe la prothèse en deux avec un bistouri, le gel reste compact et ne coule pas.

Donc, aujourd’hui, la position rétro-musculaire des prothèses n’est plus justifiée seulement par rapport à l’apparition des coques. Pour rester simple, on peut dire que le choix  de la position des prothèses semble de plus en plus dicté pour des raisons esthétiques et c’est ce que nous allons voir.

 

 

COMMENT DEFINIR UN JOLI SEIN AVEC DES PROTHESES?

La finalité d’une augmentation mammaire est d’obtenir des jolis seins.

La définition d’un joli sein étant déjà difficile et non ubiquitaire, vous comprendrez que l’appréciation du volume idéal d’un sein reste également difficile à faire. Les critères esthétiques d’un « joli » sein sont si nombreux (personnelles, sociaux, culturels, etc) qu’il est impossible de définir une conduite à tenir précise sur le plan esthétique pour cette intervention. Toute la vraie difficulté pour le chirurgien est de comprendre ce que veut exactement la patiente. Une intervention est réussie quand le chirurgien donne au patient ce qu’il désire. En matière de volume mammaire, toute la difficulté réside dans le fait qu’il n’existe pas toujours la possibilité de satisfaire la patiente. Par exemple, une patiente très mince avec un thorax étroit ne pourra pas avoir des prothèses trop grosses car celles-ci se verront trop et deviendront disgracieuses. C’est le cas typique de la « Bimbo » que l’on observe parfois et qui semble contente de ses seins énormes et outrancièrement visibles alors que le reste du corps est relativement mince. Faut-il accepter de mettre de telles prothèses ? Doit-on faire ce que la patiente désire même si cela nous semble peu esthétique ? Peut-on accepter toutes les demandes qualifiées de « limites »? D’ un autre côté, la mise en place d’implants mammaires a pour finalité l’augmentation du volume des seins et cela doit se voir. Sinon,  l’intervention n’a aucun intérêt. Mais que signifie « se voir » ? La patiente voit toujours la différence mais que veut-elle « montrer » aux autres? Certaines patientes disent : « Docteur, je voudrais plus gros mais sans que cela se voit trop! »…Devant toutes ces interrogations, on voit que le volume mammaire reste une appréciation délicate et qui nécessite une vraie écoute de son patient. En pratique quotidienne, le choix de la taille découle d’une écoute attentionnée du désir exprimé, ou non, de la patiente. C’est une affaire d’expériences mais la ligne directrice d’une telle intervention pourrait se résumer en deux mots : harmonie et naturel. Il convient de faire beau en retrouvant des volumes harmonieux mais avec un aspect naturellement.

L’autre difficulté concerne la forme  du sein obtenu avec des prothèses. Classiquement, la forme du sein doit présenter un segment 1 (région supérieure du sein, au-dessus de l’aréole) légèrement concave c’est-à-dire un peu en creux et un segment 3 (région sous l’aréole) convexe ou plus bombé. Cette définition ne correspond pas toujours aux désirs de toutes les patientes. Certaines désirent la partie supérieure du sein « plus creusé » pour que « cela fasse naturel » et d’autres vont préférer des seins « plus bombés » avec une vallée inter-mammaire plus généreuse pour donner l’impression d’une plénitude retrouvée. D’autre part, il convient de préciser que la forme de la prothèse mammaire (ronde, anatomique) peut influencer la forme du sein après l’intervention mais légèrement. La prothèse mammaire augmente le volume du sein mais l’esthétique définitive résultera surtout de la forme initiale du sein avant l’implantation. Si le sein au départ a une jolie forme, la mise en place d’un implant augmentera le volume et le sein aura forcément une jolie forme. A l’opposé, la forme de la prothèse influencera le résultat dans certains cas particuliers comme des patientes très minces ayant un thorax étroit où la prothèse sera relativement visible sous une peau très fine. L’autre cas particulier concerne la reconstruction du sein après mastectomie pour cancer. Dans ce cas, il manque de la peau et la forme  du sein sera très influencée par la forme de la prothèse sous cette peau peu élastique.

Le dernier critère esthétique semble plus facile à obtenir. Il s’agit de la bonne position de la prothèse. Techniquement, le chirurgien n’a aucun droit à l’erreur sur le positionnement de la prothèse mammaire lors de son implantation. La prothèse doit être centrée horizontalement sur l’aréole ou légèrement plus bas pour obtenir un segment 3 un peu plus développé (ce serait un critère esthétique apprécié) mais, en aucun cas, la prothèse sera excentrée latéralement par rapport à l’aréole. La difficulté, ici, réside dans l’appréciation de l’évolution du sein implanté avec le temps. Comment va évoluer la peau et la forme du sein avec les  grossesses, l’allaitement, les variations de poids, etc… C’est dans ce cas précis que le choix de la loge, où l’on va mettre la prothèse, va influencer le résultat en fonction de l’évolution de la forme du sein avec les années. Par exemple, devant une femme jeune sans enfant ayant une vraie hypotrophie, on préférera la loge rétro-musculaire. En revanche, pour une femme présentant une hypotrophie mammaire après l’allaitement associée à une chute des seins, on choisira d’implanter les prothèses mammaires devant le muscle.

 

 

CHOIX ENTRE LA POSITION PRE ET RETRO-MUSCULAIRE, en pratique !

Pour simplifier notre démonstration, nous allons opposer deux situations classiques tout en rappelant que chaque cas reste particulier et demande une attention personnelle en fonction des antécédents  de chaque patiente, de son thorax, de la forme de ses seins au départ, de son âge, de son mode de vie, de ses désirs, etc…

1)    Patiente mince ayant une hypotrophie mammaire sévère. Dans ce cas classique chez la patiente sans enfant, sans ptose mammaire et n’ayant quasiment pas de graisse sous la peau, la position rétro-pectorale reste souhaitable.

PTH retro pect av et apres

Photographies 1 : Photographies avant et après l’intervention chez une patiente ayant un faible panicule adipeux et n’ayant pas de ptose mammaire : prothèses mammaires rondes préremplies de gel de silicone, profil moyen, voie axillaire et position rétropectorale..

Nous préférons, ici, mettre la prothèse mammaire derrière le muscle pour mieux « l’envelopper » puisque l’étui cutané est fin et pour que son pôle supérieur soit plus « aplati » et moins visible par le muscle donnant un aspect moins bombé au sein et, par conséquent, plus naturel.

2)    Patiente présentant une ptose modérée. En présence d’une patiente présentant une légère ptose des seins ou ayant des seins « vidés » après une ou plusieurs grossesses, la position pré-pectorale semble indiquée.

PTH Pre pect av et après

Photographies 2 : Photographies avant et après l’intervention chez une patiente ayant un début de ptose mammaire : prothèses mammaires rondes pré-remplies de gel de silicone, profil moyen, voie axillaire et position pré-pectorale…

Nous préférons, dans ce cas, mettre la prothèse mammaire devant le muscle c’est-à-dire juste derrière la glande mammaire. Dans cette position, la prothèse remplira bien le sein. Si nous mettions la prothèse derrière le muscle, elle serait située trop haute. En effet, le muscle grand-pectoral se trouve sur la partie supérieure du thorax et donc plus haut que le sein. Seule la partie inférieure du muscle peut se superposer au sein (plus exactement son segment 1). Si le sein « tombe » un peu en cas de ptose mammaire, celui-ci se trouvera assez bas sur le thorax. En conséquence, si nous mettions la prothèse dans la loge rétro-musculaire, elle ne pourra pas remplir le sein puisqu’elle restera en haut. C’est pour cela qu’en présence d’une ptose mammaire, nous préférons remplir le sein en mettons la prothèse juste derrière la glande mammaire c’est-à-dire devant le muscle. L’inconvénient de cette position, pour certaine patiente, reste l’absence de remplissage de la partie supérieure du sein puisque la prothèse augmente surtout le volume de sa partie ptosée. Dans ce cas, il faudrait associer une plastie mammaire (pour traiter la ptose) à la mise en place des  prothèses pour obtenir un sein plus gros et plus tendu.

 

 

CONCLUSION PRATIQUE

L’augmentation mammaire par prothèse est une intervention magique qui permet de redonner un volume idéal aux seins. La demande esthétique étant différente et la forme des seins étant distinctes, le choix de la position des prothèses mammaires influencera le résultat esthétique final. La position théorique d’une prothèse devrait être derrière le sein et centrée sur l’aréole. Parmi les différentes options proposées à la patiente, la position devant ou derrière le muscle grand pectoral reste un point d’explication souvent discuté. Deux situations classiques permettent d’expliciter ce choix :

–         En l’absence de ptose mammaire, le sein est plus ou moins en face du muscle grand pectoral. Dans ce cas, la position devant ou derrière le muscle ne sera influencée que par l’épaisseur du plan cutanéo-glandulo-graisseux ou du désir de la patiente d’avoir un pôle supérieur de la prothèse visible ou plus discret. Si la patiente est mince et qu’elle veut un résultat très naturel, la position rétro-musculaire sera préférée. Si la patiente a une épaisseur de tissu suffisante et si elle désire obtenir une partie supérieure des seins plus généreuse, nous mettrons les prothèses devant le muscle.

–         En présence d’une ptose mammaire, la prothèse mammaire sera placée préférentiellement devant le muscle pour mieux remplir le sein. Dans certains cas, un lipofilling (injection de graisse de la patiente et dans l’épaisseur des tissus) pourra être associé à l’intervention pour « cacher » le pôle supérieur de la prothèse.

 

 

 

 

 

 

Chirurgie de l’image, magie de la chirurgie…

Chirurgie de l’image, magie de la chirurgie,  sur le fleuve Niger…

 

Par le Dr Patrick Knipper – Président d’Interplast France, organisation internationale de chirurgie plastique à vocation humanitaire. Auteur de « Peaux de chagrin » (éd. Michel Lafon), livre témoignage sur ses missions réalisées aux quatre coins du monde. www.knipper.fr

 

L’acte consistant à modifier une apparence par le biais de la chirurgie est un acte social. Et par cela-même il a une représentation symbolique. L’image de cet acte chirurgical peut être interprétée, mystifiée ou tout simplement rejetée. La chirurgie du « corps image » fait-elle partie de la magie de l’acte chirurgical ? La pratique chirurgicale sur les bords du Niger ouvre la voie à la réflexion.

 

 La chirurgie esthétique humanitaire[1] nous a appris que la chirurgie esthétique était fondamentalement un acte thérapeutique. Mais ce sont les berges du fleuve Niger qui m’ont vraiment interrogé sur  l’efficacité réelle de cette action thérapeutique en mission et sur l’image qu’avait notre acte chirurgical sur les populations locales. Si nous connaissons le vrai pouvoir de la chirurgie esthétique, nous ignorons ce qu’il représente, sur le plan symbolique ? Comment est-il perçu ? Quelle est son image ? Mystère.

 

Une chirurgie de l’invisible et de l’indicible

Une chose est certaine : la chirurgie plastique à but humanitaire, tout comme la chirurgie  esthétique réalisée dans nos cliniques, recèle non seulement un part de mystère mais aussi de magie. Elle est « magie » en ce qu’elle opère dans la forme et par la forme. Elle relève également de la thaumaturgie car elle agit non seulement sur le monde tangible mais aussi sur l’invisible. En effet, le scalpel du chirurgien intervient autant sur la partie visible du corps à modifier que sur la part imperceptible du corps imaginé. La chirurgie plastique revêt une double invisibilité. Invisibilité du corps imaginé qu’elle sculpte. Invisibilité de sa propre image. La chirurgie plastique est un corps invisible, impalpable, qu’il faut apprendre à « travailler », à opérer pour la rendre accessible.

 

Je ne vais pas vous parler…

 

Je ne vais pas parler de la magie du Fleuve Niger...

 

Je n’ai pas la capacité narrative ni descriptive de Jean Rouch quand il nous fait naviguer sur le Fleuve Niger dans « la religion et la magie Songhay »[2].  Je ne vais pas vous décrire les Zin (Djinn), les Holey ou autres cultes des ancêtres, qui n’apporteraient rien à la réflexion d’un chirurgien plasticien qui s’interroge simplement sur l’image de sa spécialité. Je ne suis pas là pour jouer au magicien mais pour essayer de comprendre comment, dans un environnement particulier, la chirurgie esthétique peut être « vue ». Je mets des guillemets au mot « vue » car, dans cette région du monde, le terme de  « vision » peut prendre une toute autre dimension.

 

Je ne vais pas vous parler de l’e-mage…

 

En effet, le magicien des images informatiques ne doit son pouvoir qu’au logiciel de retouche photographique ou de morphing. Ces images sont-elles vraies, sont-elles imaginaires, sont-elles magiques ?

Pour Nietzsche, l’image célèbre le triomphe du faux, mais pas du mensonge. En fait, la seule vérité dont les images sont dépositaires réside dans l’explication du processus de leur réalisation. C’est tout ce qui ne se voit pas à l’écran qui donne son sens à l’image. Sans explication sur l’intervention, la photographie d’un patient n’est plus qu’une photographie [3] et, sur le fleuve Niger, on ne connaît pas plus Nietzsche que les logiciels de retouche…

 

Je ne vais pas vous parler du mage de la chirurgie…

 

La chirurgie peut être magique mais pas le chirurgien. Certes, nous pouvons être « vu » ou « pris » pour des magiciens. Cela est parfois positif pour le patient. On sait combien l’investissement du patient dans sa prise en charge thérapeutique peut lui être bénéfique. Toute raison gardée, prenons cette ressemblance avec un magicien comme l’investissement du patient dans sa propre quête du soin magique.

 

– Je ne vais pas vous parler du chirurgien et de son image…

 

En France, notre image est catastrophique. Les raisons en sont nombreuses. La première a été développée dans un travail publié dans le rapport 2003 de la Sof CPRE[4] : il apparaît une vraie méconnaissance de notre spécialité en commençant par la méconnaissance de notre art par nos propres collègues médecins… Seconde raison : la pitoyable image médiatique de la chirurgie esthétique, comme le rappelle l’article sur les Chirurgiens esthétiques et les médias[5], également publié dans le rapport 2003 de la Sof CPRE. Heureusement, l’esthétique a une meilleure notoriété sur le fleuve Niger…

 

         Essayons de parler d’image, sur le fleuve Niger…

 

Le reflet de l’objet que l’on appelle image est souvent interprété, vécu, reçu, ressenti, éprouvé, accepté selon ce que l’on est ou ce que l’on croît être. Ainsi, l’art cosmique ne vous dit rien parce que vous n’y comprenez rien, parce que vous ne voyez rien.  A l’opposé, l’initié à cet art voit la profondeur de l’espace engendrée par ce minuscule point noir, unique et perdu sur cette une toile totalement immaculée. On appelle cela de l’art contemporain (je schématise un peu). Un autre exemple nous est proposé avec l’art africain. Une statuette traditionnelle de femme en Afrique sera représentée avec des formes ne répondant pas du tout à notre image de l’esthétique féminine. On y verra des seins ptosés et pointus sur un corps aux proportions parfois incompréhensibles. On appelle cela de l’art primitif (je schématise encore). Là où le chirurgien plasticien français voit une très bonne indication de lipoaspiration des cuisses et de chirurgie mammaire, le sculpteur Dendi (ethnie du Nord du Bénin) dira : « Ougayengué , ougayengué » (traduction : les fesses sont si grosses qu’elles se touchent, qu’elles se frottent pendant la marche ; elles se parlent !).

Nous observons ici toute la difficulté du concept d’image sur les bords du fleuve. Comment voir l’image, puisqu’elle dépend de celui qui la voit et de celui qui la présente ? Un fétiche africain représentera pour le non initié une poupée, alors qu’il n’est souvent que la représentation d’une idée, d’un concept, voire de l’invisible.

 

Apprivoiser l’image

 

Sur le fleuve Niger, l’image ne nous appartient pas. L’image de la population que l’on va soigner est différente. Les foules qui s’adressent à nous  sont multicolores, étranges, intrigantes, impressionnantes, belles, multiethniques. Elles ne nous ressemblent pas. C’est quoi une ethnie ? Il va falloir toucher ceux que l’on ne connaît pas. L’approche des autres est laborieuse ; toucher les autres est parfois pénible ; opérer l’autre reste difficile. Imaginez prendre en charge une population complètement différente de la vôtre. Il va falloir travailler cette image pour essayer d’en décoder le langage, l’approche, le bonjour, car il va falloir opérer cette image [Photographie 1].

 

L’image du patient est surprenante. Il a un aspect auquel je suis peu habitué. Il ne me sourit pas. Lui aussi a l’air intrigué. Je ne comprends pas bien son problème. Il parle, mais je ne comprends rien. Que dit-il ? Que veut-il ? Je ne sais même pas ce qu’il a ! Et puis, je n’ai jamais vu ça. C’est quoi cette maladie ? Des tumeurs, j’en ai vues, mais comme celle-là, jamais ! C’est tumoral ? Ah, c’est une maladie tropicale… Comment vais-je faire pour réparer cela ? Et s’il n’y avait que la maladie qui me surprend ! Le patient lui-même, ses attentes, ses inquiétudes,  me sont un monde inconnu. L’image du patient est compliquée ; le patient d’ici est tellement différent du patient européen. Evidence ? Truisme ? Mais il y a des évidences qu’il faut parfois rappeler. C’est un « tout autre » que je côtoie ici. Et ce patient « différent », il va falloir décoder son image, pour approcher du diagnostic…

 

L’image du mal, l’image mise à mal…

 

Que signifie la maladie ? Je vois bien qu’ici la maladie est vue différemment. La maladie a un visage autre. Ce patient présente des scarifications. On me dit que c’est le guérisseur qui l’a traité pour une variole dans l’enfance. Ils ont une drôle de façon de traiter les maladies infantiles ici !  L’image de la maladie est particulière. On ne la voit pas comme nous… Ainsi, un « fou » pourra être ligoté dans certaines ethnies ou laissé complètement en liberté dans d’autres. Tout dépend de l’interprétation de la maladie selon la peuplade concernée. Sur le fleuve Niger, on estime que le discours incohérent d’un psychotique n’est autre que la parole d’un génie. Le fou étant l’intermédiaire entre le génie et les hommes.

Comment est vu le mal ici ? Le problème, c’est que le patient n’a pas le même objectif que moi pour soigner son mal, sa pathologie. Pour moi, le plus important reste d’identifier et de traiter l’étiologie de l’affection. C’est comme cela que j’ai été formé. Pour le patient, le plus important reste d’expliquer pourquoi c’est lui qui est malade. Pour nous, la cause d’une infection bactérienne c’est une bactérie. Pour le patient africain, la cause d’une infection c’est celui qui l’a envoyée, celui qui a jeté le sort. Il va falloir travailler cette image du mal pour la comprendre, l’interpréter mais sans essayer de la traiter, car c’est le job du tradipraticien. Nous ne sommes pas là pour jouer aux apprentis guérisseurs. Il faut garder notre place et notre image de « docteur blanc » ; c’est comme cela que le patient nous voit, c’est comme cela qu’il nous accepte et il faut admettre que l’image que l’on veut donner ne soit pas celle qu’ils reçoivent. Il existe forcément une interprétation. Respectons-la.

Prenons l’exemple de l’image de nos interventions chirurgicales pendant les missions. Sur le fleuve Niger, le vrai magicien, ce n’est pas le chirurgien. Le grand mage, c’est l’anesthésiste. Il a la capacité de faire « mourir » le patient et de le faire « revenir ». Pour les villageois, voir le patient anesthésié ou comme  « mort »  se réveiller, revenir de l’Au-delà, c’est de la magie [Photographie 2].

Le chirurgien dentiste a un autre pouvoir, une autre image ; il a le pouvoir des mots car il travaille dans la bouche et on sait combien ce pouvoir est important en Afrique. Par exemple ici, on évite de prononcer le nom précis d’une maladie. On ne dit jamais : «Un tel a le sida ». Car le mot sida va sortir de la bouche, s’envoler et risque de retomber sur quelqu’un (ou sur celui qui parle) comme un mauvais sort. Alors, on dira plutôt: « Untel a la maladie ! » ; c’est moins risqué.

Du chirurgien enfin,  on dit qu’il travaille avec le fer. Ils disent cela, car ils nous voient travailler avec des instruments en « métal ». Ils n’en sont guère surpris car certains tradipraticiens utilisent des instruments en fer pour leurs actes rituels. Le chirurgien a l’image du forgeron. Cela n’est pas si mal, car les forgerons appartiennent à une caste noble en Afrique.

 

         Essayons de parler de chirurgie de l’image, sur le fleuve Niger…

Alors, pourquoi vouloir opérer l’image ?

 

Cette problématique m’est apparue après de nombreuses années de missions, en Afrique notamment. En effet, après avoir opéré des centaines de patients ayant des pathologies parfois compliquées comme le noma, j’avais l’impression de ne pas être totalement efficace sur le plan thérapeutique. Je sentais les limites de mon action chirurgicale. J’avais proposé tout ce que ma spécialité pouvait offrir, à savoir une reconstruction et, de surcroît, la plus esthétique possible. Selon les normes et les critères qui sont les miens. Ceux d’un homme blanc, ceux d’un médecin formé sur les bancs de la faculté. Mais je n’avais pas compris qu’« opérer l’image » n’était pas si simple. Opérer l’image ne se résume à transformer un corps ou à modifier une apparence. Opérer l’image, c’est aller plus loin ; c’est un peu opérer l’invisible. Pouvons-nous être des mages en chirurgie ou des magiciens de l’invisible?

 

– Chirurgie de l’image :

 

Nous avons tous eu l’expérience que la chirurgie esthétique allait bien au-delà d’un simple acte technique.  Ainsi, il nous est arrivé à tous, d’avoir un jour le sentiment qu’intervenir sur le patient revenait en réalité à agir sur le couple. Demander des prothèses mammaires n’est-il pas parfois  le signe d’un manque que l’on cherche à combler ? Nous sentons  bien que, seules, les prothèses mammaires ne sauraient suffire à remplir l’espace d’incompréhension qui peut exister dans un couple. Pour être efficace sur le plan thérapeutique (c’est-à-dire pour « guérir » la patiente), il conviendra de traiter la partie visible de la maladie par les prothèses mammaires et de traiter la partie invisible (l’incompréhension conjugale) par une action sur le couple (psychologique, sexologique ou autre…). Être un chirurgien du corps invisible, c’est être le thérapeute du non visible. Le chirurgien de l’invisible n’arrête pas son incision sur le visible ; il incise aussi l’invisible. Il ne se contente pas de poser des prothèses mammaires mais il écoute la demande de la patiente, il entend la problématique du couple, il essaye de comprendre d’où vient le manque, il rassure sur les possibilités thérapeutiques, il informe sur les différentes solutions et il propose de prendre en charge l’ensemble du problème, qu’il soit visible et invisible…

 

Sur le fleuve Niger, c’est la même chose. L’acte thérapeutique du chirurgien n’est pas limité à l’incision. La portée esthétique du geste ne s’arrête pas à la simple satisfaction sensible d’une modification désirée.  On passe d’une chirurgie de réparation à une chirurgie de création voire à une chirurgie de socialisation. C’est par la transformation sensible (que permet la chirurgie esthétique) que le corps image  va pouvoir réintégrer le corps social dans une communion de conscience (Maffesoli). Cette communion de conscience répond à une volonté d’être socialement ensemble et, ici, “être ensemble” fait souvent référence à l’invisible. La chirurgie de socialisation devient la chirurgie de l’invisible.

 

Image sociale et regard du groupe

  Le corps n’est pas vécu ici comme un espace intime. L’individualité n’a pas sa place sur le fleuve Niger et le corps appartient à une communauté.

 

On sait que la perception de son identité se fait par des processus permanents de comparaison avec autrui : l’identité se forme autour de modèles et de contre-modèles, par des processus d’identification, d’assimilation et de rejet sélectifs successifs (Mucchielli, L’Identité). Mais, ici, le corps n’appartient pas au patient. Il va être modelé, initié, transgressé et tout cela au nom de l’invisible… Seule l’« ethnochirurgie » me permet de m’interroger sur le vrai pouvoir de mon incision quand j’apprends que le corps que je touche n’appartient pas au malade, qu’il a été « préparé » pour l’Au-delà, qu’il a été initié et qu’il faut que je demande la permission au génie de la rivière pour pouvoir le toucher. On ne touche pas le corps sans l’accord ! Mais qui suis-je pour pouvoir inciser ce corps qui appartient au génie de la forêt ? Qui suis-je pour oser transgresser les règles invisibles que gère l’identité de ce corps malformé ? A quelle cohérence appartient ce corps inaccoutumé ? Le corps n’est plus au centre de la personne pour détourner l’expression de Kaufmann dans « Corps de femmes, regards d’hommes » ( … le corps est au centre de la personne…). Ici, le corps fait corps et c’est l’image du corps social qu’il convient d’inciser. Le corps est au centre du corps ethnique. Inciser un patient, c’est opérer une famille, un village, une ethnie…

 

Prenons l’exemple de l’allotransplantation partielle de la face. Suite à la première mondiale de l’équipe du Pr Devauchelle en 2005, j’ai présenté l’intervention à un groupe de guérisseurs avec qui je travaillais dans un petit village du Nord du Bénin nommé Bello Tounga [Photographie 3]. Nous y avons développé, depuis plusieurs années, un travail collectif avec les tradipraticiens locaux. Nos consultations sont communes et nous essayons de traiter le patient en totalité. Le chirurgien gère la partie visible de la maladie, il s’occupe du symptôme. Le tradipraticien prend en charge la partie invisible du problème. Il explique la maladie avec des termes adaptés, il traduit notre traitement et, surtout, il essaye de répondre à la question que se pose tout patient en Afrique : Pourquoi ? Pourquoi moi ? En effet, cette question est fondamentale ici. Il convient d’expliquer au patient pourquoi il est victime de cette maladie-là et pourquoi c’est lui qui est tombé malade. Le patient ne se sentira pas totalement « guéri » tant que vous ne lui aurez pas dit pourquoi c’est lui qui a reçu cette maladie. Seule la médecine traditionnelle pourra « opérer » la partie invisible du mal ou l’image du mal. Seule la médecine traditionnelle saura dévoiler les raisons de la colère du génie de la forêt.

 

Alors, j’ai demandé au chef des guérisseurs :

 

–         «  si un de tes enfants a le visage arraché par un animal, accepterais-tu que je reconstruise son visage en prenant le visage d’un patient déjà mort comme on peut le faire en France?

 

Après quelques palabres avec les autres guérisseurs, il me répondit :

 

–    « Cela est impossible et pour deux raisons :

                        – la première est que le corps est de passage sur terre ; tout ce qui lui arrive ici est fait pour le préparer pour son voyage dans l’au-delà. Si tu enlèves le visage au mort, il sera sans visage dans son voyage. C’est impossible. Et puis, cela ne s’est jamais fait chez nous.

                        – la deuxième est que si tu mets une partie du mort sur le visage de mon fils, il sera alors ici dans les deux mondes : le monde des vivants et le monde des morts. Ce sera terrible pour lui. Il sera comme un « zombi ». C’est impossible. »

 

Cette expérience m’a renforcé dans la conviction que la frontière était étroite entre la chirurgie de l’image et l’image de la chirurgie. Proposer une intervention, ici, c’est proposer l’image d’une intervention. L’intervention-image aura l’interprétation de ceux qui la recevront. « Un malade n’est malade  qu’en fonction d’une certaine idée de la santé. (G. Morel) ». Je dirais qu’un acte chirurgical n’est thérapeutique qu’en fonction d’une certaine image de la chirurgie qu’aura le patient. Pour faire accepter l’acte chirurgical il faudra que le patient comprenne l’image de cette chirurgie. Opérer l’image de la chirurgie c’est donc manipuler cette image pour la faire accepter comme étant source de guérison. Cette image devra correspondre au référentiel thérapeutique du patient et cela dépendra bien sûr de sa « culture ». Notre travail est de proposer une chirurgie dont l’image est comprise par le malade en fonction de ses croyances, de son ethnie, de sa religion, etc…

 

La resacralisation de l’image

 

En Europe, la mécanisation du corps a entraîné « l’expulsion du corps de la sphère du sacré et son entrée instrumentale dans la rationalité technique » (Saliba, Le Corps et les constructions symboliques). Sur le fleuve Niger, le corps reste dans la sphère du sacré. Pour que notre geste demeure thérapeutique, il faut qu’il redevienne sacré. Opérer le corps invisible, c’est un peu travailler sur le corps sacré. Et celui-ci ne peut être représenté que par des images. Ainsi, pour « diviniser » mon intervention, j’essaye d’en présenter une image « sacrée » afin qu’elle soit mieux acceptée. Tout en restant moi-même, c’est-à-dire un chirurgien plasticien qui fait une simple intervention (et sans me prendre pour un magicien), je vais ajuster mon bloc opératoire pour qu’il soit vu. Ma tenue de bloc sera à l’image de la tenue du griot local, c’est-à-dire majestueuse. Mon bandana représentera ma coiffe de « grand papa ». Ma lampe frontale sera le troisième œil (ou interprétée comme telle). Ma gestuelle sera précise et sophistiquée. Mes instruments seront observés, analysés, commentés. Mon intervention sera une intervention que je qualifie d’ « intervention de médiation » [Photographie 4] . Il s’agit d’une mise en scène qui me permet de montrer ce que je fais et qui me permet de communiquer. Les gens du village interprèteront notre travail en nous regardant et ils se créeront l’image de notre action ; ce sont eux qui mystifient notre intervention pour mieux l’accepter. Ils ont besoin de sacré pour que le traitement ait un sens et qu’il atteigne sa pleine efficacité. Mon rôle de médecin est de  proposer la meilleure prise en charge. Mon rôle de médecin sur le fleuve Niger est de présenter ce traitement avec le langage local et, dans ce dialecte, les images sont fondamentales. A l’opposé, si nous restons « cachés » dans un bloc confiné, nous ne pourrons plus communiquer, notre travail, fait dans le secret,  sera assimilé à de la magie noire et nous aurons alors l’image de sorciers…

 

         Conclusion

 

En Europe, on médicalise trop la maladie. Le discours médical ne semble plus laisser de place à une étiologie psychique, sociale, ethnique ou affective dans la définition des maladies. Construite depuis Descartes sur une conception mécaniste des fonctions organiques, la médecine devient au XIXème siècle une science des maladies, avec sa nosologie : à chaque maladie, un organe déficient, une lésion anatomo-pathologique. Cet héritage de la révolution anatomo-clinique du XIXème siècle conduit, avec la révolution technologique du XXème siècle, à une mécanisation du corps : chaque organe devient une pièce détachée qu’on peut réparer… ou remplacer. Les organes sont eux-mêmes devenus des images dans un corps imagé (ainsi on découvre de nouvelles images du corps en IRM).

Sur le fleuve Niger, nous nous sommes souvenus qu’une maladie pouvait être vécue dans trois dimensions : sa dimension biomédicale (Disease), sa dimension subjective (Illness) et sa dimension socioculturelle (Sickness). Pour mieux traiter le patient, nous l’avons traité dans ces trois dimensions. Forts de cette redécouverte, nous avons réinterprété le corps du patient dans la sphère du corps thérapeutique local. Nous avons proposé notre médecine pour soigner le symptôme visible et nous avons laissé le traitement de la partie invisible du mal aux tradipraticiens. Nous nous sommes alors interrogés sur deux problématiques:

–         quelle était l’image de notre chirurgie ?

–         existait-il un corps invisible ?

 

Nous avons appris que l’image de notre spécialité était sacrée et qu’il existait un corps invisible que l’on pouvait opérer ! Nous en avons conclu que la chirurgie du corps image faisait partie de la magie de notre chirurgie ; mais tout cela c’est le Fleuve Niger qui nous l’a enseigné…

 

PK

 

PHOTOGRAPHIES

 

Photographie 1 :

Tradithérapeute au NigériaTradithérapeute au Nigéria

Tradithérapeute au NigériaTradithérapeute au Nigéria

 

Photographie 1 : Consultation dans un village du Nigéria. La signification et l’interprétation de la maladie doivent être expliquées ; c’est une des fonctions du tradithérapeute local (Photographie Christophe Carre / Interplast-France)

 

 

Photographie 2 :

Bloc opératoire nomade

 

Photographie 2 : Bloc opératoire nomade d’Interplast-France installé dans un village sur le Fleuve Niger (Photographie Florence  Gaty / Interplast-France)

 

Photographie 3 :

Tradithérapeutes du Bénin

 

Photographie 3 : Réunion de travail, avec des « guérisseurs » d’un village du Nord du Bénin, sur les interrogations autour de l’allotransplantation de la face en l’Afrique (Photographie Patrick Knipper/ Interplast-France).

 

 

Photographie 4 :

Chirurgie dentaire nomade

 

Photographie 4 : «  Intervention de médiation » : Equipe Interplast-France travaillant, dans un premier temps,  devant les membres du  village pour « présenter » son travail à la communauté. Il existe un langage commun compris par tous et qui sert de médiation entre les cultures : «  le soin » fait avec humanité… (Photographie  Marie-Pierre Dieterlé / Interplast-France)).



[1] Chirurgie esthétique humanitaire. Patrick Knipper. Rapport de la Sof CPRE, 2003.

[2] La Religion et la Magie Songhay. Jean Rouch. Editions de l’Universit2 de Bruxelles, 1989.

[3] Chirurgie esthétique : les réalités de la virtualité. A propos de l’influence de l’image, des nouvelles technologies de l’information et de la communication, et de l’Internet. François Petit, Stéphane Smarrito, Cédric Kron. Congrès 2003 de la Sof CPRE.

[4] Instantané esthétique : Le questionnaire sur les interventions et leurs complications. P Knipper, JL Jauffret. Rapport Sof CPRE, 2003.

[5] Les Chirurgiens esthétiques et les médias. Ray Volte. Rapport Sof CPRE, 2003.

 

Changement des prothèses mammaires

CHANGEMENT DES PROTHESES MAMMAIRES

Patrick Knipper, Chirurgie Plastique, Paris

www.knipper.fr

La mise en place des prothèses mammaires à visée esthétique, et reconstructrice, est une intervention qui peut être formidable. Cependant, les prothèses mises en place ne le sont jamais « pour la vie ». Le changement des prothèses mammaires avec le temps est une évidence. Il existe différentes situations où l’on doit procéder à ce changement. Nous allons essayer de vous présenter nos orientations en fonction des différentes situations et selon notre expérience.

DES IMPLANTS MAMMAIRES, OUI MAIS POUR COMBIEN DE TEMPS ?

Les implants mise en place à l’intérieur du corps humain devraient répondre à des normes strictes sur le plan de la sécurité, de la surveillance et du suivi. Les implants mammaires répondent à ce principe mais ils sont également et systématiquement changés au bout d’une dizaine d’années environ. Il n’existe pas, aujourd’hui, de durée d’implantation définie strictement. Chaque patiente, chaque implant, chaque mode de vie et chaque chirurgien étant différents, il est illusoire de vouloir proposer un délai fixe pour un changement de prothèses mammaires. A la question classique: « Docteur, quand faudra-t-il changer les prothèses mammaire ? », nous ne pouvons pas apporter de réponse précise. Nous conseillons une surveillance régulière  pendant une dizaine d’année si tout va bien et nous préparons ensuite gentiment la patiente à un changement des prothèses mammaires à partir de cette dixième année. Tout cela se fait calmement mais en précisant qu’il vaut mieux prévoir ce changement et le faire dans de bonnes conditions plus tôt que d’attendre un contre temps et de procéder dans la précipitation. La durée classique de 10 années que beaucoup de gens ont en tête ne répond pas à des critères scientifiques rigoureux. Personne, à ce jour, peut dire combien de temps une prothèse mammaire reste intacte tant les facteurs influençant l’évolution d’un implant sont nombreux. Ce chiffre correspondait au délai de couverture par l’assurance des laboratoires qui fournissaient les prothèses. Il est resté comme élément de base dans l’information sur les prothèses mammaires.

En dehors de cette version la plus favorable et, heureusement, la plus fréquente, il existe des situations où l’on devra changer rapidement les prothèses mammaires. C’est le cas, par exemple, d’une rupture spontanée de prothèses mammaires  pré-remplies de sérum physiologique ou de l’apparition précoce d’une coque péri-prothétique. Rappelons, pour finir, que l’on change les prothèses mammaires parce qu’il s’agit d’un produit « fabriqué » et qu’il subit l’usure comme n’importe quel produit manufacturé. En cas de rupture, c’est le contenu de la prothèse qui influencera la notion d’urgence voire de risque. Si le contenu est du sérum physiologique, le risque est quasiment nul ; il n’y aura donc aucune urgence. Si le contenu est du gel de silicone, il conviendra de procéder plus rapidement au changement de la prothèse rompue pour éviter une fuite du gel de silicone. Notons, cependant, que le gel reste quand même contenu dans la loge péri-prothétique au début et que le gel, fourni aujourd’hui par les fabricants, est du gel de haute cohésivité. En effet, les laboratoires proposent de plus en plus des prothèses qui contiennent ce type de gel de silicone. Ce gel très cohésif « transpire » beaucoup moins à travers l’enveloppe. Il a l’aspect du chewing-gum ; en cas de rupture de la prothèse, le gel reste compact et ne coule pas. Le risque de fuite à distance est donc, en théorie, moindre.   

CHANGEMENT DES PROTHESES MAMMAIRES, EN PRATIQUE

            Habituellement, la patiente demande un changement des prothèses mammaires au bout d’une dizaine d’années environ. Il existe différentes situations qui tiennent plus à l’évolution morphologique de la patiente et au changement anatomique du sein. Nous allons essayer de simplifier en vous présentant des cas de notre pratique clinique quotidienne. Le choix du contenu de la prothèse (sérum ou gel de silicone), lors de ce changement, appartient à la patiente et au chirurgien en fonction de nombreux critères que nous ne discuterons pas dans cet article.

  1.  Changement de prothèses mammaires « standard » après dix années sans modification anatomique du sein:

Il existe dans cette version fréquente et habituelle deux types de demandes : soit la patiente n’a pas changé de morphologie et elle désire un volume de prothèse mammaire identique, soit elle a pris un peu de poids et elle souhaite une augmentation légère du volume des prothèses lors de ce changement. Dans les deux cas, nous privilégierons le changement par la même voie d’abord et nous ne changerons pas de loge. Nous utiliserons la même cicatrice pour enlever la prothèse et nous mettrons la nouvelle prothèse au même endroit.

Si le volume est identique, l’intervention est relativement simple et rapide. Si la patiente désire un volume un peu plus gros, il faudra agrandir la loge de l’ancienne prothèse pour avoir un peu plus de place. Le résultat esthétique est généralement identique hormis l’augmentation de volume le cas échéant. L’aspect peut parfois être amélioré quand on remplace les prothèses pré-remplies de sérum physiologique qui peuvent faire des plis par des prothèses remplies de gel de silicone qui seront un peu plus fermes.

  1. Changement de prothèses mammaires « standard » après dix années avec  ptose mammaire plus ou moins prononcée:

Il s’agit également d’une situation très habituelle où la patiente revient pour un changement de ses prothèses après quelques années en ayant eu des enfants (avec ou sans allaitement) ou présentant une ptose mammaire. C’est le cas typique de la femme d’une trentaine d’années qui a eu deux grossesses et qui présente une ptose mammaire post-gravidique. Rappelons qu’il s’agit d’une évolution normale du sein et que la ptose s’inscrit dans un processus de relâchement des tissus classique après un amaigrissement important ou un allaitement par fonte de la glande mammaire et/ou de la graisse du sein. La peau du sein étant peu élastique, il s’ensuit une chute c’est-à-dire une ptose mammaire.

Si la patiente avait des prothèses mammaires placées devant le muscle c’est-à-dire directement derrière la glande mammaire, on aurait pu espérer que la prothèse accompagne la chute du sein lors de la ptose. Dans ce cas, la forme du sein reste « normal » bien que ptosé. A contrario, si la prothèse mammaire avait été placée derrière le muscle, la présence de la ptose donnera un aspect « anormal » du sein dit « en double bosse » de profil [photo1].

Evolution PTH+Ptose sur 10 ans

 

Photographie 1 : Evolution du sein dans le temps avec une prothèse mammaire rétro-pectorale et l’apparition d’une ptose secondaire post-gravidique: a) Photographie avant la mise en place de la prothèse il y a 12 ans. b) Photographie un mois après la mise en place de la prothèse par voie axillaire et derrière le muscle. c) Photographie du sein 5 ans après. d) Photographie du sein après 12 ans et après deux grossesses. Notons l’aspect en double bosse du sein de profil.  La « bosse » supérieure correspond à la prothèse rétro-musculaire qui est restée haute et la « bosse » inférieure correspond au sein qui a chuté avec le relâchement des tissus.

Il existe donc dans le cas d’un changement de prothèse avec ptose mammaire associée quatre propositions thérapeutiques :

A . Si la prothèse mammaire initiale est rétro-musculaire :

Il existe deux situations :

° Prothèse rétro-musculaire + ptose modérée :

Dans ce cas, il faudra simplement changer de loge et faire passer la prothèse devant le muscle pour qu’elle remplisse bien le sein vidé. Attention, le remplissage du sein ne fera pas « monter » le sein ! On ne peut pas faire croire que le changement de loge traitera la ptose mammaire associée même si le fait de remplir ce sein donnera l’impression qu’il est un peu plus haut. Le changement de loge peut se faire par la reprise de la voie initiale axillaire ou par voie aréolaire si la première voie d’abord était axillaire [Photographie 2].

 

 PTH avant après Chgt loge profil g.jpg

 

 Photographie 2 : Patiente présentant une ptose mammaire post-gravidique sur des prothèses mammaires anciennes rétro-pectorales. a/ Photographie de profil avant le changement des prothèses. b/ Photographie après le changement de prothèses. Par voie aréolaire, nous avons abordé l’ancienne loge rétro-musculaire et nous avons explanté les anciennes prothèses. Nous nous avons créé une nouvelle loge devant  le muscle pour y implanter les nouvelles prothèses.

° Prothèse rétro-musculaire + ptose importante:

Dans ce cas, nous raisonnons comme pour une simple plastie mammaire pour ptose mais nous remplaçons la prothèse en fin d’intervention. Le volume de la prothèse peut être augmenté si la patiente le désire et/ou en fonction de sa prise de poids avec l’âge. On peut laisser la prothèse dans la même loge ou la mettre devant le muscle en fonction de l’anatomie de la région mammaire. Dans ce cas de figure, on ne repasse pas par la voie d’abord initiale puisque nous avons une grande voie d’abord procurée par la plastie mammaire.

 

B. Si la prothèse mammaire initiale est pré-musculaire:

Il existe également deux situations :

° Prothèse pré-musculaire + ptose modérée :

Dans ce cas, le raisonnement est simple : changement simple de la prothèse par la voie initiale et petite augmentation du volume si la patiente le désire pour rendre le sein un peu plus tonique c’est-à-dire pour compenser la perte apparente de remplissage (secondaire à la ptose) par un volume plus conséquent. La voie d’abord peut être identique.

° Prothèse pré-musculaire + ptose importante:

Ici également, nous raisonnons comme pour une simple plastie mammaire pour ptose et nous remplaçons la prothèse en fin d’intervention. Le volume de la prothèse peut être augmenté si la patiente le désire et/ou en fonction de sa prise de poids avec l’âge. On peut laisser la prothèse dans la même loge.

 

  1. Changement de prothèses mammaires  « non standard » :Il existe plusieurs situations qui sortent du cadre classique du changement des prothèses mammaires après une dizaine d’années sans problèmes particuliers. Nous allons vous proposer les situations fréquemment observées :
  1. Changement des prothèses mammaires après une rupture :

Il existe deux conduites à tenir en fonction du contenu :

° Rupture spontanée d’une prothèse contenant du sérum physiologique :

Il s’agit probablement de l’incident notable le plus fréquemment rencontré avec les prothèses remplies de sérum physiologique [Photographie 3]. Sans cause apparente, la patiente constate une baisse du volume d’une des deux prothèses mammaires. Il n’y a aucun autre signe clinique associé hormis l’anxiété produite par cette brutale modification de la plastie des seins. Le sérum physiologique n’ayant aucune incidence physiologique, il y a lieu de rassurer la patiente et de procéder aux changements des deux prothèses dans la plus grande sérénité. Il faut néanmoins répondre à trois interrogations : quand ?, faut-il changer une ou les deux ? et avec quel contenu ?

      1. Quand ?: Aucune urgence mais le plus rapidement possible pour éviter à la patiente de rester avec cette asymétrie mammaire importante.
      2. Faut-il changer la prothèse rompue ou les deux ?: Logiquement, nous proposons de changer les deux prothèses pour avoir un résultat esthétique symétrique et une évolution similaire dans le temps. Toutefois, et en cas de rupture précoce après l’implantation, nous pourrions envisager le remplacement de la seule prothèse endommagée.
      3. Choix du contenu de la prothèse lors du changement ?: Il n’existe pas, ici, de règle précise lors du changement. La patiente peut vouloir remettre une prothèse en sérum mais après une information encore plus éclairée sur le risque de dégonflement. Généralement, et pour éviter la récidive de l’incident, la patiente préfère choisir un remplacement par des prothèses pré-remplies de gel de silicone qui ont quand même la réputation d’être plus fiable face au risque de rupture.

 

 Dégonflement Prothèse av et après

  Photographie 3 : Patiente présentant un dégonflement spontané de la prothèse mammaire gauche pré-remplie de sérum physiologique. a/ Les photographies en haut présentent la patiente de face et de profil avec le dégonflement de sa prothèse gauche. b/ Les photographies en bas présentent la même patiente 2 ans après le remplacement des deux côtés par des prothèses mammaires pré-remplies de gel de silicone.

° Rupture d’une prothèse contenant du gel de silicone:

Ici, l’environnement est différent. La rupture est rarement spontanée et isolée. Le diagnostic est confirmé par l’échographie voire la mammographie. Dans certains cas, une résonnance magnétique nucléaire (IRM) peut être demandée pour apprécier l’extension de la fuite dans les tissus. L’indication ne se discute pas ; il faut changer la prothèse concernée et généralement avec une prothèse identique. Devant une rupture récente, nous changeons seulement la prothèse rompue. Si les prothèses sont anciennes, nous pouvons profiter de l’intervention pour changer les deux prothèses mammaires.

La principale interrogation concerne la voie d’abord que l’on devra utiliser pour procéder au changement de la prothèse rompue. Il faut une voie d’abord facile et large pour pouvoir enlever le maximum de gel et nettoyer la loge prothétique. Quand la voie d’abord initiale est axillaire, nous proposons une voie aréolaire pour ce changement voire sous-mammaire dans certains cas qui peuvent se révéler plus compliqué.   

  1. Changement d’une prothèse mammaire pour coque :

Quand on introduit une prothèse à l’intérieur du sein, il apparaît de manière physiologique une enveloppe autour de cette prothèse. On parle d’enveloppe péri-prothétique. C’est normal mais quand cette enveloppe se « durcit », on parle de coque. Il existe différents stades donnant un aspect plus ou moins figé aux seins (et parfois, plus ou moins douloureux). Pour éviter l’apparition de coque, les chirurgiens ont imaginé différents moyens comme la mise en place des prothèses derrière le muscle. Ils voulaient obtenir un « effet » massage plus ou moins permanent des prothèses par les contractions musculaires. Le passage du plan pré au plan rétro-musculaire a fait reculer le taux de coques. Aujourd’hui, ce taux de coque est inférieur à 2% et on observe quasiment plus de stade important comme on le voyait avant. Une des raisons de cette bonne évolution reste surtout l’amélioration technique des prothèses notamment au niveau de la conception des enveloppes et de la composition du gel pour celles qui contiennent du gel de silicone. Les laboratoires proposent en effet de plus en plus des prothèses qui contiennent du gel de silicone de très haute cohésivité. Ce gel très cohésif « transpire » beaucoup moins à travers l’enveloppe. Il ressemble à du chewing-gum : si on coupe la prothèse en deux avec un bistouri, le gel reste compact et ne coule pas.

Dans notre pratique, nous rencontrons encore des patientes porteuses de prothèses anciennes avec des coques plus ou moins importantes et qui désirent un changement. Dans ces cas, le changement des prothèses s’accompagne surtout d’une prise en charge de la coque. Nous pourrions faire un article complet sur la prise en charge des coques péri-prothétiques tant le sujet est vaste et compliqué. Pour simplifier nous n’allons évoquer que les situations classiques et fréquemment rencontrées.

            a/ Patiente désirant un changement des prothèses et ayant des coques modérées. Habituellement,  la patiente ne désire pas quelque chose de compliqué et elle ne se plaint pas trop de l’aspect un peu rigide des seins. Nous proposons de rester simple :

. Abord de la loge prothétique par voie aréolaire,

. Explantation de l’ancienne prothèse et lavage de la loge,

. « Coquotomie », c’est-à-dire une ouverture de la loge au niveau de  la région équatoriale pour l’agrandir,

. Mise en place d’une prothèse de taille identique voire légèrement plus petite.

b/ Patiente désirant un changement avec des coques très rigides et voulant une amélioration esthétique des seins [Photographie 4]. Nous proposons :

. Abord de la loge par incision péri-aréolaire,

. Explantation plus ou moins associée avec une coquectomie (ablation complète de la coque) en fonction de l’importance des calcifications,

. Création d’une nouvelle loge en pré-pectorale,

. Plastie mammaire pour enlever l’excédent de peau (soit par péri-aréolaire, soit par plastie mammaire classique),

. Mise en place d’une prothèse de taille identique.

  Changement PTH après coque

 

 Photographie 4 : Patiente présentant une coque péri-prothètique importante et désirant un changement des prothèses mais sans cicatrices visibles. a/ Les photographies en haut présentent la patiente de face et de profil avec les coques. b/ Les photographies du centre  montrent  la même patiente après le changement des prothèses et le traitement des coques. c/ Les photographies du bas résument le résultat post-opératoire au bout d’un an.

 

  1. Changement des prothèses mammaires dans le cadre de l’affaire PIP :Nous vous renvoyons au site spécifique de la Société Française de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique : https://www.informations-patientes-pip.frL’affaire étant très sérieuse, notre société scientifique a immédiatement réagit pour rassurer, informer et orienter les patientes concernées. Elle a fait un site internet spécifique qui leur est dédié.

 

CONCLUSION, en pratique.

Le changement d’une prothèse mammaire au cours du temps est une évidence. Nous proposons de la changer tous les dix années environ. Le changement est un acte qui reste toujours positif. Qu’il soit programmé dans le cadre du suivi normal d’une patiente porteuse d’implant ou fortuit après un incident sur une prothèse mammaire, il permet d’apporter « un plus » à la patiente. Dans le cadre du changement prévu au bout d’une dizaine d’année, ce changement permet de répondre aux modifications nouvelles du corps ou de la forme des seins. Il n’est pas rare qu’à cette occasion, la patiente demande une petite augmentation du volume pour s’harmoniser avec le poids de l’âge ou un geste complémentaire pour améliorer la forme du sein. Le changement lors d’un incident (coque, rupture spontanée, etc) est moins agréable mais l’aspect réversible dans le cas extrême, la diversité des solutions apportées et les suites post-opératoires généralement plus faciles rendent ce changement bien accepté par la majorité des patientes.

Etablir un protocole précis pour le changement des prothèses mammaires semble difficile au vue de la grande variété des situations observées. Cependant, nous pouvons opposer la facilité du changement standard des prothèses au bout d’une dizaine d’années quand tout se déroule  normalement aux situations hétéroclites lors d’un incident.

Retenons pour résumer :

      • que le changement des prothèses mammaires est facile au bout d’une dizaine d’années quand le suivi s’est déroulé normalement,
      • qu’un changement est toujours possible quand un incident survient,
      • qu’une solution peut toujours être proposée dans les cas difficiles,

et que, dans les cas extrême, il s’agit d’une intervention réversible puisque l’on peut enlever définitivement les prothèses.

PK

Rhinoplastie Ethnique

RHINOPLASTIE ETHNIQUE

Quand l’esthétique est l’ethique du dehors

Docteur Patrick Knipper / www.knipper.fr

La rhinoplastie ethnique appartient à ces sujets frontières entre la chirurgie, l’esthétique, l’éthique, la sociologie et l’anthropologie. Déjà dans l’approche esthétique de la rhinoplastie se pose la question des limites voire de la finalité thérapeutique de l’acte de chirurgie. La dimension ethnique d’une rhinoplastie nous interroge sur l’éthique de l’intervention devant une demande qui reste souvent intime.

La rhinoplastie nous interroge sur l’esthétique : pourquoi veut-il changer la forme de son nez ? La rhinoplastie ethnique nous interroge sur l’éthique : est-il bien de modifier la forme de son nez ?

Nous allons essayer, dans cet article, de répondre à trois interrogations :

– la rhinoplastie est-elle fonctionnelle et/ou esthétique ?

– la rhinoplastie esthétique est-elle thérapeutique ?

– la rhinoplastie ethnique peut-elle être éthique ?

Nous vous présenterons, pour finir et selon notre expérience, les demandes de rhinoplasties ethniques dans notre pratique quotidienne à Paris.

1 / rhinoplastie : fonction et/ou esthétique ?

La rhinoplastie, comme son nom l’indique, est une plastie du nez. Mais de quel nez parlons-nous ? Il y a le nez du dedans et le nez du dehors.

Le nez du dedans est avant tout un organe fonctionnel doté de plusieurs fonctions: passage de l’air, filtration, réchauffement de l’air inspiré et perception des odeurs. C’est un véritable organe. L’intervention sur cette fonction sera qualifiée de fonctionnelle. Elle vise généralement à rétablir une ou plusieurs altérations du nez comme, par exemple, la correction d’une déviation de la cloison nasale qui entrave la respiration. On parlera alors de septoplastie. En aucun cas, nous ne pourrions qualifier d’esthétique cette version de la rhinoplastie. Et encore ! Une septo-rhinoplastie qui reconstruit la fonction nasale après un accident ou une grosse déformation de la pyramide nasale peut intervenir sur la forme extérieure du nez en modifiant la forme des os et avoir par conséquent une dimension esthétique. Il s’agit d’un cas précis où l’esthétique peut être associée au fonctionnel en toute harmonie. Les deux convergent dans le même sens : je rectifie le nez pour que le patient respire mieux et, en même temps, je fais un nez plus joli puisqu’il sera plus droit. On ne peut parler de fonction esthétique comme pour une intervention sur la main mais les termes « fonction » et « esthétique » sont ici indissociables.

Le nez du dehors supporte la dimension plastique du nez. Sa modification a un retentissement sur l’esthétique puisqu’elle modifie sa forme. On parle de rhinoplastie. Ici, le changement esthétique du nez touche l’extérieur du nez et ne modifie pas en théorie la respiration. La finalité du geste chirurgical est simplement esthétique et non fonctionnelle au sens propre du terme. En revanche nous pourrions évoquer ici pour la rhinoplastie, et par analogie, la notion de « fonction esthétique » décrite par le Dr R Vilain et que les chirurgiens de la main connaissent bien. Nous pourrions comparer le nez du dehors à la face dorsale de la main. Cette face dorsale de la main est la face sociale. C’est elle que l’on voit. Une lésion du dos de la main est visible et une altération de cette face aura un fort retentissement social. C’est la même chose pour le nez. Le nez du dehors est la face sociale du nez. Ne dit-on pas « comme une nez au milieu de la figure ». Toute atteinte, toute lésion, toute disgrâce sera visible et elle aura un fort retentissement sur la vie quotidienne. Il suffit d’avoir rencontré une jeune femme dotée d’un très fort appendice nasal et souffrant vraiment de cette défaveur. Il suffit simplement, et sans faire trop de philosophie, d’observer une souffrance réelle d’un patient et de le voir heureux après une simple intervention chirurgicale correctrice que la finalité de cette correction soit fonctionnelle ou esthétique. Je ne parle pas de la demande frivole d’une demande esthétique superflue qui sort de notre champ d’action de médecin qui soigne !

Sur cette conception de fonction esthétique de la rhinoplastie, nous pensons sincèrement que la rhinoplastie peut être fonctionnelle, esthétique et/ou les deux à la fois. Surtout, nous croyons à la fonction esthétique de la rhinoplastie comme nous avons cru à la fonction esthétique dans la chirurgie de la main. Pour qu’un patient utilise normalement sa main reconstruite après un accident il faut que cette main soit également présentable pour ne pas dire normale voire belle. C’est la même chose pour la rhinoplastie ; pour qu’un patient soit (ou se sente) guérit après une rhinoplastie (même dans le cadre d’une rhinoplastie fonctionnelle) il faut que le résultat soit beau pour qu’il puisse présenter son visage à l’autre sans embarras. C’est cela la fonction esthétique : rendre utile une fonction par une esthétique retrouvée.

2 / La rhinoplastie esthétique est-elle thérapeutique ?

Le débat aujourd’hui sur la dimension thérapeutique de la chirurgie esthétique est actualisé par la mise en place d’une TVA sur les actes de chirurgie esthétique. Cela concerne également la rhinoplastie esthétique. Cette TVA est imposée parce que les actes de chirurgie esthétique ne seraient pas thérapeutiques. Dans notre pays, un acte est thérapeutique s’il est pris en charge par la sécurité sociale ! Donc, le seul critère pour qu’un acte chirurgical soit thérapeutique est le fait d’être pris en charge ou non par la caisse primaire d’assurance maladie. Je vous vois sourire ! Moi, je pleure… pour la médecine, pour nos maîtres anciens et pour les patients…

Nous avons donc à démontrer qu’une rhinoplastie esthétique peut être thérapeutique. Pour cela, nous préférons inverser les rôles.

En effet, aujourd’hui, être « thérapeutique » ou pas est décidée par l’acteur payeur : la caisse primaire d’assurance maladie. Cela est compréhensible puisque celui qui « paye » (la CPAM) veut savoir pourquoi il paye et son intérêt (plus ou moins avoué) est de payer le moins possible. Donc pourquoi rembourser un acte de chirurgie qui semble superflu et non vital pour celui qui ne se sent pas concerné ou qui n’a jamais connu ce genre de souffrance ? Il convient alors de le qualifier de non thérapeutique pour l’exclure de la prise en charge. Au passage, rappelons qu’il s’agit quand même d’un mauvais payeur puisque les honoraires chirurgicaux que la caisse primaire verse au chirurgien pour une intervention n’ont pas augmenté depuis 25 ans. Imaginez une autre profession en France où les salaires n’auraient pas évolué depuis autant d’années !

Le médecin se permet lui aussi de qualifier un acte de thérapeutique ou pas en fonction de son vécu, de son expérience, de sa propre formation ou tout simplement de son émotion. Cela est compréhensible puisque celui qui soigne veut savoir ce qu’il fait et, naturellement, il essaye de justifier son acte par une finalité qu’il voudrait thérapeutique. Autant nous pardonnons les fonctionnaires de la CPAM parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, autant l’appréciation de la part de certains de nos collègues médecins semble surprenante. En effet, dans beaucoup d’autres spécialités, médicales et chirurgicales, tous les actes sont qualifiés de thérapeutiques alors que la vraie finalité de certains actes reste parfois à définir. Par exemple, un médecin généraliste qui renouvelle une ordonnance en cinq minutes et qui facture une consultation fait un acte thérapeutique puisqu’elle est pris en charge par la sécurité sociale… Un praticien qui reçoit un patient pour simplement l’écouter et le rassurer facture une consultation ; elle est thérapeutique puisqu’elle est prise en charge par la sécurité sociale. Un orthopédiste qui met une prothèse de hanche à une personne âgée qui ne fait plus que quelques mètres dans sa chambre fait un acte thérapeutique puisque c’est pris en charge par la sécurité sociale… Un urologue qui, au cours d’une cystoscopie (regarde dans la vessie avec une caméra) fait systématiquement une biopsie (prélève un petit bout de muqueuse) réalise un acte thérapeutique puisque cela est pris en charge par la sécurité sociale… Nous pourrions citer des centaines d’autres exemples où la finalité thérapeutique réelle de l’acte médical pratiqué serait à discuter… On voit bien que si l’on devait remettre en question les indications dans notre profession médicale, cela permettrait de modérer le mépris que certains professionnels observent à l’encontre de la chirurgie esthétique. Nous sommes sincèrement convaincus que certaines rhinoplasties esthétiques peuvent avoir plus d’effets bénéfiques et thérapeutiques que certaines prescriptions médicamenteuses ou que certains actes de chirurgie dans beaucoup d’autres spécialités. Nous ne sommes pas persuadés, par exemple, que toutes les prothèses du genou posées en France aient toute eu un vrai effet thérapeutique et pourtant elles sont prises en charge par la CPAM. A l’opposé, nous n’adhérons pas au concept de la femme poisson (lèvre exubérante), trop liftée (yeux de chat), et parfois luisante (brulée par le laser) ou de la « Bimbo » que l’on observe sur certains plateaux télévisés… Mais nous sommes toujours surpris, chaque fois que la chirurgie esthétique est évoquée, que l’on parle toujours de ces 10 % de patients dysmorphopathes et jamais des 90 % de patients normaux qui font une demande cohérente et qui présente un résultat harmonieux. Quand on parle de chirurgie en général, on n’évoque pas systématiquement le fait que 10 % des patients sortent de l’hôpital avec une infection nosocomiale ! Mais ça, c’est normal !

Nous proposons, donc, de ne pas remettre en cause les indications d’un acte médical, qu’il soit qualifié de thérapeutique ou non, mais nous proposons d’aborder la problématique avec le point de vue du patient. C’est pour nous la solution. Aujourd’hui, notre médecine est extraordinaire mais elle exclue trop souvent le patient de sa démarche thérapeutique. La médecine dite moderne a suivi la « mécanisation » du corps engendrée par Descartes. L’effet positif a été d’appréhender le corps par plusieurs petits bouts permettant d’affiner l’anatomie de chaque partie, d’améliorer la connaissance des différentes fonctions et de traiter plus précisément une pathologie spécifique. Nous en bénéficions tous quotidiennement. En effet, quand on a un problème de respiration, on désire être pris en charge par « le spécialiste » de la respiration et si une intervention chirurgicale est programmée, notre souhait est d’être opéré par le « top » chirurgien spécialiste du nez. A ce moment-là, le concept de prise en charge globale du patient semble secondaire; le plus important pour le patient étant passagèrement d’être pris en charge par le meilleur spécialiste de la rhinoplastie. D’un autre côté, le fait de « saucissonner » le corps pour mieux le soigner nous a fait oublier le patient dans sa globalité. La médecine d’aujourd’hui ne prend plus en charge le patient en totalité. De surcroit, elle lui arrive de soustraire au patient sa maladie, sa douleur, son traitement et parfois le choix de son traitement. Il est vrai que, récemment, on revient sur une prise en charge plus complète et que l’on accorde de plus en plus d’importance au patient. Il est vrai que l’information du patient est redevenue à la mode mais informer ne signifie pas obligatoirement partager ! Tout cela pour dire que malgré les efforts fournis, la demande du patient n’est pas souvent prise en considération. Dans le propos qui nous occupe dans cet article, la finalité de l’intervention n’est pas considérée. La vraie finalité d’une demande chirurgicale n’intervient pas dans le processus thérapeutique. Seul le médecin ou la CPAM décide de la finalité d’une intervention. Le médecin décide si la finalité est esthétique ou réparatrice et la CPAM décide si le but d’un acte médical est thérapeutique ou non ! Hors, en réalité, seul le patient sent si sa demande est thérapeutique ou non et si son intervention a une finalité esthétique ou pas ! Voici deux exemples précis qui expliciteront ce propos :

– 1) Concernant le choix du patient : dans le « syndrome de glissement », le patient a décidé de ne pas guérir, de ne plus lutter contre la maladie ; il se laisse mourir et tout acharnement thérapeutique restera inefficace. C’est le patient qui décide…

– 2) Concernant la finalité esthétique : dans la reconstruction mammaire, quand une patiente a été opéré d’un cancer du sein et qu’elle procède à une reconstruction de son sein amputé, quelle est la finalité de sa demande : esthétique ou réparatrice ? La réalité est que la patiente désire au plus profond d’elle retrouver son sein d’avant c’est-à-dire un sein normal voire beau. On entend trop souvent ces patientes nous dire : « docteur, faite-moi un beau sein ! » Mais le chirurgien plasticien sait qu’en faisant un sein esthétique il répare quelque chose chez cette patiente amputée ; la chirurgie plastique c’est aussi reconstruire l’esthétique. L’esthétique est reconstructrice et, donc, thérapeutique que la sécu le veuille ou non ! Ceux ne sont pas des fonctionnaires d’un ministère quelconque qui décideront si un acte médical est thérapeutique ou pas et s’il a une finalité esthétique ou pas. Seul le patient sait ce qu’il veut et ce que l’acte médical a produit chez lui. D’ailleurs, c’est un peu cela « le soin » : apporter au patient ce qu’il veut, ce qui lui fait du bien…

 

Pour conclure sur ce chapitre, nous dirons que la chirurgie esthétique est thérapeutique car elle apporte un soin au patient et que ce n’est pas à nous de décider ce qui est un soin ou ce qui est thérapeutique pour le patient. Le problème de la TVA doit être dissocié des doctrines de la caisse primaire d’assurance maladie. Mettre une TVA sur un acte soin parce qu’il n’est pas thérapeutique relève d’un choix de société. Mais dire qu’un acte n’est pas thérapeutique parce qu’il n’est pas prise en charge par la caisse primaire d’assurance maladie est inacceptable pour le patient et pour les médecins qui soignent….

3 / la rhinoplastie ethnique peut-elle etre ethique ?

Cette question appelle immédiatement deux précisions: qu’est-ce qu’une rhinoplastie ethnique et qu’est-ce l’éthique en chirurgie esthétique ?

1- Rhinoplastie ethnique :

Suivant les origines, on observe certaines caractéristiques morphologiques du nez. On parle de caractéristiques ethniques. En fait, le terme « ethnique » reste impropre puisque la morphologie particulière ne fait pas référence à une ethnie au sens propre du terme mais à une origine. Pour être didactique ici, nous dirons « d’origine africaine » mais là aussi les choses ne sont pas simples. En effet, l’Afrique est grande et il existe une grande différence entre un nez soudanais et un nez congolais ! Pour résumer, nous emploierons les expressions « d’origine » ou « de type » africain, asiatique, maghrébine et caucasienne parce que la morphologie du nez présente quand même une certaine spécificité dans chaque cas…

La vraie finalité de toute thérapeutique doit être la guérison du patient et, cela, même en chirurgie esthétique. Mais qu’en est-il de la vraie guérison du patient ? La chirurgie esthétique peut-elle suffire pour guérir une « maladie » ? Au fil des années et après être intervenus sur des centaines de patients d’origines diverses et dans différents pays, nous avons appris à voir le patient différemment en fonction de sa culture, de ses origines voire de son ethnie. En mission chirurgicale à l’étranger, nous avons appris que le concept du mot « guérir » ne nous appartenait pas et, surtout, que nous ne le comprenions pas toujours. Nous avons appris à prendre en charge le patient dans sa totalité. Le chirurgien plasticien traite la partie visible de la maladie et les thérapeutes locaux s’occupent du « corps invisible ».

En France, les choses sont identiques. Nous avons appris à traiter le patient dans sa globalité. Nous opérons sur le corps visible (rhinoplastie) mais nous essayons avant tout de comprendre la partie invisible de la demande. Nous avons appris à traiter cette partie invisible avec les thérapeutes locaux quand nous sommes dans le pays d’origine et nous travaillons avec les ethno-psychiatres quand nous sommes en France. Nous travaillons ensemble. Le patient sera « guérit » quand l’ensemble sera traité. Nous pensons qu’un patient demandeur d’une rhinoplastie ethnique devrait être pris en charge en fonction de ses origines et de sa culture. Nous définissons ainsi le concept d’ethno-chirurgie ou celui de chirurgie ethnique qui reste fondamental dans notre spécialité et notamment face à la demande d’une rhinoplastie. Opérer le nez du dehors ne suffit pas à résoudre la demande du dedans c’est-à-dire celle que le patient ne formule pas toujours précisément. La chirurgie esthétique harmonise la forme du nez mais l’ethno-chirurgie explique pourquoi le patient veut modifier ce nez. On en revient à la vraie finalité de l’acte thérapeutique et à la question fondamentale que tout plasticien devrait se poser avant de faire une rhinoplastie ethnique : Pourquoi ? Pourquoi veut-il modifier son nez du dehors ? Cette demande de modification s’intègre-t-elle dans une simple demande de rectification d’un nez disharmonieux ou veut-elle résoudre un malaise plus profond ? Pour être plus clair, une femme africaine au visage assez fin mais dotée d’un nez très épaté avec de très grosses narines disgracieuses bénéficiera favorablement d’une réduction des ailes de son nez pour harmoniser son visage. Il n’y a pas de problème ethnique derrière cette demande. A l’opposé, un problème d’intégration chez un Nord-Africain ne pourra pas être résolu par l’ablation d’une bosse sur un gros nez au profil chaotique. Ici, l’histoire du patient est fondamentale.

2- L’éthique en chirurgie esthétique :

Si « l’éthique, c’est l’esthétique du dedans » (Pierre Reverdy [1]), nous pensons que l’esthétique c’est l’éthique du dehors !

En effet, l’éthique en général essaye de répondre à une question fondamentale: comment faire au mieux ? Pour un médecin, le mieux est de guérir son patient. Si une intervention « soigne » un patient, on peut dire que cette intervention est éthique puisqu’elle a répondu au principe de « faire au mieux ». Si une intervention de chirurgie esthétique « soigne » un patient, on peut dire que cette intervention est éthique puisqu’elle a répondu au principe de « faire au mieux ». Si ce soin entre dans le cadre d’une demande ethnique, elle est éthique si elle essaye de faire au mieux c’est-à-dire qu’elle essaye de soigner le patient avec sa différence.

La notion de « dehors » fait référence à trois choses :

– l’idée du « dehors » rappelle, à propos de la rhinoplastie, « le nez du dehors » évoqué précédemment c’est-à-dire celui que l’on voit, que l’on présente. N’est-ce pas aussi cela une des finalités de la chirurgie esthétique : présenter son dehors ?

– la notion de « dehors » évoque aussi « en dehors » c’est-à-dire en dehors de ses croyances, de ses idées reçues et ses principes de thérapeute occidental.

– Le concept « en dehors » appelle, enfin, à regarder dehors c’est-à-dire l’autre… le patient est l’autre, il peut être vu autrement, et respecté selon ses habitudes thérapeutiques, ses référents culturels, etc…

 

Nous pensons même que toute action, toute création qui n’aurait pas une finalité esthétique ne devrait pas être éthique. Est-ce qu’un architecte fait sa construction pour qu’elle ne soit pas belle ? Est-ce qu’un chirurgien fait une suture pour qu’elle ne soit pas belle ? Est-ce que dans votre quotidien vous faites les choses pour que ce soit vilain ? C’est ainsi que nous avons imaginé le concept de « chirurgie esthéthique ». Cette idée propose d’associer les notions d’esthétique et d’éthique dans la chirurgie plastique mais cela sera développé dans un autre article.

 

En conclusion, la rhinoplastie ethnique peut être éthique si elle adhère au concept de l’éthique à savoir faire au mieux pour soigner le patient. Soigner un patient d’une culture différente, c’est respecter ses croyances, sa culture et sa façon de se soigner avec ses référents qui peuvent être différents du médecin. La rhinoplastie est une chirurgie du dehors ; il faut comprendre ce que veut « montrer » le patient. La rhinoplastie ethnique fait référence à une rhinoplastie qui modifie un caractère ethnique du nez ; il faut comprendre pourquoi le patient veut changer ce caractère spécifique. Ce changement ne doit pas être systématiquement rejeté au nom d’un quelconque principe d’ethnocentrisme. Il appartient au patient de choisir :

– Si un patient d’origine africaine trouve que son nez a des narines trop larges, que cela ne va pas avec son visage et que le chirurgien adhère au projet chirurgical : la rhinoplastie ethnique est justifiée.

– Si un patient de type asiatique présente un mal être voire des problèmes d’intégration et qu’il croit que la modification de son nez (ou l’européanisation de son regard) améliorera sa condition: la rhinoplastie ethnique ne sera pas éthique.

 

4 / la rhinoplastie ethnique dans notre pratique quotidienne.

La demande de rhinoplastie ethnique est particulière à Paris. En effet, chaque pays, chaque ville, chaque chirurgien reçoit et perçoit des demandes différentes de rhinoplastie. A Paris, la demande de rhinoplastie ethnique peut se résumer en trois demandes assez classiques :

– Le patient d’origine africaine qui demande une rhinoplastie pour affiner le nez dans son ensemble et pour réduire la taille des narines.

– Le patient d’origine asiatique qui demande la correction d’une ensellure nasale et parfois une réduction de la taille des ailes du nez.

– Le patient de type maghrébin qui demande une réduction de la bosse de son nez.

 

A / Patient d’origine africaine [Photographies 1] :

La correction d’un nez de type Africain demande, en général, une rhinoplastie complète :

°de face : réduction de la largeur du nez par des ostéotomies, affinement de la pointe du nez par un gros travail de réduction des cartilages alaires voire d’affinement des tissus sous cutanés.

°de profil : élévation de l’arête nasale (pour réduire une légère ensellure) par une greffe cartilagineuse ou osseuse et ouverture de l’angle naso-labiale (pour relever la pointe du nez) par la pose d’un étai columellaire (greffe osseuse).

°plastie des ailes du nez : la réduction des ailes du nez se fait de deux façons :

– Soit par une réduction intra-narinaire permettant de placer la cicatrice à l’intérieur du seuil de la narine. La cicatrice est ainsi invisible mais la réduction est limitée.

– Soit par une réduction transfixiante de l’aile du nez permettant de placer la cicatrice dans le sillon naso-génien. La cicatrice peut être ici plus visible mais la réduction est efficace.

 

According my experience (cela veut dire que je n’engage que moi à travers ma modeste expérience sur le sujet) :

On arrive rarement à satisfaire entièrement ces patients car, les tissus étant épais, l’affinement du nez reste modéré. De surcroit, une européanisation trop importante du nez déséquilibra le visage. C’est pour cela que l’on reste en général tempéré dans la modification du nez (pour éviter le syndrome Mickael Jackson) mais cela ne plait pas toujours au patient. Il convient de bien définir les objectifs avant l’intervention et d’expliquer surtout les limites de ce genre de chirurgie.

 

B / Patient d’origine asiatique :

 

La correction du nez asiatique semble un peu plus simple car les tissus sont moins épais et la demande de modification plus modérée. La demande est généralement focalisée sur la correction d’une ensellure nasale (nez trop écrasé) plus ou moins associée à un relèvement de la pointe du nez et sur la réduction des ailes des narines.

– La réduction des ailes du nez s’effectue selon les mêmes principes que précédemment.

– Pour corriger l’ensellure, on peut utiliser des greffes cartilagineuses superposées ou osseuses selon l’importance de l’élévation désirée. Nous avons trouvé un bon compromis avec l’implant siliconé en « L » de Shirakabe qui permet en un seul temps de corriger l’ensellure et d’élever la pointe du nez. Il existe différentes tailles et l’implant peut être sculpté à la demande. La mise en place est simple ainsi que son ablation en cas de problème. L’inconvénient reste le risque de déplacement secondaire de l’implant ou son infection (mais comme tout implant).

 

According my experience :

 

L’implant de Shirakabe a l’avantage d’être une intervention simple qui joue le rôle d’implant dorsal et d’étai columellaire en même temps. Il peut exister néanmoins des problèmes de positionnement de sa base sur la région de l’épine nasale (luxation du pied de l’implant). Son ablation en cas de problème est facile et un retour à l’état antérieur aisément retrouvé. C’est pour cela qu’il est notre premier choix dans cette indication avant de proposer une intervention plus lourde avec greffe osseuse par exemple.

 

C / Patient de type maghrébin [Photographies 2]:

 

La correction du nez de type maghrébin pourrait se résumer à l’ablation d’une grosse bosse ou la correction d’une importante cyphose du nez. Cette bossectomie peut être isolée ou s’intégrer dans le cadre d’une rhinoplastie plus complète. Elle ne présente pas de difficulté particulière sur le plan technique.

 

According my experience :

 

Cette rhinoplastie est généralement bien comprise et ressentie chez la femme de type maghrébin. En revanche, l’indication est plus délicate chez l’homme où les problèmes d’intégration semblent plus prononcés et/ou l’acceptation par le reste de la famille semble plus compliquée. Par exemple, les filles cachent encore beaucoup leur désir de rhinoplastie à leur entourage avant l’intervention mais l’avoue généralement après. Chez l’homme, le secret doit être préservé et l’on sent (dans le discours des patients) une gêne persistante. Je dirai, en conclusion, que la rhinoplastie chez ce type de patient ne présente aucune difficulté particulière sur le plan technique mais que l’indication doit être prudente et bien comprise surtout chez l’homme.

 

Photographies

Rhino ethnique 1

 

1 a / Résultat avant et après : vue de face

 

Rhino ethnique 2

 

1 b/ Résultat avant et après : vue de profil

 

Rhino ethnique 3

 

 

1 c/ Résultat avant et après : vue par dessous

 

Photographies 1 :

Résultats avant et après une rhinoplastie ethnique de type africain avec réduction de la largeur du nez, ouverture de l’angle naso-labial et réduction de la taille des ailes du nez.

 

 

 

Rhino ethnique 5

 

Photographies 2 :

Patiente de type maghrébin présentant une cyphose nasal importante. Photographies avant et une année après une rhinoplastie simple d’harmonisation de profil.


[1] Pierre Reverdy (1889-1960). Dictionnaire des citations françaises. Edition Larousse, 1995: page 496.

 

Chirurgie Esthéthique

 

CHIRURGIE ESTHETHIQUE,

quand l’esthétique et l’éthique ne font qu’un…

C’est au cours de nos missions dans les pays en voie de développement que nous avons imaginé le concept de chirurgie esthéthique. Cette idée propose d’associer la notion d’esthétique à l’éthique dans la chirurgie plastique.

Durant nos missions chirurgicales nous nous sommes interrogés sur l’efficacité thérapeutique de nos interventions. Nous nous sommes questionnés sur la signification que pouvait avoir une maladie dans ces pays et sur la réelle efficacité de nos interventions dans ces conditions. Nous avons interrogés les patients, les familles de patients, les médecins locaux, et les thérapeutes traditionnels, etc.

Nous démontrons, à travers notre expérience et des cas cliniques démonstratifs, que la finalité de notre action thérapeutique ne nous appartenait pas; seul le patient pourra dire s’il se sent guérit et si le résultat de l’intervention a une finalité esthétique ou réparatrice.

L’éthique essaye de répondre à une question fondamentale: comment faire au mieux ? Pour un médecin, le mieux est de guérir son patient. Si une intervention « soigne » un patient, on peut dire que cette intervention est thérapeutique. Nous démontrons que la chirurgie esthétique est thérapeutique dans nos missions et nous témoignons que la chirurgie esthétique est éthique puisqu’elle fait au mieux c’est-à-dire qu’elle soigne les patients.

En conclusion, nous avons essayé de comprendre, au cours de nos missions, la vraie finalité de nos interventions. Nous avons appris à ne pas faire de la chirurgie esthétique mais à être esthétique dans notre chirurgie et, cela, même en mission humanitaire. A travers les cas cliniques présentés, nous démontrons que seul le patient peut définir la finalité de son intervention et sa dimension thérapeutique. Nous pensons que l’esthétique et l’éthique peuvent faire qu’un et que c’est comme cela qu’elle est thérapeutique.

Chirurgie Esthétique Humanitaire

CHIRURGIE ESTHETIQUE HUMANITAIRE

 

 

« Si tu ne sais pas où tu vas, retournes- toi ;

Tu sauras, au moins, d’où tu viens »

Proverbe Africain

 

 

Le temps se vit, parfois, douloureusement dans le corps et par le corps, dans un état de nudité qu’aucun voile ne viendra masquer. Peut-on, tout au plus, espérer qu’un voile chirurgical saura rendre plus transparent ce visage détruit que le monde n’ose plus regarder. Et pourtant, cette béance faciale offre une profondeur redoutable à nos regards pleins d’humanité, à nos regards pleins d’humilité, comme si la surface des choses ne suffisait plus à dévoiler la profondeur de nos sentiments. Faut-il qu’un visage soit détruit par une maladie tropicale, comme le Noma, pour que la profondeur de notre geste redevienne esthétiquement correcte ? Faut-il que notre geste réparateur demeure la seule cicatrice de notre habileté, de notre humanité? La chirurgie esthétique restera-t-elle voilée comme le visage de certaines femmes humiliées ? L’humanitaire peut-il faire de l’esthétique ? La chirurgie esthétique peut-elle être humanitaire ?

 

Ce que nous avons appris :

 

En mission, nous avons appris que le concept du mot « guérir » ne nous appartenait pas. Par exemple, sous nos latitudes, la disparition d’un symptôme, comme la douleur, est un élément important de la guérison. En chirurgie de la main, le traitement d’une articulation douloureuse peut-être l’arthrodèse. Comment conceptualiser le lien qui existe entre la disparition de la douleur et le fait de « souder » deux os. De surcroît, la douleur reste une émotion. Comment concevoir cette émotion ? Comment la matérialiser ? Nous observons, immédiatement, la limite de nos définitions, la limite de nos affirmations. Le chirurgien a réussi l’intervention puisque le patient n’a plus mal. Le patient est guéri puisqu’il n’y a plus de douleur mais l’articulation est détruite. Donc, l’intervention est réussie bien que l’articulation ne soit plus fonctionnelle. Nous avons là, la démonstration de la limite de notre définition du mot « guérison » et nous en avons, tous, de très nombreuses démonstrations.

 

Comme le rappelle Claudine Brelet[1], « une grande partie des pratiques de guérissage[2] repose beaucoup plus sur une étiologie d’ordre psychologique ou social, ou encore les deux à la fois (comportement inadapté d’un ou plusieurs membres de la famille envers le malade, décès ou malchance de la famille) qu’elle ne se fonde sur une description aussi précise que possible des symptômes, comme le fait la médecine moderne. Cela pourrait expliquer en partie le recours si important accordé à la divination dont les meilleurs praticiens possèdent une sensibilité aiguisée à autrui, une capacité de relation fusionnelle avec leur entourage qui, de toute évidence, s’avèrent impossibles, voire insupportables, au sein de masses urbanisées. »

Ainsi, une autre limite réside dans l’« effet placebo ». C’est ainsi que nous qualifions l’efficacité d’un produit sans principe qualifié d’actif. Mais que représente véritablement «un effet » pour un berger du sud du Niger ? Que signifie « principe actif » pour un marchand Congolais ? Encore des définitions ? Acceptons que sous d’autres latitudes, un « effet » puisse être un « dieu de la forêt » et qu’un principe actif puisse être, tout simplement, l’influence d’un guérisseur ou d’une amulette.

 

Ce que nous avons appris :

 

La notion de « patient » reste une entité bien européenne. En effet, le concept de « patient » fait fusionner, dans nos contrées, l’être à sa maladie. En Afrique, par exemple, le malade et la maladie demeurent bien distincts.

En Afrique, le malade appartient à une famille, à un village, voire à une ethnie. Il ne sera pas atteint par hasard. Le malade a une histoire qu’il faudra apprendre à écouter. De plus, le malade n’est pas toujours celui que l’on voit ou que l’on croit. Le malade que l’on vous présente n’est peut-être que le représentant d’une famille et c’est peut-être la famille qui est « malade ».

La maladie peut, aussi, appartenir à une famille ou à une peuplade. La maladie n’est probablement pas là par hasard et elle a son histoire. Il faudrait la comprendre mais nous n’avons ni le temps ni les facultés pour pouvoir l’assimiler. En effet, il y a toujours une « raison » à l’accident qui arrive au patient ou à la maladie qui le touche. Le patient a probablement traversé, à tort, le « lieu des génies » ou bien il a mangé, toujours à tort, de la viande de perdrix. Dans certains villages, il existe des « lieux » où il est interdit de passer à certaines heures de la journée. Le fait de transgresser cette règle peut expliquer l’accident ou la maladie. Certaines familles ne doivent pas manger de la viande de perdrix ou de cochon. Transgresser la règle peut, également, expliquer l’accident ou la maladie. Il y a toujours une raison aux choses et cela peut expliquer un certain « fatalisme » que l’on peut observer dans ces pays.

 

Voici deux histoires caractéristiques qui pourront, peut-être, vous aider à appréhender les « choses »: La première se situe dans le groupe Akan qui rassemble plusieurs ethnies en Côte d’Ivoire. Un médecin ivoirien qui recevait au centre hospitalier beaucoup d’hernies étranglées imagina faire de la prévention et décida d’opérer les hernies avant qu’elles ne soient compliquées. Il proposa d’opérer les vieux du village qui avaient des hernies importantes. Les vieux sont venus voir le papa du chirurgien et ils lui ont expliqué que la hernie (le sac) contenait les fétiches (les esprits protecteurs) du village. C’est pourquoi on voyait des hernies surtout chez les vieux. Ils lui ont suggéré de dire à son fils qu’il ne fallait plus opérer les hernies.

La seconde se déroule au Burkina Faso. Récemment, une campagne de vaccination contre la poliomyélite a été organisée dans la province de Kénédougou. Un des villages opposa une certaine réticence à cette campagne de vaccination. Les enfants de ce village qui présentaient des séquelles de poliomyélite étaient appelés « enfant-serpent » et le génie de village était le génie « serpent ». Il a fallu vraiment insisté pour imposer la vaccination dans ce village.

 

Nous ne restons que des techniciens de surface, alors que le mal peut venir des « profondeurs » de la forêt. Comment peut-on soigner avec une simple greffe de peau le visage d’un enfant qui est « mangé »[3] par sa grand-mère … La maladie, en Afrique, n’appartient pas toujours au patient et le malade n’est pas toujours le patient.

 

Il est donc souvent difficile d’opérer « la maladie » et il est encore plus difficile, pour nous, de soigner un mal que l’on ne voit pas. Il serait très prétentieux de croire que l’on peut vraiment traiter par un lambeau un mal que l’on ne connaît pas. Cependant, les familles acceptent de plus en plus les traitements occidentaux dits modernes pour des pathologies qu’ils « connaissent » depuis toujours. Si leur point de vue a « évolué », nous devrions également apprendre à mieux « voir » le patient et nous devrions essayer de soigner son histoire autant que sa plaie. Nous devrions, surtout, témoigner un peu plus de modestie car le flot de nos techniques ne peut rien contre les dieux des rivières. Nous ne pouvons rien sans l’aide de la famille, sans l’aide du chef de village ou du tradipraticien[4] local. On ne touche pas le corps sans l’accord. Et, ici, l’accord de la famille, du « groupe » ou du « guérisseur », est aussi précieux que l’indication thérapeutique d’une équipe occidentale. Il vaut mieux respecter notre registre médical et laisser le tradipraticien composer ses gammes locales. Nous sommes médecins et, en tant que tels, nous devons agir en médecin. C’est ainsi que le patient nous voit et c’est ainsi que l’on sera le plus efficace pour lui. Pour traiter l’aspect plus « transparent » de la maladie, c’est le guérisseur qui aura le vrai pouvoir et qui saura mieux appréhender le « zima ». Pour agir sur la partie « invisible » du mal, c’est le « cheikh el jenoun » (maître des esprits) qui aura le vrai pouvoir et qui saura mieux négocier avec les « zars », les « djinns », les « esprits ». Pour être efficace, le traitement devra être pluridisciplinaire.

« Lorsqu’on prétend améliorer la santé d’un peuple, souligna encore le Docteur P. Dorolle, il faut savoir abandonner les concepts de bon, mauvais, meilleur et pire, et laisser la population libre sur le plan des idées et des concepts culturels particuliers […]. Il est impossible de prétendre imposer de l’extérieur un changement dans les concepts culturels. Lorsqu’un tel changement est imposé, il en résulte un déséquilibre et une incompréhension qui mettent gravement en danger l’œuvre entreprise[5]. » Le terme de « culture » devrait désormais se comprendre, dans le domaine médical comme ailleurs, comme l’ensemble des formes de croyance et de comportement ayant reçu une sanction sociale parce que les membres d’un groupe humain déterminé les ont assimilées.

 

De surcroît, les patients font preuve d’un grand courage en acceptant nos pratiques qui peuvent être, parfois, un peu surprenantes voire intrigantes. En effet, imaginez la scène que l’on peut proposer à ces enfants venant d’un petit village lointain et qui entrent, pour la première fois, dans un bloc opératoire. Imaginez leurs pensées quand ils voient un scialytique dirigé sur eux et quand ils voient tous ces individus déguisés en bleu s’agiter selon un rituel bien compliqué. Imaginez leurs regards quand ils voient le chef de cette « secte » qui leur parle dans un drôle de dialecte et, surtout, avec un « masque » d’une tribu inconnue. Ce chef est appelé chirurgien, mais quel est son pouvoir ?

La mise en scène de certaines thérapeutiques locales semble folklorique à nos yeux. Acceptez l’idée que les scènes que nous leur proposons soient, également, originales. Mais dans les deux cas, la mise en scène est efficace pour le traitement et, donc, pour le patient. C’est pour cela que nous acceptons une prise en charge des patients avec l’accord local et avec l’aide des thérapeutiques locales. La finalité reste la guérison du patient. Peu importe si cette guérison résulte d’une belle greffe ou si les méchants dieux de la forêt sont partis. Peu importe si cette guérison découle d’une « magie de la science » ou d’une « science de la magie »[6].

 

Rappelons, pour finir, qu’en France, la fente labiale était encore qualifiée, et il n’y a pas si longtemps, de « bec de lièvre ». Ce rapprochement vient de nos campagnes où l’on pensait que la femme, qui avait un enfant porteur d’une fente labiale, avait croisé un « animal maléfique »… Le dieu de la rivière n’est pas plus ridicule que le lièvre de nos campagnes. Il nous semble important de respecter l’influence de cet environnement dans tout programme thérapeutique. Nous avons appris que l’influence peut guérir[7].

 

Ce que nous avons, encore, appris :

 

Ce sont les patients, en mission, qui nous ont appris que l’esthétique était, pour eux, aussi importante que la fonction ou qu’elle en faisait entièrement partie et, cela, quel que soit le pays. Si « l’esthétique est déjà la fonction »[8], pourquoi la fonction ne pourrait-elle pas être esthétique ? Pourquoi l’esthétique ne serait pas l’objet d’une satisfaction ? Pourquoi, tout simplement, l’esthétique nous appartiendrait-elle ?

 

Au cours d’une mission, nous avons le souvenir de cette jeune arménienne avec une séquelle importante de brûlure de la face dorsale de la main. Il existait une grande cicatrice hypertrophique sans réel retentissement fonctionnel. Nous avons expliqué, avec l’aide du traducteur, qu’il ne fallait rien faire et que, si on enlevait cette cicatrice, la peau dorsale serait tellement tendue que la patiente ne pourrait plus fermer la main. Notre explication était claire et recevait l’approbation du traducteur et de la patiente. Le lendemain, la jeune fille s’est présentée à la consultation. Elle voulait que nous lui enlevions la cicatrice et elle nous expliquait qu’elle avait bien compris notre résistance mais qu’elle préférait une main plus jolie, même si elle ne pouvait plus la fermer.

 

Un autre exemple nous est apporté par la fente labiale. Nous avons appris que la motivation réelle dans la demande des parents qui ont un enfant porteur d’une fente labio-maxillaire est, principalement, d’ordre esthétique et, cela, même dans un pays dit « en voie de développement » . Le chirurgien est rassuré sur l’intérêt fonctionnel de son geste mais les parents ne connaissent pas bien les limites entre le palais primaire et le palais secondaire. Ils ont oublié les principes de la morphogenèse des êtres, bien qu’elle soit une préoccupation ancienne de l’humanité. Ils ont oublié les principes du développement facial. Ils savent, cependant, que leur fille ne pourra pas emprunter la voie sacrée du mariage si elle garde cette lèvre fendue.

 

Nous avons, également, pu observer une motivation esthétique dans la reconstruction d’un coude chez un jeune Béninois qui présentait des séquelles de Buruli. L’ulcère de Buruli (Mycobacterium ulcerans) est au troisième rang des infections à mycobactéries chez le sujet sain après la tuberculose et la lèpre. Elle a été détectée pour la première fois en 1948 chez des fermiers en Australie. Des cas avaient cependant été décrits dès 1897 par Sir Albert Cook en Ouganda[9]. La plupart des malades sont des femmes et des enfants qui vivent dans des régions rurales à proximité de cours d’eau ou de terrains humides. L’ulcère de Buruli sévit dans les régions marécageuses des régions tropicales et subtropicales d’Afrique (pays situés en bordure du Golfe de Guinée), d’Amérique latine, d’Asie et du Pacifique occidental. Atteignant surtout les membres, cette affection détruit progressivement, et sans douleur, la peau et le tissu cellulaire sous cutanée, voire les tissus sous-jacents. Au stade de séquelles la maladie présente des zones cicatricielles fibreuses, rétractées avec de nombreuses déformations associées.

C’est une de ces déformations que nous avons observée chez ce jeune béninois. Il présentait une rétraction du coude droit avec une importante zone fibreuse qui tapissait surtout la face antérieure. Nous avons entièrement libéré ce coude par une exérèse chirurgicale large. La perte de substance a été « couverte » par un lambeau musculo-cutané pédiculé de grand dorsal. Nous avons retrouvé une très bonne mobilité de ce coude et les suites opératoires ont été simples. Nous étions assez satisfait d’avoir rendu ce coude fonctionnel car, avec un coude actif, ce jeune béninois pouvait travailler au champ et, par conséquent, pouvoir envisager de créer une famille. Le symbole de cette intervention était très fort pour l’équipe: nous avions rendu la fonction au coude de ce jeune garçon et cela devait permettre la création d’une famille.

Mais le lambeau était encore un peu gros et il n’était pas très esthétique. Nous avons expliqué au patient que, avec le temps, ce lambeau s’affinerait. Mais comment expliquer l’ « atrophie secondaire » d’un muscle. De plus, l’ulcère de Buruli est indolore. Arès l’intervention, le patient ressentait forcément quelques douleurs dorsales (site de prélèvement du lambeau). Si notre intervention semblait réussie, nous restions pour le patient légèrement maudits.

 

Enfin, dans le Noma, la réparation de certaines mutilations faciales garde une finalité (souvent non avouée) esthétique bien que l’on utilise des techniques de reconstruction très sophistiquées. Le Noma, ou Cancrum oris, est une gingivo-stomatite ulcéro-nécrotique d’origine infectieuse qui touche, aujourd’hui, surtout les enfants d’Afrique (« the noma belt[10] ») sur un terrain associant dénutrition, mauvaise hygiène bucco-dentaire et tares diverses. La mortalité a été considérablement réduite par les antibiotiques et l’apport alimentaire. Au stade de séquelles, cette terrible affection laisse d’importantes destructions du visage.

Nous avons le souvenir de cette jeune togolaise, accompagnée par des religieuses du nord du Nigeria, qui vivait seule en dehors de son village et qui était fréquemment violée. Elle présentait des séquelles faciales importantes de Noma sous la forme d’une fente béante et nauséabonde qui progressait de la commissure labiale jusqu’à la région temporale. Le pouvoir sacré de la religion étant resté vain, les religieuses décidèrent de nous la présenter.

Finalement, il n’y avait pas de réel retentissement biologique et physiologique hormis l’atteinte de la mastication. Elle s’alimentait parfaitement avec une alimentation liquide (à base de manioc) et elle ne semblait pas présenter de carence alimentaire. Pourquoi l’avons nous opéré ? Pour la fonction ! Pour la reconstruction ! Nous croyons qu’elle a été contente de pouvoir refermer un peu plus sa bouche et de bouger, même timidement, sa mandibule. Nous croyons, surtout, qu’elle a été heureuse de retrouver un visage qu’elle n’aura, peut-être, plus besoin de voiler…Nous croyons que la guérison peut aussi être l’objet de cette satisfaction.

 

Ces quelques expériences nous ont incité à réfléchir sur la vraie finalité de nos missions de chirurgie en situation précaire. La chirurgie plastique n’est qu’un remède dans un champ thérapeutique très vaste. Guérison, résurrection, fonction…sont probablement les représentations de notre propre satisfaction. Mais qu’en est-il de la disparition d’une douleur? Qu’en est-il du départ des djinns ou des dieux de la forêt ? Qu’en est-il du mariage accepté grâce à une esthétique retrouvée? Qu’en est-il des viols jugulés par un visage regagné? La chirurgie esthétique semble être à la lisière de ce champ thérapeutique. Mais, qui a vraiment vu la douleur? Qui a déjà rencontré la fonction? Qui est le véritable guérisseur? Qui peut donner la vraie définition de la guérison? Qui peut dire si l’esthétique est universelle?

Si notre intervention esthétique peut apporter une quelconque satisfaction, ne la méprisons pas; il y a, peut-être, une raison insensible qui saura rendre plus sensible la simple notion de satisfaction. Et la satisfaction c’est, déjà, notre mission.

 

 

Ce que nous avons appris :

 

Nous avons appris, dans nos missions, que “notre” chirurgie ne pouvait pas tout résoudre. Rappelons Ambroise Pare: “Je le pensais, Dieu l’a guérit…” Nous ne croyons pas que seul un lambeau puisse réparer un visage béant.

 

Nous doutons quand des équipes chirurgicales, au nom du dogme de l’éthique médicale ou de leur “grande chirurgie”, présentent leur technique comme “la” solution. Nous avons le souvenir de ces patients, au nord du Nigeria, traités pour des séquelles faciaux de Noma. Cette maladie tropicale présente, au stade de séquelles, des destructions faciales importantes qui peuvent toucher toutes les régions de la face. Vous imaginez le retentissement psychologique, social et humain de telles mutilations. Face à ces importantes reconstructions, certains “grands” chirurgiens peuvent, parfois, proposer leur mépris puisqu’ils ne savent pas toujours offrir une solution. D’autres vont proposer des techniques de reconstruction avec des lambeaux, qu’ils soient locaux (par exemple, le lambeau frontal), loco-régionaux (par exemple, le lambeau delto-pectoral) ou à distance (par exemple, le lambeau du muscle grand-dorsal). Face à l’importance des lésions, ces chirurgiens ont utilisé tout leur savoir faire et ils ont réussi, pour la plupart, à “fermer” ces visages béants.

 

Nous avons revu ces patients, plusieurs mois voire plusieurs années, après leurs interventions. D’une part, certaines techniques employées ont souvent nécessité plusieurs temps opératoires. D’autre part, les lambeaux utilisés ont eu un “coût” esthétique, sur le site donneur, tel que l’on peut se demander si le bénéfice a été réel pour la fonction patient. Par exemple, nous avons vu un petit garçon dont l’orifice jugal avait été “fermé” par un lambeau frontal et un lambeau de muscle peaucier du cou. L’orifice était “bouché” par le grand chirurgien mais le visage de cet enfant n’était plus un visage, le front n’était plus un front et le cou n’était plus un cou. Nous avons, également, le souvenir de cette jeune africaine qui avait été traitée par un lambeau delto-pectoral. Impressionnés par les séquelles qu’avait laissé ce type de lambeau chez cette jolie petite fille, nous avons demandé au chirurgien pourquoi il avait utilisé ce type de lambeau. Sa réponse a été: “parce que ce lambeau marche très bien et que l’on peut cacher la zone donneuse”. Ce chirurgien avait oublié qu’en Afrique il fait chaud et que les femmes, en portant leur pagne, dévoilent leurs épaules et le haut du thorax. Ces quelques exemples nous renforcent dans l’idée que, si dans certains cas, “la fonction c’est déjà l’esthétique”, dans d’autres cas, la fonction devrait être esthétique. L’esthétique d’une reconstruction faciale ne doit pas faire oublier la fonction, mais faire une belle reconstruction sans la fonction esthétique ne sera jamais une vraie guérison. En mission humanitaire, comme nous le faisons dans nos hôpitaux, la dimension esthétique devrait toujours être présente dans nos interventions réparatrices.

 

Ce que nous avons, également, appris

 

Pour faire des missions de chirurgie plastique humanitaire, nous avons besoin de les financer. Bien que l’investissement personnel soit important, la recherche de fonds reste indispensable. Dans cette quête, différents moyens existent mais, tous, essayent de toucher la sensibilité du donateur.

 

Nous avons appris que le donateur reste peu sensible à la technique employée et qu’il est peu sensible à l’importance d’une reconstruction. Paradoxalement, un visage reconstruit, qui aura nécessité un très grand investissement chirurgical, “accrochera” moins le regard du donateur comme si la dysharmonie de la face restaurée représentait une création inférieure, un mimétisme vain, une trahison de dame nature.

 

“Est beau ce qui est reconnu sans concept comme l’objet d’une satisfaction nécessaire”[11]. Le donateur a besoin de cette satisfaction. C’est par le moyen de la forme que l’on pourra opérer sur lui.

 

C’est par l’esthétique du visage reconstruit que l’on pourra toucher son imagination au plus profond de son intuition. C’est avec son imagination qu’il pourra voyager dans le sourire de cet enfant guéri. Un visage se voyage et “le” voyage, nous l’imaginons toujours beau. C’est à travers ces visages redevenus beaux que le donateur pourra prendre la dimension de son ambition: redonner le sourire à des enfants, à des patients. Paradoxalement, quand le chirurgien va en mission, il justifie toujours ses actes par une nécessité fonctionnelle mais, pour financer ses missions, il préfère faire sa “promotion” sur le visage des enfants…Regardons simplement quelques noms d’organisations: “Opération sourire”, “Enfants du Monde”, “Chaîne de l’espoir”, “l’hymne aux enfants”, etc…L’esthétique est un argument important du marketing humanitaire. La souffrance d’un enfant, le visage d’un enfant se “vend” mieux qu’une belle reconstruction abdominale comme si l’esthétique retrouve, dans cette quête, son vrai sens: la sensibilité. C’est ainsi: le donateur a besoin de voyager. S’il participe financièrement, c’est un peu pour s’offrir un voyage, une histoire, et l’humanitaire est un grand espace. Il faudra l’informer, lui donner des “news” sur l’évolution. Et le “must” sera quand il recevra les résultats de l’intervention avec les fameux clichés “avant-après”. Ces clichés sauront toucher le plus profond de son humilité. C’est ainsi, l’esthétique a ses raisons que le corps violé a su nous dévoiler. C’est ainsi, l’humanitaire a besoin d’être esthétiquement correct pour mieux se dévoiler. Finalement, l’esthétique reste un grand voyage pour notre intimité.

 

Autre paradoxe : nous retrouvons l’esthétique dans notre quotidien et dans des domaines aussi courants qu’inconvenants voire esthétiquement incorrects. Par exemple, nous parlons d’un “beau patient” quand le malade présente une grosse pathologie. Nous parlons d’un “beau résultat” quand nous sommes satisfaits de nos lambeaux bien dessinés même si le patient ne pourra plus marcher. Nous évoquons une “belle pathologie” quand le cortège de signes est fortement pourvu. Nous faisons une “belle mission” quand le nombre de cas est impressionnant. Nous pensons qu’il a eu une “belle mort” quand le patient n’a pas souffert. Nous insistons sur la “belle infection” quand il s’agit de la complication d’un confrère bien aimé, etc… Nous avons appris que le champ de l’esthétique avait des lisières que le vocable “beau” savait parfois piétiner.

Ce que nous avons appris :

 

La chirurgie esthétique opère avec toute la sensibilité du geste plastique pour reconstruire une satisfaction. De quelle nature est cette satisfaction ? Il ne nous appartient pas d’en décider la définition. La simple représentation de cette satisfaction devrait appartenir à la fonction. Finalement, la fonction n’est qu’une représentation. Par exemple, la flexion-extension du coude est une très belle fonction. Pensez-vous que l’agriculteur pense à sa flexion-extension quand il travaille ? Pourtant, cette fonction,« inconsciente », est importante quand il est dans son champ. Cette fonction pourra devenir « consciente » quand un traumatisme viendra bloquer le coude. La perte d’une certaine mobilité rendra le travail plus difficile. Le chirurgien plasticien « débloquera » ce coude et le rendra plus mobile par l’utilisation d’un lambeau, qui est une technique sophistiquée de chirurgie plastique. Dans ce cas précis, nous pouvons dire que la fonction (retrouvée) est l’objet de la satisfaction. L’action sensible du geste a surtout été plastique en redonnant la mobilité à ce coude.

 

A l’opposé, un enfant présentant un coude bloqué par une malformation congénitale (par exemple, un stade important d’un syndrome de Poland) peut ne pas être demandeur d’un geste sur le coude. La fonction « flexion-extension » de ce coude n’est pas « représentée » chez l’enfant. La demande de satisfaction sera surtout d’ordre esthétique. La motivation première est d’avoir un coude « normal » ce qui sous-entend un coude plus joli, de la même taille que l’autre… La fonction, ici , n’est pas la motivation. Dans une forme extrême de malformation congénitale, comme l’absence d’un bras, l’enfant ne comprend pas pourquoi le chirurgien lui impose une prothèse. C’est un peu comme si aujourd’hui, une équipe chirurgicale vous propose de greffer un petit bras sur votre front en vous expliquant qu’il vous sera d’une grande utilité pour manger. Vous pouvez imaginer votre opposition.

 

Tout cela démontre l’importance de la sensibilité dans le geste plastique et l’importance de la notion de satisfaction. Le geste sera sensible s’il sait redonner la fonction à cette satisfaction et cela, quelle que soit la technique employée. Le geste restera sensible s’il sait redonner l’esthétique à cette fonction.

 

Ce que nous avons appris :

 

Nous avons appris, également, que la chirurgie esthétique pouvait faire de l’humanitaire, même en France ou dans les pays qui ne sont pas en voie de développement. Nous n’avons pas oublié que certains services hospitaliers de chirurgie plastique (comme, notamment, le service de chirurgie plastique de l’hôpital Boucicaut de Paris[12] ou de l’hôpital Santa Casa de Misericordia de Rio de Janeiro[13]) ont permis à de nombreux patients d’accéder plus “facilement” à la chirurgie esthétique. C’est, également, un peu cela la chirurgie esthétique humanitaire: rendre la chirurgie esthétique accessible à tous. Nous avons appris que le droit à l’esthétique n’appartient pas à une classe privilégiée. L’esthétique a un coût mais ce coût doit rester le plus faible possible. La chirurgie esthétique gratuite n’existe pas et semble même néfaste tant pour la relation médecin-patient que pour l’investissement que le patient met dans son traitement. C’est ainsi, par exemple, que le psychiatre fait toujours payer sa consultation pour qu’il y ait un “investissement” dans le traitement.

 

C’est dans l’humanitaire que nous avons appris que le « tout gratuit » n’existait pas et ne “marchait” pas. Tout a un prix, même en Afrique. Tout se paye, même si c’est avec quelques fruits. Mais ce prix doit rester humainement abordable. La chirurgie esthétique est humanitaire si son accès reste aisé quelles que soient les contrées et le chirurgien plastique n’a pas besoin de partir très loin pour faire de l’esthétique avec humanité.

 

 

Ce que nous avons, finalement, appris :

 

Nous avons appris à proscrire ces limites futiles qui existent entre les qualificatifs esthétique, plastique et reconstructrice, puisque dans notre noviciat chirurgical, ils ne font qu’un.

 

La chirurgie plastique est une spécialité chirurgicale bien définie. Le terme “chirurgie plastique” englobe l’aspect reconstructeur, le pôle purement plastique et la dimension esthétique d’une même spécialité. La chirurgie plastique reconstruit l’esthétique. Par exemple, la reconstruction d’un sein, après son ablation pour un cancer, va être qualifiée de chirurgie reconstructrice. Le traitement d’une hypertrophie mammaire sera nommée chirurgie plastique puisqu’il modifie plus la plastique du sein. Mais un sein reconstruit doit avoir une jolie plastique voire une belle esthétique. La chirurgie plastique, c’est reconstruire aussi l’esthétique.

 

Nous avons, également, abandonné l’idée que la chirurgie esthétique est la chirurgie du rajeunissement. La chirurgie esthétique c’est la chirurgie du mieux vieillir. La chirurgie esthétique ne “rajeunie” pas au sens propre du terme. Nous n’avons pas le pouvoir de changer l’âge des patients. Notre modeste efficacité sera de réparer un outrage du temps à un temps donné et, tant mieux si cette réparation est esthétique. Le lifting de la face, c’est réparer un “affaissement” de la face. Forcément, ce lifting sera qualifié d’intervention de chirurgie esthétique. Mais quand nous traitons un “affaissement facial” sur une paralysie faciale, ce même lifting devient de la chirurgie reconstructrice. Nous avons appris à faire un lifting avec un esprit réparateur et à faire une reconstruction faciale avec une optique esthétique. Donnons à l’esthétique sa vraie dimension; sortons-la de ses limites chirurgicales. En effet, trop souvent, l’esthétique est réduite au terme de chirurgie esthétique comme si l’esthétique ne pouvait être que chirurgicale, comme si l’esthétique était définie par la seule motivation de l’intervention. La chirurgie esthétique n’est pas une fin, elle est un moyen qui opère sur la forme et par la forme. Elle est le moyen qu’emprunte des gestes aussi différents que la reconstruction d’un sein ou que la réparation d’un visage affaissé par le temps. Elle est le moyen qui sait rendre une plastique plus esthétique ou une reconstruction plus accessible au sentiment du beau.

 

Paradoxalement, c’est en mission humanitaire que l’esthétique a repris sa vraie dimension. En effet, le patient se moque de la dichotomie de nos définitions. Il se soucie peu de savoir si l’on fait une technique réparatrice ou esthétique. Il veut, tout simplement, que son intervention soit une « belle » intervention. Il se moque de savoir si la tumeur a été enlevée par une intervention endoscopique ou si l’exérèse a nécessité une technique chirurgicale plus classique. Quand nous opérons un patient, le but est d’obtenir une “belle” fonction et de faire, tout simplement, une “belle” opération. La chirurgie esthétique humanitaire a su nous enseigner que l’esthétique est une technique au service de la fonction réparation et qu’il était inutile de justifier l’esthétique par la reconstruction puisque l’esthétique appartient, à part entière, à cette reconstruction. Il est inutile de culpabiliser quand notre geste technique est esthétique puisque la motivation de l’intervention ne nous appartient pas. Est-ce que le traitement d’une lèvre fendue chez une petite fille asiatique est un geste réparateur ou un geste esthétique ? Vous pensez, probablement, que cela sera un geste réparateur parce que c’est plus “porteur” ou parce que vous allez reconstruire la sangle musculaire. Cette enfant voudra, probablement, une lèvre plus belle, plus esthétique. Ce sera alors une intervention esthétique. Mais peu importe la motivation puisque votre technique sera la même et que vous essayerez de la faire la mieux possible voire la plus esthétique possible. Nous voyons bien que seule la motivation première de l’intervention permet de qualifier d’esthétique ou de plastique cette intervention, alors que votre geste technique sera identique. Tout cela démontre que, finalement, nos définitions sont peu importantes au regard de la simple satisfaction de notre petite asiatique qui, nous l’espérons, sera une “belle” satisfaction.

 

En pratique, et toujours paradoxalement, nous avons appris à ne pas faire de la chirurgie esthétique mais à être esthétique dans notre chirurgie et, cela, même en mission humanitaire.

 

Ce que nous savons :

 

La chirurgie esthétique humanitaire reste, pour beaucoup, un concept contradictoire. Comment peut-on parler d’esthétique dans une mission dite humanitaire ? La chirurgie esthétique est encore qualifiée de chirurgie superficielle pour des patients non « malades ». Le chirurgien plasticien est encore ce technicien de surface qui essaye de sonder, avec son bistouri, la profondeur des âmes. A l’opposé, « le » chirurgien qui part en mission humanitaire fait de la « vraie » chirurgie et sur des patients qui en ont « vraiment » besoin. Rappelons, simplement, qu’il ne nous appartient pas de décider ce qui est important pour un patient ou ce qui ne l’est pas. Notre rôle, en mission, est de répondre à la demande du patient quelle que soit sa provenance, quelle que soit sa croyance. Il est, probablement, plus glorifiant pour le chirurgien de dire que son intervention à été indispensable sur le plan fonctionnel mais la finalité de son intervention devra être la « guérison » de son patient, quelle qu’en soit la raison. Peu importe les raisons de la guérison, seule compte « sa » satisfaction. Nous avons appris que l’esthétique peut être l’objet de cette satisfaction. Ne la méprisons pas. Il ne nous appartient pas de guérir. Nous sommes là simplement pour offrir et, même, s’il s’agit d’un simple sourire.

Le sourire est humanité comme la chirurgie est humanitaire. L’esthétique est humanitaire comme l’humanité est esthétique. Ne refusons pas notre sourire chirurgical au nom d’un quelconque principe d’éthique qui interdit ou qui dicte.

Dans le mot humanitaire, il y a humanité qui est un sentiment de bienveillance, de compassion et qui signifie aussi bonté, sensibilité. Et Platon disait : « l’esthétique est esthésique », du grec aesthesis qui signifie sensibilité.

Ce que je sais :

 

Chez les indiens Navajos, un seul mot signifie beauté et santé :

c’est « Hohzo ».

 

Patrick Knipper

www.knipper.fr



[1] Médecines du Monde. Claudine Brelet. Editions Robert Laffont, octobre 2002

[2] Guérissage : terme mis en usage par les chercheurs en ethnomédecine

[3] Nous ne sommes pas seuls au monde. Tobie Nathan. Les empêcheurs de tourner en rond, 2001

[4] OMS. Technical Report Series, n°1

[5] Ethnologie et problèmes sanitaires. Dorolle P. Revue internationale de la Croix-Rouge. Genève, CICR, 1953

[6] La main existentielle et événementielle. Raymond Vilain.

[7] L’influence qui guérit. Tobie Nathan. Poches Odile Jacob, 2001

[8] Raymond Vilain

[9] Treatment of Buruli’s ulcers by excision-graft. Bull.Soc.Pathol.Exot., 1992 ;85(5) :355-8

[10] Noma : the Sokoto approach. K.W. Marck and Co. European Journal of Plastic Surgery, 1998, 21 : 277-281

[11] Kant

[12] Département de chirurgie esthétique dirigé par le Dr Raymond Vilain puis par le Docteur Vladimir Mitz.

[13] Département de chirurgie esthétique dirigé par le Professeur Ivo Pitanguy

Ethno-Chirurgie

CHIRURGIE PLASTIQUE ETHNIQUE

 

Docteur Patrick Knipper

25 rue de Bourgogne

75007 Paris

www.docteur-knipper.com

 

 

 

Aujourd’hui, la médecine a suivi le chemin d’une certaine « mondialisation ». Nous avons, en quelque sorte, universalisé notre biomédecine. La chirurgie plastique, comme beaucoup d’autres spécialités, se pratique aujourd’hui quasiment dans le monde entier et des gestes techniques très spécialisés peuvent être effectués presque partout.

Au cours de nos missions humanitaires de chirurgie plastique, nous avons exporté notre technologie et les patients que nous avons rencontré ont pu bénéficier d’interventions parfois très sophistiquées. Pour autant, nous avons eu l’impression que notre biomédecine ne pouvait pas tout traiter. Bien au contraire, le non respect de certaine pratique thérapeutique locale pouvait même aller contre une certaine guérison de nos patients. Nous avons, au cours de nos différentes expériences, investigué cet univers de la médecine dite traditionnelle pour arriver à l’intégrer à notre thérapeutique dite moderne. La notion de chirurgie plastique ethnique résulte donc de cette cohabitation entre notre biomédecine et la médecine traditionnelle. Elle consiste à traiter le patient dans sa totalité, avec des moyens technique sophistiqués mais dans le respect de ses origines, de ses croyances, de son ethnie et en fonction des traditions thérapeutiques locales. La chirurgie plastique ethnique ne se contente pas de traiter un patient ; elle essaye de le guérir.

 

 

 

GUERIR

En mission humanitaire, nous avons souvent appris que le concept du mot « guérir » ne nous appartenait pas. Par exemple, sous nos latitudes, le traitement d’une articulation douloureuse peut-être une « arthrodèse » c’est à dire pratiquer une intervention qui « bloque » l’articulation douloureuse pour qu’elle ne fasse plus mal. On traite le symptôme « douleur » et l’on croit que le malade est guéri. Le patient perd un peu sur le plan fonctionnel mais il ne ressent plus de douleur. Comment conceptualiser le lien qui existe entre la disparition de la douleur et le fait de « souder » deux os. De surcroît, la douleur reste une émotion. Comment concevoir cette émotion ? Comment la matérialiser ? Nous observons, immédiatement, la limite de nos définitions, la limite de nos affirmations. Le chirurgien a réussi l’intervention puisque le patient n’a plus mal. Le patient est guéri puisqu’il n’y a plus de douleur mais l’articulation est bloquée. Donc, l’intervention est réussie bien que l’articulation ne soit plus fonctionnelle. Nous avons là, une démonstration de la limite de notre définition du mot « guérison ».

 

Ainsi, une autre limite réside dans l’« effet placebo ». C’est ainsi que nous qualifions l’efficacité d’un produit sans principe actif. On traite un patient avec un médicament peu efficace voire complètement inefficace mais le patient se sent beaucoup mieux parce qu’il « croît » que cela vient du traitement. Nous avons tous ressenti ce sentiment d’aller beaucoup seulement après avoir été rassuré par son médecin et, cela, sans avoir encore acheter les médicaments à la pharmacie. Il existe un certain « effet » placebo dans le simple ton rassurant du médecin. Mais que représente véritablement «un effet » pour un berger du sud du Niger ? Que signifie « principe actif » pour un marchand Congolais ? Encore des définitions ? Acceptons que sous d’autres latitudes, un « effet » puisse être un « dieu de la forêt » et qu’un principe actif puisse être, tout simplement, l’influence d’un guérisseur ou d’une amulette.

 

Dans les pratiques plus traditionnelles, la notion de guérison reste également difficile à appréhender. Comme le rappelle Claudine Brelet[1], « une grande partie des pratiques de guérissage[2] repose beaucoup plus sur une étiologie d’ordre psychologique ou social, ou encore les deux à la fois (comportement inadapté d’un ou plusieurs membres de la famille envers le malade, décès ou malchance de la famille), qu’elle ne se fonde sur une description aussi précise que possible des symptômes, comme le fait la médecine moderne. Cela pourrait expliquer en partie le recours si important accordé à la divination dont les meilleurs praticiens possèdent une sensibilité aiguisée à autrui, une capacité de relation fusionnelle avec leur entourage qui, de toute évidence, s’avèrent impossibles, voire insupportables, au sein de masses urbanisées. »

 

LE PATIENT

La notion de « patient » reste, également, une entité bien européenne. En effet, le concept de « patient » fait fusionner, dans nos contrées, l’être à sa maladie. En Afrique, par exemple, le malade et la maladie demeurent bien distincts.

 

En Afrique, le malade appartient à une famille, à un village, voire à une ethnie. Il ne sera pas atteint par hasard. Le malade a une histoire qu’il faudra apprendre à écouter. De plus, le malade n’est pas toujours celui que l’on voit ou que l’on croit. Le malade que l’on vous présente n’est peut-être que le représentant d’une famille et c’est peut-être la famille qui est « malade ».

 

La maladie peut donc appartenir à une famille ou à une peuplade. La maladie n’est probablement pas là par hasard et elle a son histoire. Il faudrait la comprendre mais nous n’avons pas toujours le temps ni les facultés pour pouvoir l’assimiler. En effet, il y a toujours une « raison » à l’accident qui arrive au patient ou à la maladie qui le touche. Le patient a probablement traversé, à tort, le « lieu des génies » ou bien il a mangé, toujours à tort, de la viande de perdrix. Dans certains villages, il existe des « lieux » où il est interdit de passer à certaines heures de la journée. Le fait de transgresser cette règle peut expliquer l’accident ou la maladie. Certaines familles ne doivent pas manger de la viande de perdrix ou de cochon. Transgresser la règle peut, également, expliquer l’accident ou la maladie. Il y a toujours une raison aux choses et cela peut expliquer un certain « fatalisme » que l’on peut observer dans ces pays.

 

Nous ne restons que des techniciens de surface, alors que le mal peut venir des « profondeurs » de la forêt. Comment peut-on soigner avec une simple greffe de peau le visage d’un enfant qui est « mangé »[3] par sa grand-mère … La maladie, en Afrique, n’appartient pas toujours au patient et le malade n’est pas toujours le patient. Il est donc souvent difficile d’opérer « la maladie » et il est encore plus difficile, pour nous, de soigner un mal que l’on ne voit pas. Il serait très prétentieux de croire que l’on peut vraiment traiter par une technique chirurgicale un mal que l’on ne connaît pas.

Cependant, les familles acceptent de plus en plus les traitements occidentaux dits modernes pour des pathologies qu’ils « connaissent » depuis toujours. Si leur point de vue a « évolué », nous devrions également apprendre à mieux « voir » le patient et nous devrions essayer de soigner son histoire autant que sa plaie. Nous devrions, surtout, témoigner un peu plus de modestie car le flot de nos techniques ne peut rien contre les dieux des rivières. Nous ne pouvons rien sans l’aide de la famille, sans l’aide du chef de village ou du tradipraticien[4] local [Photographie 1]. On ne touche pas le corps sans l’accord. Et, ici, l’accord de la famille, du « groupe » ou du « guérisseur », est aussi précieux que l’indication thérapeutique d’une équipe occidentale. Il vaut mieux respecter notre registre médical et laisser le tradipraticien composer ses gammes locales. Nous sommes médecins et, en tant que tels, nous devons agir en médecin. C’est ainsi que le patient nous voit et c’est ainsi que l’on sera le plus efficace pour lui. Pour traiter l’aspect plus « transparent » de la maladie, c’est le guérisseur qui aura le vrai pouvoir et qui saura mieux appréhender le « zima ». Pour être efficace, le traitement devra être pluridisciplinaire.

 

« Lorsqu’on prétend améliorer la santé d’un peuple, souligna encore le Docteur P. Dorolle, il faut savoir abandonner les concepts de bon, mauvais, meilleur et pire, et laisser la population libre sur le plan des idées et des concepts culturels particuliers […]. Il est impossible de prétendre imposer de l’extérieur un changement dans les concepts culturels. Lorsqu’un tel changement est imposé, il en résulte un déséquilibre et une incompréhension qui mettent gravement en danger l’œuvre entreprise[5]. » Le terme de « culture » devrait désormais se comprendre, dans le domaine médical comme ailleurs, comme l’ensemble des formes de croyance et de comportement ayant reçu une sanction sociale parce que les membres d’un groupe humain déterminé les ont assimilées.

 

De surcroît, les patients font preuve d’un grand courage en acceptant nos pratiques qui peuvent être, parfois, un peu surprenantes voire intrigantes. En effet, imaginez la scène que l’on peut proposer à ces enfants venant d’un petit village lointain et qui entrent, pour la première fois, dans un bloc opératoire. Imaginez leurs pensées quand ils voient un scialytique dirigé sur eux (grosse lampe d’un bloc opératoire) et quand ils voient tous ces individus déguisés en bleu (l’équipe de soignants en tenue de bloc) s’agiter selon un rituel bien compliqué. Imaginez leurs regards quand ils voient le chef de cette « secte » qui leur parle dans un drôle de dialecte et, surtout, avec un « masque » d’une tribu inconnue. Ce chef est appelé chirurgien, mais quel est son pouvoir [Photographie 2]?

La mise en scène de certaines thérapeutiques locales semble folklorique à nos yeux. Acceptez l’idée que les scènes que nous leur proposons soient, également, originales. Mais dans les deux cas, la mise en scène est efficace pour le traitement et, donc, pour le patient. C’est pour cela que nous acceptons une prise en charge des patients avec l’accord local et avec l’aide des thérapeutiques locales. La finalité reste la guérison du patient. Peu importe si cette guérison résulte d’une belle greffe ou si les méchants dieux de la forêt sont partis. Peu importe si cette guérison découle d’une « magie de la science » ou d’une « science de la magie »[6] [Photographies 3].

 

Rappelons, pour finir, qu’en France, la fente labiale était encore qualifiée, et il n’y a pas si longtemps, de « bec de lièvre ». Ce rapprochement vient de nos campagnes où l’on pensait que la femme, qui avait un enfant porteur d’une fente labiale, avait croisé un « animal maléfique »… Le dieu de la rivière n’est pas plus ridicule que le lièvre de nos campagnes. Il nous semble important de respecter l’influence de cet environnement dans tout programme thérapeutique. Nous avons appris que l’influence peut guérir[7].

 

CHIRURGIE PLASTIQUE ETHNIQUE ?

Au fil des années et après être intervenus sur des centaines de patients d’origines diverses et dans différents pays, nous avons appris à voir le patient différemment en fonction de sa culture, de son ethnie. En mission, nous avons appris que le concept du mot « guérir » est resté difficile à définir et que nous ne le comprenions pas toujours. Nous avons donc travaillé avec des tradipraticiens dans certains pays d’Afrique. Nous avons appris à prendre en charge les patients dans leur totalité. Le chirurgien plasticien a traité la partie visible de la maladie et le tradipraticien s’est occupé du « corps invisible ». Le plus important a été que notre patient soit guéri ou « se sente guéri ».

La chirurgie plastique reste une spécialité particulière puisqu’elle transforme le corps et le corps a une représentation différente en Afrique. Le geste qui transforme le corps n’est jamais anodin. Le geste chirurgicale garde un pouvoir sur le corps modifié et peut parfois déranger. Prenons l’exemple du Noma. Il s’agit d’une maladie qui détruit le visage des enfants dans des régions très pauvres. Dans la région du Sahel, elle est appelée « maladie du vent » car les cas de Noma sont plus fréquents quand l’harmattan (vent chaud et sec qui vient du désert) souffle plus. Il est dit au Nord du Bénin que les génies peuvent « prendre » certains enfants et leur « déchirer » le visage. En effet, cette maladie effroyable laisse des séquelles sur le visage qui peuvent donner l’impression que l’on a « déchiré » la bouche ou la joue de l’enfant. Le chirurgien plasticien essaye de reconstruire ces visages détruits mais l’acte thérapeutique peut être une « erreur » sur certains enfants que les génies « voulaient garder ». Nous avons appris à ne pas opérer, dans certaines régions, tous les enfants sans en parler aux tradipraticiens locaux. Nous avons appris à demander si notre chirurgie, aussi sophistiquée soit-elle, était louable sur tel ou tel enfant. Vous imaginez le dilemme terrible pour une équipe occidentale de ne pas pouvoir opérer un enfant parce qu’il est « pris » par un génie alors que nous savons que le Noma a comme point de départ une infection buccale sur un terrain dénutri. Nous croyons cependant qu’il ne faut toucher le corps sans l’accord de la famille, du chef de village et du tradipraticien local. Opérer un visage ce n’est pas forcément guérir un enfant mutilé et ce n’est probablement pas traiter un problème familial que seule certaines « autorités locales » pourront régler. La chirurgie plastique a cela de particulier qu’elle transforme le corps visible pour essayer de traiter le corps invisible. La chirurgie plastique c’est aussi opérer l’invisible mais nous ignorons ce qu’est vraiment cet invisible qui peut, de plus, changer d’un pays à l’autre. Nous devons quand même essayer de traiter cet invisible car le travail du chirurgien plasticien sur le terrain semble être efficace dans de nombreux cas même si nous ne savons pas toujours comment. Nous ne connaissons pas la vraie portée de notre geste, mais le simple fait d’avoir « apporter » ou « fait » quelque chose au patient peut parfois suffire et cela reste le plus important.

Une autre particularité intéressante de la chirurgie plastique est sa dimension esthétique. La chirurgie plastique c’est aussi reconstruire une esthétique.

– D’une part, le corps transformé par le geste chirurgical peut avoir une finalité esthétique. La chirurgie esthétique n’est pas une fin, elle est un moyen qui opère sur la forme et par la forme. Elle est le moyen qui sait rendre une plastique plus esthétique ou une reconstruction plus accessible au sentiment du beau et, cela, même dans un pays en voie de développement. La chirurgie esthétique humanitaire[8] a su nous enseigner que l’esthétique est une technique au service de la fonction réparation et qu’il était inutile de justifier l’esthétique par la reconstruction puisque l’esthétique appartient, à part entière, à cette reconstruction. Il est inutile de culpabiliser quand notre geste technique est esthétique puisque la motivation de l’intervention ne nous appartient pas. Est-ce que le traitement d’une lèvre fendue chez une petite fille asiatique est un geste réparateur ou un geste esthétique ? Vous pensez, probablement, que cela sera un geste réparateur parce que c’est plus “porteur” ou parce que le chirurgien va reconstruire la sangle musculaire. Cette enfant voudra, probablement, une lèvre plus belle, plus esthétique. Ce sera alors une intervention esthétique. Mais peu importe la motivation puisque la technique sera la même et que le spécialiste essayera de la faire la mieux possible voire la plus esthétique possible. Nous voyons bien que seule la motivation première de l’intervention permet de qualifier d’esthétique ou de plastique cette intervention, alors que la technique sera identique. Tout cela démontre que, finalement, nos définitions sont peu importantes au regard de la simple satisfaction de notre petite asiatique qui, nous l’espérons, sera une “belle” satisfaction.

 

– D’autre part, une intervention peut avoir une finalité esthétique même dans un pays dit en voie de développement. Les conditions économiques d’un pays ne définissent en rien son appétence pour tout ce qui concerne l’esthétique. L’esthétique reste très importante quelque soit le pays, quelque soit l’ethnie, etc. L’esthétique n’appartient pas seulement au monde occidental. Elle n’est pas un critère de richesse comme nous pourrions le croire. Il suffit de parcourir notre belle Terre pour y trouver quelque soit l’endroit des choses belles, des gens beaux, voire tout simplement du beau. L’esthétique reste universelle [Photographie 4].

– Enfin, l’esthétique peut être ethnique. C’est une évidence et nous en possédons tous de nombreux exemples. Chaque village, chaque région, chaque ethnie voire chaque pays se reconnaît dans certains critères esthétiques qui peuvent les définir, les unir. Nous définissons cela dans le terme « ethno-esthétique » ou « esthétique ethnique »[9]. L’ethno-esthétique représente une esthétique qui fait référence à l’origine, à la culture et à l’ethnie… L’esthétique est à la fois universelle et nous la voulons également ethnique. Cela semble paradoxal, mais l’esthétique sait parcourir le monde sous des visages bien différents. Le visage que le chirurgien plasticien devra modifier sera peut-être un de ces visages. Il devra, avec des critères universels d’esthétique, transformer ce visage mais selon des critères esthétiques propres à l’histoire du patient tout en respectant son environnement, sa culture, et tout simplement ses désirs… Prenons l’exemple de l’ethnie « patient californien ». Il s’agit d’une ethnie dont certains critères esthétiques répondent à une codification particulière. En effet, quand un « patient californien » fait un lifting, il faut que cela se voie. A l’opposé, quand un patient de l’ethnie « Parisien » ou « Bordelais » fait de la chirurgie esthétique, il ne faut surtout pas que cela se voie. En Europe, quand un patient fait de la chirurgie esthétique, il ne faut pas qu’on le devine. Il faut que l’intervention respecte une certaine harmonie. Il faut modifier sans transformer. En revanche, en Californie, le patient veut que l’on voit sa transformation et désire même que l’on sache par qui l’intervention a été faite voire combien elle a coûtée. Ceux sont des critères propres à l’ethnie « patient californien ». Nous ne les comprenons peut-être pas toujours mais il convient de les respecter comme nous respectons également les scarifications rituelles et/ou thérapeutiques pratiquées sur le corps des patients de telle ou telle ethnie [Photographies 5]. Nous ne comprenons pas toujours la nécessité de faire des cicatrices indélébiles sur le visage d’un enfant mais il ne nous appartient pas de juger. Nous devons essayer d’en comprendre la signification sans condamner. Surtout, quand nous faisons une chirurgie sur le visage d’un enfant Haoussa, nous essayons de faire une technique qui respecte les scarifications rituelles pour ne pas priver cet enfant de ce lien avec son histoire.

CONCLUSION

Nous pensons que tout patient devrait être traité par des moyens techniques modernes dans le respect du milieu dans lequel il évolue. La prise en charge d’un patient devrait se faire en fonction de ses origines, de son histoire, de sa culture, de son ethnie en considérant les traditions locales et, cela, quelque soit le pays. Nous définissons ainsi le concept de chirurgie plastique ethnique qui associe une prise en charge chirurgicale moderne à une médecine plus traditionnelle. A travers ce concept, nous voulons traiter le patient dans sa totalité, dans sa partie visible et invisible.

La chirurgie plastique ethnique c’est transformer le corps sans désaccord avec le milieu et cela, quelque soit le lieu.

PK www.docteur-knipper.com

PHOTOGRAPHIES

 

Photographie 1 :

Chir Plast Ethn 1

 

Tradipraticien du Sud du Niger.

 

Photographie 2 :

MINOLTA DIGITAL CAMERA

Equipe de Chirurgie Plastique dans les pays en voie de développement Interplast-France ( www.Interplast-France.net).

 

Photographies 3 :

 

Chir Plast Ethn 3A

A / « Gri-gri » sur un enfant du Nigeria.

 

Chir Plast Ethn 3B

B / Têtes de chien sur un marché spécialisé au Togo.

 

 

Photographie 4 :

Chir Plast Ethn 4

Jeunes filles Peuls sur le Fleuve Niger.

Photographies 5 :

Chir Plast Ethn 5A

 

A / Scarifications thérapeutiques sur l’abdomen d’une jeune fille du Sud du Bénin.

Chir Plast Ethn 5B

B / Scarifications rituelles chez un homme du Sud du Niger.

 

 

 

[1] Médecines du Monde. Claudine Brelet. Editions Robert Laffont, octobre 2002

[2] Guérissage : terme mis en usage par les chercheurs en ethnomédecine

[3] Nous ne sommes pas seuls au monde. Tobie Nathan. Les empêcheurs de tourner en rond, 2001

[4] OMS. Technical Report Series, n°1

[5] Ethnologie et problèmes sanitaires. Dorolle P. Revue internationale de la Croix-Rouge. Genève, CICR, 1953

[6] La main existentielle et événementielle. Raymond Vilain.

[7] L’influence qui guérit. Tobie Nathan. Poches Odile Jacob, 2001

[8] Chirurgie Esthétique Humanitaire. Docteur Patrick Knipper. Assises Internationales du corps transformé, 2005.

[9] Chirurgie Esthétique : Bienfaits et Résultats. Rapport de la Société Française de Chirurgie Plastique, Reconstructrice et Esthétique. Docteur Patrick Knipper, Docteur Jean-Luc Jauffret, Editions Elsevier, 2003.